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SECTION VIIL

Esther.

Le tems qui fait justice, mit bientôt la Phedre de Racine à sa place; mais son parti était pris de renoncer au théâtre, et même douze ans après il ne crut pas y revenir, quand il fit pour madame de Maintenon et pour Saint-Cyr, Esther et Athalie; car Esther, malgré le grand succès qu'elle eut à Saint-Cyr, ne parut jamais sur la scene du vivant de l'auteur; et lorsqu'il imprima Athalie, il fit insérer dans le privilége une défense une défense expresse aux comédiens de la jouer. Toutes deux ne furent représentées qu'après sa mort, et eurent alors un sort bien différent de celui qu'elles avaient eu au moment de leur naissance. Tout semble nous avertir de ne pas précipiter nos jugemens, et rien ne peut nous en corriger.

Depuis que les représentations de 1721 eurent fait connaître tous les défauts du plan d'Esther, on s'étonna de la vogue qu'elle avait eue dans sa nouveauté, et c'est pourtant la chose du monde la plus facile à concevoir. Il faut voir chaque chose à sa place, et si le théâtre n'était pas celle d'Esther, il faut avouer qu'elle parut à Saint-Cyr dans le

cadre le plus favorable. Qu'on se représente de jeunes personnes, des pensionnaires que leur âge, leur voix, leur figure, leur inexpérience même rendait intéressantes, exécutant dans un couvent une piece tirée de l'Écriture-Sainte, récitant des vers pleins d'une onction religieuse, pleins de douceur et d'harmonie, qui semblaient rappeler teur propre histoire et celle de leur fondatrice; qui la peignaient des couleurs les plus touchantes, sous les yeux d'un monarque qui l'adoraït, et d'une cour qui était à ses pieds; qui offraient à tout moment les allusions les plus piquantes à la flatterie ou à la malignité, et l'on concevra que cette réunion de circonstances dans un spectacle qui par lui-même n'appelait pas la sévérité, devait être la chose du monde la plus séduisante, et qu'il n'était pas étonnant que la phrase à la mode, celle qu'on répétait sans cesse, et que nous retrouvons dans les lettres et les mémoires du tems, fut celle-ci de madame de Sévigné : Racine a bien de l'esprit. Madame de Sévigné en avait aussi beaucoup (car il y en a de bien des sortes), mais elle n'avait pas celui de cacher son faible pour la cour et pour tout ce qui tenait à la cour. Il perce à toutes les pages; et le ravissement où elle est d'avoir vu Esther à Saint-Cyr, faveur alors excessivement briguée et devenue

une distinction, paraît avoir influé un peu sur le jugement qu'elle en porte. Si l'on veut prendre, en passant, une idée des changemens qui arrivent d'un siecle à l'autre, il n'y a qu'à faire attention à une de ses expressions employées sans dessein et qui suffisent à peindre l'époque où l'on écrit. «Huit Jésuites, dont était le pere Gaillard,

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ont honoré ce spectacle de leur présence. » Cela est un peu fort: voici le revers de la médaille. Nous avons vu, il y a deux ans, et moi, j'ai vu de mes yeux, à la représentation d'une piece qui avait paru contre-révolutionnaire, parce qu'on y disait que des accusateurs ne pouvaient pas être juges (c'était dans le tems du procès des vingt-deux ): j'ai vu quatre Jacobins, appelés officiellement, et siégeant gratis au premier banc du balcon, avec toute la dignité que des Jacobins pouvaient avoir, pour juger si les corrections que l'auteur et les acteurs avaient promises aux Jacobins, étaient suffisantes pour permettre que l'on continuât de représenter la piece; et le lendemain les journaux annoncerent que les commissaires jacobins avaient été contens dé la docilité de l'auteur et des changemens qu'il avait faits.

L'établissement de Saint-Cyr, le choix des

jeunes

jeunes éleves qui remplissaient cette maison, vif intérêt qu'y prenait madame de Maintenon, les soins qu'elle y donnait, les retraites fréquentes qu'elle y faisait, tous ces rapports pouvaient-ils manquer de se présenter à l'esprit lorsqu'on entendait ces vers de la première scene?

Cependant mon amour pour notre nation
A rempli ce palais des filles de Sion,
Jeunes et tendres fleurs, par le sort agitées,
Sous un ciel étranger comme moi transplantées.
Dans un lieu séparé de profanes témoins,

Je mets à les former mon étude et mes soins;

Et c'est là que fuyant l'orgueil du dia¿ême,

Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même, Aux pieds de l'Éternel je viens m'humilier,

Et goûter le plaisir de me faire oublier.

Ce personnage d'Esther paraissait tellement adapté à la favorite, que trois ans après Despréaux renouvela ce même parallele.

J'en sais une chérie et du monde et de Dieu,
Humble dans les grandeurs, sage dans la fortune,
Qui gémit comme Esther de sa gloire importune,
Que le vice lui-même est contraint d'estimer,
Et que, sur ce tableau, d'abord tu vas nommer.

Le caractere de madame de Montespan, le long
Cours de littér. Tome V.

K

artachement de Louis XIV pour elle, les efforts qu'il avait faits sur lui pour s'en séparer, pouvaientils échapper au souvenir de toute la cour, devant qui Esther disait :

Peut-être on t'a conté la fameuse disgrace
De l'altiere Vasthi dont j'occupe la place,
Lorsque le roi, contre elle enflammé de dépit,
La chassa de son trône, ainsi que de son lit.
Mais il ne put sitôt en bannir la pensée :
Vasthi régna long-tems dans son âme offensée.

:

On sait assez avec quel plaisir malin l'on retrouvait Louvois dans Aman : la proscription des Juifs rappelait, dit-on, la révocation de l'édit de Nantes. Mais cette allusion ne fut certainement pas celle qui marqua le plus il s'en fallait de beaucoup que l'on vît alors cette proscription du même œil dont on l'a vue depuis; et l'adulation et le fanatisme (c'était bien alors le fanatisme et je parle la langue du bon sens et non pas la langue révolutionnaire) célébraient comme un triomphe cette fatale erreur de Louis XIV, qu'il faut bien appeler ainsi, puisqu'il fut trompé, mais qui en elle-même est, aux yeux de la politique et de l'humanité, une grande faute qui a eu de longues et funestes suites.

Les défauts du plan d'Esther sont connus et

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