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pas pour difputer le paffage; parce que ceux qui l'avoient quitté grof firent fi fort le nombre des ennemis, dont la plûpart ne l'avoient pas vû, qu'on ne jugea pas à propos d'y marcher. Deux heures après, nous nous trouvâmes avec des forces fi confidérables, que fi l'on cût attaqué, comme c'étoit le fentiment de M. de Saint-Pater, une partie de l'armée des Impériaux cût été défaite ce qui eût fauvé l'Italie. Deux jours après on pafla le Pô de la même façon. Cela doit fervir de grande leçon aux Généraux dans ces fortes d'affaires, & leur apprendre à s'expliquer un peu mieux qu'ils ne font dans les ordres qu'ils donnent à ceux qui commandent dans les poftes les plus expofez; c'eft de leur ordonner fous peine de deshonneur & de châtiment exemplaire d'attaquer l'ennemi fort ou foible, & de percer jufqu'au dernier plutôt que de céder & d'abandonner leur pofte. Cela ne fuffit pas. On doit faire connoître aux Officiers, & ceux-ci à leurs foldats, la facilité & les avantages qu'il y a de défendre le paffage d'une riviére. Ils font encore plus grands fi l'on paffe fur des batteaux: car un pont ne s'établit pas en un inftant, & pendant qu'on met tout en œuvre pour en retarder la conftruction, le fecours a le tems d'arriver: que s'il y a des guez, rien n'eft plus ailé que de les rompre, & pour les purger l'ennemi y emploie beaucoup plus de tems qu'il n'en faut pour faire le pont. Il faut inftruire le foldat; mais comme cela ne s'obferve guéres, pour ne point dire jamais, il ne faut pas être furpris s'il prend auffitôt l'épouvante. C'est ce qui arriva aux troupes au paffage de la Doire par

M. de Turenne.

Ce grand Capitaine aiant affiégé

Yvrée en 1640. dans le tems que M. le Comte de Harcourt, Général de l'armée de Piémont, étoit encore à la Cour, les ennemis, pour faire diverfion, marchérent à Chivas pour en faire le fiége. Le Vicomte de Turenne ne s'en mit pas autrement en peine, parce qu'il efpéroit, dit l'Auteur de la Vie, dont la plume eft très-peu digne des actions du Héros qu'il chante, qu'avant qu'ils euffent pouffé leurs attaques, il fe feroit rendu maître d'Yvrée, & feroit en état de leur faire lever le fiège.

Le Comte de Harcourt, qui étoit plein d'ambition, croiant que la gloire que les autres recevroient, alloit à la diminution de la fienne; au lieu de demeurer quelque tems à la Cour, ne fit que s'y montrer, & reprenant la pofte, fe rendit devant rvrée lorsqu'on s'y attendoit le moins. Il trouva toutes chofes en aussi bon état qu'il le pouvoit defirer; mais feignant d'avoir des nouvelles de Chivas, extrémement preffé, il leva le fiége & marcha contre les ennemis. Ceux-ci, dont le but n'étoit que de faire diverfion, n'eurent garde de l'attendre, & fe contentérent de faire un détachement de quinze cens hommes, lesquels s'étant joints à la garnifon d'Yvrée, se préfentérent fur les bords de la Doire pour en difputer le paffage. Le Vicomte de Turenne, qui avoit l'avantgarde, fe voiant ainsi arrêté, fit mettre fon canon en batterie, pour les en déloger. Il pofta auffi des moufquetaires dans les lieux avantageux, & feignant de n'avoir point d'autre deffein que celui de les en chaffer à la faveur d'un grand feu, il envoia fecrétement de la cavalerie au-deffus & au-deffous pour découvrir un gué. On en découvrit un à une licue en-delà, où huit à neuf cens chevaux aiant paffé, les ennemis en

furent fi épouvantez qu'ils abandonnérent le paffage.

Je trouve perpétuellement M. le Prince Eugéne en mon chemin dans prefque toutes les parties de la guerre. Je l'ai dit, celle où il excelle le plus eft le paffage des riviéres: le voici engagé à la défense de celui de la Teifle en 1697. Ce Général aiant appris qu'une partie de l'armée Ottomane étoit en-deçà de la Teiffe, forma le deffein de l'attaquer. Il marcha en bataille aux ennemis. A fon arrivée à Zenta, il trouva mille chevaux des ennemis qui s'étoient avancez pour avoir des nouvelles; il les fit pouffer. Ses gens aiant fait quelques prifonniers, il apprit que le Vizir paffoit la riviére avec toute la hâte poffible, & qu'il fe fortifioit en-deçà. Le Général de l'Empereur fe hâte de les joindre, réfolu de les forcer dans leurs retranchemens. Il arrive fur eux dans un très-grand ordre. Les Turcs firent un grand feu de leur artillerie, fans que cela fût capable d'ébranler l'infanterie Impériale. On aborde leurs retranchemens, la droite de cette infanterie s'ouvre un paffage la baionette au bout du fufil fans beaucoup de réfiftance. La cavalerie met en même tems pied à terre, & perce en un autre endroit. On s'apperçut en même tems que les deux branches du retranchement laiffoient un paffage des deux côtez de la riviére, la cavalerie des aîles fe replie à droite & à gauche, entre par ces deux endroits, pouffe jufqu'au pont & s'en rend le maître: de forte que tout ce qui étoit en-deçà fut taillé en piéces. Action mémorable, que je rapporterai ailleurs dans mon Traité du paffage

des riviéres.

Cette action du Prince Eugéne eft digne d'un grand Capitaine, &

fans difficulté un des plus beaux endroits de fa vie. Il ne lui manquoit pour remplir tous les différens cas de la partie de la fcience de la guerre qui regarde le paffage des riviéres que celui qui embraffe la défense. Il prend fon parti fur le champ, fans s'embaraffer fi l'ennemi eft paffé en grand nombre; & bien qu'il fçache qu'il s'eft retranché en-deçà, il y marche, l'attaque, non pas feulement en grand ordre; mais avec tout l'art qu'on fçauroit defirer dans un grand Capitaine, & cet art comme le principe fe trouve dans l'exemple même. Il paroît que les retranchemens du Vizir n'étoient pas fort redoutables, puifque la cavalerie fait prefque tout dans cette grande action. Je l'ai remarqué plus d'une fois : fans entrer dans le défaut de la tactique des Turcs, qui eft affez grand, j'en reconnois un plus grand encore, qui eft celui de leurs armes. Cela donne un avantage infini à la cavalerie Allemande, qui craint fi peu l'infanterie Turque, qui ne connoît point l'ufage ni l'avantage de la baionette au bout du fufil, qu'elle l'attaque la pipe à la bouche. C'eft ainfi que les Officiers Allemans s'expriment, pour marquer le prodigieux mépris qu'ils font de tels ennemis. Mais les Turcs s'avifent de prendre nos armes, fans rien changer à leur tactique, c'est-à-dire à leur maniére de fe ranger en bataille, qu'on voit bien qui eft dans l'efprit de la phalange mal exécutée & fans prefque aucune diftinction de rangs & de files; fi, disje, ils s'avifent de combattre avec plus d'ordre, moins de confusion & en phalange parfaite, & qu'ils y joignent la baionette au bout du fufil, & que fans rien changer à leur difcipline militaire ils l'observene exactement, ils deviendront redou

tables à toute l'Europe. Car rien ne marque davantage l'excellence de leur ordre de bataille à leur cavalerie comme à leur infanterie, toute imparfaite que je la repréfente, que de réduire les Impériaux & les autres nations de l'Europe contre lefquelles ils font en guerre, à combattre en phalange parfaite, c'eftà-dire fur une ou deux lignes, ou fur un ordre à deux fronts, fans aucun intervalle entre les corps; ce qui joint à l'avantage de nos armes nous les foumet entiérement: car à l'égard du courage les Turcs ne le cédent à aucune nation du monde. Il viendra quelque Vizir un jour plus habile & plus éclairé qu'un autre, qui ouvrira les yeux fur la caufe de tant de défaites, & qui changera toute la face des af

faires du monde entier.

Les Mofcovites étoient moins que les Turcs. Pierre le Grand a fait voir à toute la terre, qu'il naît des foldats par tout où il naît des hom

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mes, & que tout dépend de la dif cipline, de l'exercice & de l'avan tage des armes. Il ne faut pas croire qu'un tel changement foit plus difficile aux Turcs qu'aux Mofcovites, dont les qualitez pour la guerre font fort au-deffous de celles des premiers. Ce feroit fe faire illufion que de croire que ceux-ci, moins barbares que les autres, n'ouvriront pas enfin les yeux, & qu'ils ne réfléchiront pas fur leurs défaites, fur la caufe de leurs difgraces, & fur leurs avantages: car de prétendre qu'ils demeureront perpétuellement enchaînez & efclaves de leurs coutumes, c'eft une erreur : ils fecoueront leurs chaines comme leurs voifins. Finiffons par cette maxime de mon Auteur, » qu'il y a beaucoup » de chofes qui paroiffent d'abord

impoffibles, qui deviennent faciles par l'ufage & par l'exercice, lorfqu'il dépend d'un feul acte de notre volonté de rejetter les unes & de prendre les autres.

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Dorimaque fait Préteur des Etoliens, ravage l'Epire.
Marche de Philippe. Déroute des Eléens
au mont Apeaure.

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Ers ce tems-là Paul Emile, après avoir fubjugué l'ILlyrie, entra triomphant dans Rome. Ce fut auffi alors qu'arriva la prife de Sagonte par Annibal, après laquelle ce Capitaine diftribua fes troupes en quartiers d'hiver. Quand on eut appris cette nouvelle à Rome, on envoia des Ambaffadeurs à Carthage pour demander Annibal, & en même tems on fe difpofa à la guerre, en créant pour Confuls Publius Cornélius & Tibérius Sempronius. Nous avons déja dit quelque chofe de tout cela dans le premier Livre. Ceci n'est que pour rafraîchir la mémoire de ces faits, & pour joindre enfemble ceux qui font arrivez vers le même tems. Ainfi finit la premiére année de la cent quarantiéme olympiade.

Le tems des Comices étant venu, les Etoliens choifirent pour Préteur Dorimaque. Il ne fut pas plutôt revêtu de cette dignité, qu'il fe mit en campagne, & ravagea le haut Epire avec la derniére violence, moins pour fon intérêt particulier que pour chagriner les Epirotes. Arrivé à Dodone, il mit le feu aux galeries du Temple, diffipa les préfens qui y étoient fufpendus, & renverfa le Temple même. On ne connoît chez ce peuple ni les loix de la guerre, ni celles de la paix. Tout ce qui leur vient en penfée, ils l'exécutent fans aucun égard ni pour le droit des gens, ni pour les loix particulières. Après cette belle expédition Dorimaque retourna en Etolie.

L'hiver duroit encore, & perfonne dans une faison fi fàcheufe ne s'attendoit à voir Philippe en campagne, lorfque ce Prince partit de Lariffe avec une armée compofée de trois mille Chalcafpides, de deux mille fantassins à rondaches, de trois cens Candiots, & de quatre cens chevaux de fa fuite. Il paffa de Theffalie dans l'Eubée, de là à Cyne, puis traverfant la Béotie & les terres de Mégare, il arriva à Corinthe fur la fin de l'hiver. Sa marche fut fi promte & fi secréte, que les Péloponnéfiens n'en curent aucun foupçon. A Corinthe il fit fermer les portes, mit des fentinelles fur les che

mins, fit venir de Sicyone le vieux Aratus, & écrivit au Préteur & aux villes d'Achaïe, pour leur faire fçavoir quand & où il falloit les que fe trouvaffent fous les armes. Il troupes partit enfuite, & alla camper dans le païs des Phliafiens proche Diofcore.

En même tems Euripidas avec deux cohortes d'Eléens, dés pirates & des étrangers au nombre d'environ douze cens hommes & cent chevaux, partit de Pfophis & paffa par Phénice & Stymphale, fans rien fçavoir de ce que Philippe avoit fait. Son deffein étoit de piller le païs des Sicyoniens, & il devoit en effet y entrer, parce que la nuit même que le Roi avoit mis fon camp proche Diofcore, Euripidas avoit paflé outre. Heureufement quelques Candiots de l'armée de Philippe, lefquels avoient quitté leurs rangs & furetoient de côté & d'autre pour fourrager, tombérent fur fa route. Il reconnut d'abord qu'il étoit parmi les ennemis: mais fans rien dire de ce qui fe paffoit, il fit faire volteface à fes troupes, & reprenant le chemin par lequel il étoit venu, il vouloit & efpéroit même prévenir les Macédoniens, & s'emparer des défilez qui fe rencontrent au-delà des Stymphaliens. Le Roi ne fçavoit rien de tout cela. Suivant fon projet il léve le camp du matin, dans le deffein de paffer proche Stymphale pour aller à Caphyes, où il avoit mandé que feroit le rendez-vous des troupes.

Quand la premiére ligne des Macédoniens fut arrivée à la hauteur d'où le mont Apeaure commence à s'élever, & qui n'eft éloignée de Stymphale que de dix ftades, il trouva que la première ligne des Eléens y arrivoit en même tems. Sur l'avis qu'Euripidas en reçut, fuivi de quelques cavaliers il fe déroba au péril qui le menaçoit, & par des chemins détournez s'enfuit à Pfophis. Le gros des Eléens, étonné de fe voir fans Chef, fit alte fans fçavoir bien ni que faire, ni de quel côté tourner. Leurs Officiers croioient d'abord que c'étoient quelques Achéens qui étoient venus à leur fecours. Les Chalcafpides leur firent venir cette penfée, parce que les Mégalopolitains s'étoient fervis de boucliers d'airain dans la bataille contre Cléoméne, forte d'armes que le Roi Antigonus leur avoit fait prendre. Trompez par ce rapport d'armes, ils fe tranquillifoient & s'approchoient toujours des collines voifines. Mais quand les Macédoniens furent plus près, les Eléens virent alors le danger où ils étoient, ils jettérent auflì

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