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m'arrêter sur les beautés de la versification de Racine. Il y aurait trop à faire, et chaque scene tiendrait une séance; mais je ne puis m'empêcher de remarquer de tems en tems quelques-unes de ces expressions si singuliérement heureuses, et qui supposent encore un autre mérite que celui de la diction poétique : ce sont celles qui tiennent à ce sentiment exquis dont Racine était doué, expressions qu'il place toujours si naturellement, qu'elles semblent échapper à sa plume, comme elles échapperaient à l'amour.

Monime continue:

J'entends, vous gémissez; mais telle est ma misere :
Je ne suis point à vous; je suis à votre pere.
Dans ce dessein vous-même il faut me soutenir,
Et de mon faible cœur m'aider à vous bannir.
J'attends du moins, j'attends de votre complaisance,
Que désormais partout vous fuirez ma présence.
J'en viens de dire assez pour vous persuader
Que j'ai trop de raisons de vous le commander.
Mais après ce moment, si ce cœur magnanime
D'un véritable amour a brûlé pour Monime,
Je ne reconnais plus la foi de vos discours,
Qu'au soin que vous prendrez de m'éviter toujours.

Xipharès lui représente la difficulté de se conformer à cet ordre rigoureux, lorsque Mithridate Cours de littér. Tome V.

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lui-même, craignant les entreprises de Pharnace, a ordonné à Xipharès de ne point quitter Monime.

N'importe, il me faut obéir.

Inventez des raisons qui puissent l'éblouir.

D'un héros tel que vous c'est là l'effort suprême :

Cherchez, prince, cherchez, pour vous trahir vous-même,

Tout ce que, pour jouir de leurs contentemens,

L'amour fait inventer aux vulgaires amans.

Enfin, je me connais, il y va de ma vie :
De mes faibles efforts ma vertu se défie.
Je sais qu'en vous voyant, un tendre souvenir
Peut m'arracher du cœur quelqu'indigne soupir;
Que je verrai mon âme, en secret déchirée,
Revoler vers le bien dont elle est séparée.
Mais je sais bien aussi que, s'il dépend de vous
De me faire chérir un souvenir si doux,
Vous n'empêcherez pas que ma gloire offensée
N'en punisse aussitôt la coupable pensée ;

Que ma main dans mon cœur ne vous aille chercher,
Pour Y laver ma honte et vous en arracher.

Voilà bien le dernier effort de la vertu qui combat; mais cet effort est si grand, qu'il est impossible que l'attendrissement n'y succede pas, et les dernieres paroles d'un adieu si douloureux devaient y mêler quelque consolation. Les derniers mots qu'on adresse à un amant, même pour l'éloigner de soi, doivent encore être tendres, et quoique le devoir l'emporte, l'amour doit encore se faire

entendre par

dessus tout. Racine à bien connu

cette marche de la nature, dans les vers qui ter

minent cette scene attendrissante.

Que dis-je ? En ce moment, le dernier qui nous reste,

Je me sens arrêter par un plaisir funeste.

Plus je vous parle, et plus, trop faible que je suis,
Je cherche à prolonger le péril que je fuis.
Il faut pourtant, il faut se faire violence,
Et, sans perdre en adieux un reste de constance
Je fuis. Souvenez-vous, prince, de m'éviter,
Et méritez les pleurs que vous m'allez coûter.

Corneille avait eu le premier l'idée de ces combats de la vertu contre l'amour. Ils sont le fond du rôle de Pauline : il y a même des endroits où elle dit à peu près les mêmes choses que vient de diré Monime. Il n'est pas inutile de comparer ces deux

morceaux.

Hélas! cette vertu, quoiqu'enfin invincible,
Ne laisse que trop voir une âme trop sensible.
Ces pleurs en sont témoins, et ces lâches soupirs
Qu'arrachent de nos feux les cruels souvenirs,
Trop rigoureux effets d'une aimable présence,
Contre qui mon devoir a trop peu de défense!
Mais si vous estimez ce généreux devoir,
Conservez-m'en la gloire et cessez de me voir.
Épargnez-moi des pleurs qui coulent à ma honte;
Épargnez-moi des feux qu'à regret je surmonte.
Enfin épargnez-moi ces tristes entretiens,
Qui ne font qu'irriter vos tourmens et les miens,

C'est le même fond de pensées que dans Monime; mais sans vouloir détailler toutes les fautes. de versification, quelle prodigieuse différence! et à quoi tient-elle principalement? A ce que l'esprit de Corneille a fort bien aperçu ce qu'il fallait dire, et que le cœur de Racine l'a senti. Je n'ai point établi ce parallele pour rabaisser l'un au dessous de l'autre chacun d'eux a des mérites différens.

:

J'ai voulu faire voir que Racine n'avait appris de personne à parler le langage du cœur.

Personne aussi ne savait mieux que lui combien une femme, occupée d'un sentiment profond, est capable d'allier la tendresse la plus délicate avec la plus inébranlable fermeté. Quand Mithridate, après avoir réussi, à force d'artifices, à faire avouer à Monime son amour pour Xipharès, veut, malgré cet aveu, la conduire à l'autel, sa réponse est d'une âme aussi élevée qu'auparavant elle s'était montrée sensible.

Je n'ai point oublié quelle reconnaissance,
Seigneur, m'a dû ranger sous votre obéissance.
Quelque rang où jadis soient montés mes aïeux
Leur gloire de si loin n'éblouit point mes yeux.
Je songe avec respect de combien je suis née

Au dessous des grandeurs d'un si noble hymenée;
Et, malgré mon penchant et mes premiers desseins
Pour un fils, après vous le plus grand des humains,

Du jour que sur mon front on mit ce diadême,
Je renonçai, Seigneur, à ce prince, à moi-même.
Tous deux d'intelligence à nous sacrifier,

Loin de moi, par mon ordre, il courait m'oublier.
Dans l'ombre du secret ce feu s'allait éteindre,
Et même de mon sort je ne pouvais me plaindre,
Puisqu'enfin aux dépens de mes vœux les plus doux,
Je faisais le bonheur d'un héros tel que vous.
Vous seul, Seigneur, vous seul, vous m'avez arrachée
A cette obéissance cù j'étais attachée;

Et ce fatal amour dont j'avais triomphé,

Ce feu que dans l'oubli je croyais étouffé,
Dont la cause à jamais s'éloignait de ma vue,
Vos détours l'ont surpris, et m'en ont convaincue.
Je vous l'ai confessé : je le dois soutenir.
En vain vous en pourriez perdre le souvenir;
Et cet aveu honteux où vous m'avez forcée,
Demeurera toujours présent à ma pensée.
Toujours je vous croirais incertain de ma foi;
Er le tombeau, Seigneur, est moins triste pour moi
Que le lit d'un époux qui m'a fait cet outrage,
Qui s'est acquis sur moi ce cruel avantage,
Et qui, me préparant un éternel ennui,
M'a fait rougir d'un feu qui n'était pas pour

lui.

On ne sait s'il y a dans cette réponse plus d'art et de modération, que de noblesse et de bienséance. Je faisais le bonheur d'un héros tel que vous. Peut-on mieux ménager l'amour propre d'un roi malheureux et d'un vieillard jaloux ? Et comme le refus d'épouser un homme qui l'a fait rougir est

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