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L

PRÉFAC E.

A Mufique eft, de tous les beaux Arts; celui dont le Vocabulaire eft le plus étendu, & pour lequel un Dictionnaire eft, par conféquent, le plus utile. Ainfi, l'on ne doit pas mettre celui-ci au nombre de ces compilations ridicules, que la mode ou plûtôt la manie des Dictionnaires multiplie de jour en jour. Si ce Livre eft bien fait, il eft utile aux Artiftes. S'il eft mauvais, ce n'eft ni par le choix du fujet, ni par la forme de l'ouvrage. Ainfi l'on auroit tort de le rebuter fur fon titre. Il faut le lire pour en juger.

L'utilité du fujet n'établit pas, j'en conviens, celle du Livre; elle me juftifie feulement de l'avoir entrepris, & c'eft auffi tout ce que je puis prétendre; car d'ailleurs, je fens bien ce qui manque à l'exécution. C'est ici moins un Dictionnaire en forme, qu'un recueil de matériaux pour un Dictionnaire, qui n'attendent qu'une meilleure main pour être employés. Les fondemens de cet Ouvrage furent jettés si à la hâte, il y a quinze ans, dans l'Encyclopédie, que, quand j'ai voulu le reprendre fous oeuvre, je n'ai pû lui donner la folidité qu'il auroit eue, fi j'avois eu plus de pour en digérer le plan & pour l'exécuter. Je ne formai pas de moi-même cette entreprife, elle me fut propofée; on ajoûta que le manufcrit entier de l'Encyclopédie devoit être, complet avant qu'il en fût imprimé une seule ligne; on ne me donna que trois mois pour remplir ma tâche, & trois ans pouvoient me fuffire à peine pour lire, extraire, comparer & compiler les Auteurs dont j'avois befoin: mais le zèle de

tems

l'amitié m'aveugla fur l'impoffibilité du fuccès. Fidele à ma parole, auxdépens de ma réputaton je fis vite & mal, ne pouvant bien faire en si peu de tems; au bout de trois mois mon manufcrit entier fut écrit, mis au net & livré; je ne l'ai pas revu depuis. Si j'avois travaillé volume à volume comme les autres, cet effai, mieux digéré, eût pû refter dans l'état où je l'aurois mis. Je ne me repens pas d'avoir été exact; mais je me repens d'avoir été téméraire, & d'avoir plus promis que je ne pouvois exécuter.

Bleffé de l'imperfection de mes articles, à mefure que les volumes de l'Encyclopédie paroiffoient, je réfolus de refondre le tout fur mon brouillon, & d'en faire à loifir un ouvrage à part traité avec plus de foin. J'étois, en recommençant ce travail, à portée de tous les fecours néceffaires. Vivant au milieu des Artiftes & des Gens-de-Lettres, je pouvois confulter les uns & les autres, M. l'Abbé Sallier me fourniffoit, de la Bibliothèque du Roi, les livres & manufcrits dont j'avois befoin, & fouvent je tirois, de fes entretiens, des lumières plus fûres que de mes recherches. Je crois devoir à la mémoire de cet honnêre & favant homme un tribut de reconnoiffance que tous les Gens-de-Lettres qu'il a pû fervir partageront fûrement avec moi.

Ma retraite à la campagne m'ôta toutes ces reffources, au moment que je commençois d'en tirer parti. Ce n'eft pas ici le lieu d'expliquer les raifons de cette retraite : on conçoit que, dans ma façon de penfer, l'efpoir de faire un bon Livre fur la Mutique n'en étoit pas une pour me retenir. Éloigné des amusemens de la Ville, je perdis bientôt les goûts qui s'y rapportoient; privé des communications qui pouvoient m'éclairer fur mon

ancien objet, j'en perdis auffi toutes les vues ; & foit que depuis ce tems l'Art ou fa théorie aient fait des progrès, n'étant pas même à portée d'en rien favoir, je ne fus plus en état de les fuivre. Convaincu, cependant, de l'utilité du travail que j'avois entrepris, je m'y remettois de tems à autre, mais toujours avec moins de fuccès, & toujours éprouvant que les difficultés d'un Livre de cette espèce demandent, pour les vaincre, des lumières que je n'étois plus en état d'acquérir, & une chaleur d'intérêt que j'avois ceffé d'y mettre. Enfin, défefpérant d'être jamais à portée de mieux faire, & voulant quitter pour toujours des idées dont mon efprit s'éloigne de plus en plus, je me fuis occupé, dans ces Montagnes, à raffembler ce que j'avois fait à Paris & à Montmorenci; &, de cet amas indigefte, eft forti l'efpèce de Dictionnaire qu'on voit ici.

Cet hiftorique m'a paru néceffaire pour expliquer comment les circonftances m'ont forcé de donner en fi mauvais état un Livre que j'aurois pû mieux faire, avec les fecours dont je fuis privé. Car j'ai toujours cru que le refpect qu'on doit au Public n'eft pas de lui dire des fadeurs, mais de ne lui rien dire que de vrai & d'utile, ou du moins qu'on ne juge tel; de ne lui rien préfenter fans y avoir donné tous les foins dont on eft capable, & de croire qu'en faifant de fon mieux, on ne fait jamais affez bien pour lui.

Je n'ai pas cru, toutefois, que l'état d'imperfection où j'étois forcé de laiffer cet ouvrage, dût m'empêcher de le publier; parce qu'un Livre de cette espèce étant utile à l'Art, il eft infiniment plus aifé d'en faire un bon fur celui que je donne, que de commencer par tout créer. Les connoiffances néceffaires pour cela ne font peut-être pas

fort grandes, mais elles font fort variées, & fe trouvent rarement réunies dans la même tête. Ainfi, mes compilations peuvent épargner beaucoup de travail à ceux qui font en état d'y mettre l'ordre néceffaire; & tel, marquant mes erreurs, peut faire un excellent Livre, qui n'eût jamais rien fait de bon fans le mien.

:

que

J'avertis donc ceux qui ne veulent fouffrir des Livres bien faits, de ne pas entreprendre la lecture de celui-ci; bien-tôt ils en feroient rebutés mais pour ceux que le mal ne détourne pas du bien; ceux qui ne font pas tellement occupés des fautes, qu'ils comptent pour rien ce qui les rachette; ceux, enfin, qui voudront bien chercher ici de quoi compenfer les miennes, y trouveront peut-être affez de bons articles pour tolérer les mauvais, &, dans les mauvais même, affez d'observations neuves & vraies, pour valoir la peine d'être triées & choifies parmi le refte. Les Muficiens lifent peu, & cependant je connois peu d'Arts où la lecture & la réflexion foient plus néceffaires. J'ai pensé qu'un Ouvrage de la forme de celui-ci feroit précisément celui qui leur convenoit, & que pour le leur rendre auffi profitable qu'il étoit poffible, il falloit moins y dire ce qu'ils favent, que ce qu'ils auroient befoin d'apprendre.

Si les Manœuvres & les Croque-Notes relèvent fouvent ici des erreurs, j'espère que les vrais Artiftes & les hommes de génie y trouveront des vues utiles dont ils fauront bien tirer parti. Les meilleurs Livres font ceux que le Vulgaire décrie, & dont les gens à talent profitent fans en parler.

Après avoir expofé les raifons de la médiocrité de l'Ouvrage & celles de l'utilité que j'eftime qu'on en peut tirer, j'aurois maintenant à entrer

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