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M. de Santeuil. Il estimait extrêmement ces deux poetes. Lui-même faisait fort bien des vers latins; et il en fit sur la campagne de Flandre en 1667, qui parurent si beaux, que non-seulement plusieurs personnes les mirent en français, mais que les meilleurs poëtes latins en prirent l'idée, et les mirent encore en latin. Il avait traduit sa première scène de Pompée en vers du style de Sénèque le tragique, pour lequel il n'avait pas d'aversion, non plus que pour Lucain. Il fallait aussi qu'il n'en eût pas pour Stace, fort inférieur à Lucain, puisqu'il en a traduit en vers et publié les deux premiers livres de la Thébaïde. Ils ont échappé à toutes les recherches qu'on a faites depuis un temps pour en retrouver quelques exemplaires.

Corneille était assez grand et assez plein, l'air fort simple et fort commun, toujours négligé, et peu curieux de son extérieur. Il avait le visage assez agréable, un grand nez, la bouche belle, les yeux pleins de feu, la physionomie vive, des traits fort marqués, et propres à être transmis à la postérité dans une médaille ou dans un buste. Sa prononciation n'était pas tout à fait nette; il lisait ses vers avec force, mais sans grâce.

Il savait les belles-lettres, l'histoire, la politique; mais il les prenait principalement du côté qu'elles ont rapport au théâtre. Il n'avait pour toutes les autres connaissances ni loisir, ni curiosité, ni beaucoup d'estime. Il parlait peu, même sur la matière qu'il entendait si parfaitement. Il n'ornait pas ce qu'il disait; et pour trouver le grand Corneille, il le fallait lire.

Il était mélancolique; il lui fallait des sujets plus solides pour espérer et pour se réjouir que pour se chagriner ou pour craindre. Il avait l'humeur brusque, et quelquefois rude en apparence : au fond il était très-aisé à vivre, bon mari, bon parent, tendre, et plein d'amitié. Son tempérament le portait assez à l'amour, mais jamais au libertinage, et rarement aux grands attachements. Il avait l'âme fière et indépendante; nulle

souplesse, nul manége : ce qui l'a rendu très-propre à peindre la vertu romaine, et très-peu propre à faire sa fortune. Il n'aimait point la cour; il y apportait un visage presque inconnu, un grand nom qui ne s'attirait que des louanges, et un mérite qui n'était point de ce pays-là. Rien n'était égal à son incapacité pour ses affaires que son aversion; les plus légères lui causaient de l'effroi et de la terreur. Quoique son talent lui eût beaucoup rapporté, il n'en était guère plus riche. Ce n'est pas qu'il eût été fâché de l'être; mais il eût fallu le devenir par une habileté qu'il n'avait pas, et par des soins qu'il ne pouvait prendre. Il ne s'était point trop endurci aux louanges à force d'en recevoir mais, s'il était sensible à la gloire, il était fort éloigné de la vanité. Quelquefois il se confiait trop peu à son rare mérite, et croyait trop facilement qu'il pût avoir des ri

vaux.

A beaucoup de probité naturelle, il a joint, dans tous les temps de sa vie, beaucoup de religion, et plus de piété que le commerce du monde n'en permet ordinairement. Il a eu souvent besoin d'être rassuré par des casuistes sur ses pièces de théâtre, et ils lui ont toujours fait grâce en faveur de la pureté qu'il avait établie sur la scène, des nobles sentiments qui règnent dans ses ouvrages, et de la vertu qu'il a mise jusque dans l'amour.

SUPPLÉMENT

A LA VIE DE CORNEILLE.

A voir M. de Corneille, on ne l'aurait pas cru capable de faire si bien parler les Grecs et les Romains, et de donner un si grand relief aux sentiments et aux pensées des héros. La première fois que je le vis, je le pris pour un marchand de Rouen. Son extérieur n'a

vait rien qui parlât pour son esprit ; et sa conversation était si pesante, qu'elle devenait à charge dès qu'elle durait un peu. Une grande princesse qui avait désiré le voir et l'entretenir, disait qu'il ne fallait point l'écouter ailleurs qu'à l'hôtel de Bourgogne. Certainement M. de Corneille se négligeait trop, ou, pour mieux dire, la nature, qui lui avait été si libérale en des choses extraordinaires, l'avait comme oublié dans les plus communes. Quand ses familiers amis, qui auraient souhaité de le voir parfait en tout, lui faisaient remarquer ses légers défauts, il souriait, et disait : Je n'en suis pas moins pour cela Pierre Corneille. Il n'a jamais parlé bien correctement la langue française; peut-être ne se mettait-il pas en peine de cette exactitude.

Quand il avait composé un ouvrage, il le lisait à madame de Fontenelle, sa sœur, qui en pouvait bien juger. Cette dame avait l'esprit fort juste; et si la nature s'était avisée d'en faire un troisième Corneille, ce dernier n'aurait pas moins brillé que les deux autres: mais elle devait être ce qu'elle a été pour donner à ses frères un neveu, digne héritier de leur mérite et de leur gloire.

Les premières pièces de théâtre de M. de Corneille ont été plus heureuses que parfaites; les dernières ont été plus parfaites qu'heureuses; et celles du milieu ont mérité l'approbation et les louanges que le public a données aux premières, moins par lumière que par sentiment. (VIGNEUL DE MARVILLE.)

Simple, timide, d'une ennuyeuse conversation, il (Corneille) prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de sa pièce que par l'argent qui lui en revient; il ne sait pas la réciter, ni lire son écriture. Laissez-le s'élever par la composition, il n'est pas au-dessous d'Auguste, de Pompée, de Nicomède, d'Héraclius; il est roi et un grand roi, il est politique, il est philosophe il entreprend de faire parler des héros, de les faire agir; il peint les Romains: ils sont plus grands

et plus Romains dans ses vers que dans leur histoire. (LA BRUYÈRE, chap. XII, des Jugements.)

Corneille étant venu un jour à la comédie, où il n'avait point paru depuis deux ans, les acteurs s'interrompirent d'eux-mêmes; le grand Condé, le prince de Conti, et généralement tous ceux qui étaient sur le théâtre, se levèrent; les loges suivirent leur exemple; le parterre se signala par des battements de mains et des acclamations qui recommencèrent à tous les entr'actes. Des marques d'une distinction si flatteuse devaient être bien embarrassantes pour un homme dont la modestie allait de pair avec le mérite. Si Corneille eût pu prévoir cette espèce de triomphe, personne ne doute qu'il ne se fût abstenu de paraître au spectacle. (Tableau historique de l'esprit des littérateurs, t. II, p. 64, 1785, in-8°. 4 vol.)

Je suis au désespoir que vous ayez eu Bajazet par d'autres que par moi... Je voulais vous envoyer la Champmêlé pour vous réchauffer la pièce. Le personnage de Bajazet est glacé; les mœurs des Turcs y sont mal observées; le dénoûment n'est point bien préparé; on n'eutre point dans les raisons de cette grande tuerie : il y a pourtant des choses agréables, mais rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine; sentons-en toujours la différence. Vive notre vieil ami Corneille! Pardonnons-lui de méchants vers en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent ce sont des traits de maître inimitables. Despréaux en dit encore plus que moi. En un mot, c'est le bon goût: tenez-vous-y. (Madame DE SÉVIGNÉ.)

Ce n'est pas la coutume de l'Académie de se lever de sa place dans les assemblées pour personne; chacun

demeure comme il est. Cependant, lorsque M. Corneille arrivait après moi, j'avais pour lui tant de vénération, que je lui faisais cet honneur. C'est lui qui a formé le théâtre français. Il ne l'a pas seulement enrichi d'un grand nombre de belles pièces toutes différentes les unes des autres, on lui est encore redevable de toutes les bonnes de tous ceux qui sont venus après lui. Il n'y a que la comédie où il n'a pas si bien réussi. Il y a toujours quelques scènes trop sérieuses: celles de Molière ne sont pas de même; tout y ressent la comédie. M. Corneille sentait bien que Molière avait eu cet avantage sur lui; c'est pour cela qu'il en avait de la jalousie, ne pouvant s'empêcher de le témoigner: mais il avait tort. (SEGRAIS.)

à une

Étant une fois près de Corneille sur le théâtre, représentation de Bajazet (1672), il me dit : Je me garderais bien de le dire à d'autres que vous, parce qu'on pourrait croire que j'en parle par jalousie; mais, prenez-y garde, il n'y a pas un seul personnage dans ce Bajazet qui ait les sentiments qu'il doit avoir, et que l'on a à Constantinople: ils ont tous, sous un habit turc, le sentiment qu'on a au milieu de la France. Il avait raison, et l'on ne voit pas cela dans Corneille : le Romain y parle comme un Romain, le Grec.comme un Grec, l'Indien comme un Indien, et l'Espagnol comme un Espagnol. (SEGRAIS.)

Faut-il mourir, madame? et, si proche du terme,
Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme
Que les restes d'un feu que j'avais cru si fort
Puissent dans quatre jours se promettre ma mort?
Tite et Bérénice, acte I, sc. II.

L'acteur Baron, qui, lors de la première représentation de cette tragédie, faisait le personnage de Domitian, et qui, en étudiant son rôle, trouvait quelque obscurité dans ces quatre vers, crut son intelligence

CORN.

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