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bien dangereux pour la vérité. Ce M. de Bordeu est le même qui a eu ce procès calomnieux à soutenir contre la Faculté de Paris, dont il est membre, et contre l'honnête docteur Bouvart, son confrère, par qui il était accusé d'avoir volé à un homme mort entre ses mains une montre et des manchettes de dentelle. Le Parlement le déchargea de l'accusation, et obligea la Faculté de le rétablir dans tous ses droits, mais ne punit point les calomniateurs, ce qui, comme beaucoup d'autres choses, prouve que la justice est une fort belle chose.

- Un avocat au Parlement de Paris, appelé M. de La Ville, homme assez obscur, vient d'entreprendre la continuation des Causes célèbres de Pitaval. Ces sortes de compilations ont toujours de quoi intéresser, quelque mal faites qu'elles puissent être. Celle-ci n'inspirera pas une grande estime pour les talents du rédacteur; mais elle se vendra. Il en paraît un premier volume in-12 de quatre cent trente pages. Si ce qu'on dit est vrai, M. de La Ville pourrait bientôt trouver place lui-même dans sa compilation. On prétend que, se livrant trop au feu de sa mâle éloquence, il a imprimé un mémoire plein d'injures contre la partie adverse d'un de ses clients. Or, cette partie se trouve être un premier commis de Versailles, race d'hommes puissante et dangereuse, et l'on assure que celui qui a essuyé la décharge de M. de La Ville n'attend que la fin de son procès pour prendre ce courageux avocat à partie.

- J'ai eu l'honneur de vous parler, dans une note du Salon de 1765, de la nouvelle invention de graver en manière de crayon, invention due à MM. François et Demarteau, graveurs, et infiniment précieuse pour les progrès de l'art. Celle de M. Charpentier, autre graveur, ne l'est pas moins. Cet artiste. a trouvé le secret d'imiter le lavis par la gravure, et cette imitation est si parfaite qu'en coupant les bords pour empêcher d'apercevoir l'empreinte de la planche, d'habiles connaisseurs. seraient peut-être embarrassés de dire si c'est une estampe ou un dessin qu'on leur présente. On a déjà gravé plusieurs jolis morceaux dans ce goût du lavis et au bistre, et cette nouvelle invention ne peut manquer de contribuer infiniment, ainsi que l'autre, à l'avancement de l'art.

- Journal de Rome, ou Collection des anciens monuments qui existent dans cette capitale et dans les autres parties de

l'Italie, représentés et gravés en taille-douce et expliqués suivant les observations faites sur les lieux par des professeurs et amateurs de la belle antiquité actuellement à Rome. Dédié à MM. Robert et Jacques Adam, architectes écossais. Proposé par souscription. Le prospectus nous annonce un ouvrage magnifique, et le projet est assurément très-beau et susceptible d'une exécution superbe. Il doit paraître dans le courant d'une année quatre journaux de vingt feuilles d'impression au moins, sans compter les planches, et le prix de ces quatre journaux sera pour les souscripteurs de deux louis dont ils payeront la moitié d'avance. Les Ruines de Palmyre et les Monuments de la Grèce peuvent servir de modèle aux auteurs du Journal de Rome, et leur montrer ce que le public attend d'eux.

On nous a envoyé de Suisse une Histoire des révolutions de la haute Allemagne, contenant les ligues et les guerres de la Suisse. Avec une notice sur les lois, les mœurs et les différentes formes du gouvernement de chacun des États compris dans le corps helvétique. Deux volumes in-12 qui seront sans doute suivis de quelques autres. On m'a assuré que cette histoire est de M. Philibert; mais je ne connais pas M. Philibert. Il peut avoir le mérite de l'exactitude; mais il n'a pas les autres talents d'un historien. Son style surtout est embarrassé et louche, et il dit toujours avec effort ce qu'il dit. Pour être historien de la Suisse, il faudrait un écrivain plein de sens et de nerf, d'une grande simplicité, et de cette espèce de naïveté qui s'allie si bien avec la véritable élévation. Si Jean-Jacques Rousseau n'était pas si fou, s'il n'avait pas mis tous ses talents et sa gloire à soutenir des paradoxes et à pousser tout à l'extrême, s'il avait pu allier la sagesse à ses autres qualités d'écrivain, il aurait été l'homme propice à cette entreprise, et une histoire de la Suisse serait devenue sous sa plume un morceau digne d'être placé entre Tacite et Plutarque.

-Me de Saint-Vast, que je n'ai pas l'honneur de connaître, vient de donner l'Esprit de Sully en un très-petit volume qui n'a pas deux cents pages. On y trouve encore le portrait de Henri IV, les lettres de ce bon roi à ce grand ministre et leurs conversations. Ces conversations me paraissent du ton et de la force de Mlle de Saint-Vast, qui aurait dû laisser le soin d'abréger les Mémoires de Sully à une plume plus habile.

-L'Ami des pauvres, ou l'Économe politique', qui propose des moyens pour enrichir et perfectionner l'espèce humaine, a déjà paru il y a quelques années. Voici donc sa seconde apparition. C'est un bon et insipide rêveur de bien public. On peut être l'ami des pauvres et un pauvre homme tout à la fois. Si vous en doutez, l'auteur vous le prouvera sans réplique. Il a ajouté à cette nouvelle édition un Mémoire sur la suppression des fêtes. Il veut aussi introduire une nouvelle orthographe et même de nouveaux caractères d'impression qui donnent à la langue française un air esclavon. M. l'Économe politique est un radoteur qui économise fort mal son temps s'il prétend l'employer au bien public.

-Les Ennemis réconciliés forment une pièce dramatique en trois actes et en prose qui n'a jamais été jouée. Le sujet est tiré d'une des anecdotes les plus intéressantes du temps de la Ligue. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais bien les auteurs qui possèdent l'art et le talent de les traiter.

15 août 1766.

Miles Verrière sont deux sœurs célèbres à Paris par leur beauté, et exerçant le joyeux métier de courtisanes". Comme leur célébrité a commencé il y a plus de vingt ans, elle a aussi commencé depuis longtemps à décliner; mais, comme d'un autre côté elles ont su bien profiter du temps, et qu'elles ont eu l'adresse de ruiner plusieurs sots, après avoir d'abord exercé leur métier dans les rues, elles ont eu le secret d'amasser une fortune considérable et de tenir à Paris une maison fort brillante. La cadette se fait appeler Mme de La Marre; l'aînée a conservé le nom et les armes de Verrière. Celle-ci, plus belle que sa sœur, avait fait anciennement la conquête du grand Maurice, de l'illustre comte de Saxe, grand amateur de

1. Par Faignet.

2. La Haye et Paris, 1766, in-8°. Attribué quelquefois à Guyot de Merville parce que l'auteur, l'abbé Bruté de Loirelle, avait pris le pseudonyme de Merville.

3. M. Ad. Jullien a publié un intéressant travail sur le Théâtre des demoiselles Verrière (Detaille, 1875, gr. in-8°), mais il n'a pas eu connaissance de ce singulier épithalame, sans nul doute inédit, et qui ne peut être de celle à qui Grimm l'attribue.

me

la créature. Ce héros, toujours entouré de femmes de plaisir, passait pour les servir magnifiquement la nuit, et pour les récompenser médiocrement le jour. Il eut de Mlle Verrière une fille qui fut appelée Aurore et qui resta, encore enfant, sans ressource à sa mort. Alors Mine la Dauphine en prit soin, et la fit élever à Saint-Cyr, mais défendit à sa mère de la voir. Aurore de Saxe, devenue nubile, vient d'épouser un officier retiré du service et employé comme lieutenant du roi dans une petite place d'Alsace1. Sa mère lui a présenté le jour de ses noces la pièce de vers que vous allez lire.

ÉPITHALAME EN DIALOGUE

ENTRE Mlle VERRIÈRE ET M me DE LA MARRE.

MADAME DE LA MARRE.

Oui, ma sœur, ce sont eux, c'est lui!

MADEMOISELLE VERRIÈRE.

C'est lui, c'est elle.

MADAME DE LA MARRE.

Qu'il est intéressant!

MADEMOISELLE VERRIÈRE.

Qu'elle est touchante et belle!

Enfin, ma fille, enfin je jouis de mes droits;
Des marches de l'autel, c'est moi qui vous reçois;
Venez, venez sentir dans les bras d'une mère
Combien je vous aimai, combien vous m'êtes chère.
Ce jour, ce jour heureux qui nous réunit tous,
Vous rend à ma tendresse et vous donne un époux :
C'est le jour du bonheur, le beau jour de ma vie.

MADAME DE LA MARRE.

O vous à qui l'amour et l'hymen l'ont unie,
Héros qui possédez la fille d'un héros,
Dans le sein de la paix et d'un noble repos,
Vous verrez sa candeur, sa tendresse naïve
Distraire en l'amusant votre valeur captive.
Son amour répandra sur vos heureux loisirs
L'intérêt du bonheur, le charme des plaisirs.
Rien encor n'a flétri son âme simple et pure;

1. Le comte de Horn, bâtard de Louis XV et lieutenant du roi à Schlestadt.

Vous recevez son cœur des mains de la nature.
Si ce cœur jusqu'ici de lui-même ignoré
Connaît un sentiment, vous l'avez inspiré.

MADEMOISELLE VERRIÈRE.

Il en est un, ma sœur, un qu'elle doit connaître;
Il est bien pur... Ma fille, un jour, un jour peut-être,
Ce sentiment plus fort et mieux développé

Saisira votre coeur plus vivement frappé.

Vous saurez à quel titre et pourquoi je vous aime;
Vous connaîtrez mes droits; vous les aurez vous-même.
Que jamais votre oubli ne m'oblige à pleurer
Le douloureux instant qui doit nous séparer!
Monsieur, à votre cœur je le demande en mère,
Que ma fille jamais ne me soit étrangère!

La nature et le sang n'ont point de préjugés;
La nature est pour moi si vous l'interrogez.

J'en atteste aujourd'hui les mânes d'un grand homme,
A ma fille inconnu, mais que mon cœur lui nomme.
Ce héros, dont la gloire environnait le front1,
Du sang de Koenigsmark ne sentit point l'affront.
Sa grande âme jamais n'en fut humiliée,
Et sa mère par lui ne fut point oubliée.

MADAME DE LA MARRE.

Pourquoi mêler, ma sœur, à ces heureux moments
Des doutes si cruels, de vains pressentiments?
Ne versons aujourd'hui que des larmes de joie.
Ta sensibilité s'étend et se déploie,

Elle porte sur tout son inquiète ardeur;
Fixe-la sur ta fille, et sois à ton bonheur.
Connais-tu des devoirs, des lois assez barbares
Qui puissent exiger...? Non ma sœur, tu t'égares;
Aurore, quel que soit son heureux avenir,
Ne peut jamais, crois-moi, perdre le souvenir
De nos soins prodigués à sa première enfance :
Le premier des devoirs est la reconnaissance.

MADEMOISELLE VERRIÈRE.

Eh bien! je m'abandonne à des transports plus doux;
Ma fille et vous, monsieur, vous, son heureux époux,

1. Il est assez plaisant qu'une créature de la lie du peuple, et qui a longtemps servi à la débauche des valets, ose se comparer à la comtesse de Koenigsmark. Il y a à peu près aussi loin de la mère de Maurice à la mère d'Aurore, que dans un autre sens du père d'Aurore à l'époux d'Aurore. (GRIMM.)

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