m'arrêter sur les beautés de la versification de Racine. Il y aurait trop à faire, et chaque scene tiendrait une séance; mais je ne puis m'empêcher de remarquer de tems en tems quelques-unes de ces expressions si singuliérement heureuses, et qui supposent encore un autre mérite que celui de la diction poétique : ce sont celles qui tiennent à ce sentiment exquis dont Racine était doué, expressions qu'il place toujours si naturellement, qu'elles semblent échapper à sa plume, comme elles échapperaient à l'amour. Monime continue: J'entends, vous gémissez; mais telle est ma misere : Xipharès lui représente la difficulté de se conformer à cet ordre rigoureux, lorsque Mithridate Cours de littér. Tome V. B 1 lui-même, craignant les entreprises de Pharnace, a ordonné à Xipharès de ne point quitter Monime. N'importe, il me faut obéir. Inventez des raisons qui puissent l'éblouir. D'un héros tel que vous c'est là l'effort suprême : Cherchez, prince, cherchez, pour vous trahir vous-même, Tout ce que, pour jouir de leurs contentemens, L'amour fait inventer aux vulgaires amans. Enfin, je me connais, il y va de ma vie : Que ma main dans mon cœur ne vous aille chercher, Voilà bien le dernier effort de la vertu qui combat; mais cet effort est si grand, qu'il est impossible que l'attendrissement n'y succede pas, et les dernieres paroles d'un adieu si douloureux devaient y mêler quelque consolation. Les derniers mots qu'on adresse à un amant, même pour l'éloigner de soi, doivent encore être tendres, et quoique le devoir l'emporte, l'amour doit encore se faire entendre par dessus tout. Racine à bien connu cette marche de la nature, dans les vers qui ter minent cette scene attendrissante. Que dis-je ? En ce moment, le dernier qui nous reste, Je me sens arrêter par un plaisir funeste. Plus je vous parle, et plus, trop faible que je suis, Corneille avait eu le premier l'idée de ces combats de la vertu contre l'amour. Ils sont le fond du rôle de Pauline : il y a même des endroits où elle dit à peu près les mêmes choses que vient de diré Monime. Il n'est pas inutile de comparer ces deux morceaux. Hélas! cette vertu, quoiqu'enfin invincible, C'est le même fond de pensées que dans Monime; mais sans vouloir détailler toutes les fautes. de versification, quelle prodigieuse différence! et à quoi tient-elle principalement? A ce que l'esprit de Corneille a fort bien aperçu ce qu'il fallait dire, et que le cœur de Racine l'a senti. Je n'ai point établi ce parallele pour rabaisser l'un au dessous de l'autre chacun d'eux a des mérites différens. : J'ai voulu faire voir que Racine n'avait appris de personne à parler le langage du cœur. Personne aussi ne savait mieux que lui combien une femme, occupée d'un sentiment profond, est capable d'allier la tendresse la plus délicate avec la plus inébranlable fermeté. Quand Mithridate, après avoir réussi, à force d'artifices, à faire avouer à Monime son amour pour Xipharès, veut, malgré cet aveu, la conduire à l'autel, sa réponse est d'une âme aussi élevée qu'auparavant elle s'était montrée sensible. Je n'ai point oublié quelle reconnaissance, Au dessous des grandeurs d'un si noble hymenée; Du jour que sur mon front on mit ce diadême, Loin de moi, par mon ordre, il courait m'oublier. Et ce fatal amour dont j'avais triomphé, Ce feu que dans l'oubli je croyais étouffé, lui. On ne sait s'il y a dans cette réponse plus d'art et de modération, que de noblesse et de bienséance. Je faisais le bonheur d'un héros tel que vous. Peut-on mieux ménager l'amour propre d'un roi malheureux et d'un vieillard jaloux ? Et comme le refus d'épouser un homme qui l'a fait rougir est |