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Beau Page, qui goûtez le repos que vous ôtez aux autres, réveillez-vous pour apprendre votre victoire. Vous avez enflammé Juanilla, qui mourra de douleur & de defefpoir fi vous dédaignez fon cœur & fa main.

Je feignis, pour l'amufer, d'être fenfible à fon amour, croyant que j'en ferois quitte pour des difcours paffionnés; mais elle s'approcha de mon lit, & m'agaça de maniere qu'il me fut impoffible de la tromper plus long-tems: Machere Juanilla, lui dis-je, que ne puis-je fceller. votre paffion du fceau de l'Hymenée ! Vous êtes la perfonne du monde pour qui j'aurois le plus de goût, fi le Ciel m'eût fait homme au lieu de me faire naître fille comme vous.

pas

Si les ténebres de la nuit ne • m'euffent caché fon visage, je fuis fùre que je l'aurois vû changer de couleur à ces paroles ; & quand elle ne put plus douter de ma fincerité, je crois qu'elle fut un peu

fâchée d'être détrompée. Néanmoins prenant en fille d'efprit le parti de rire de fon erreur, elle fe foumit de bonne grace à la néceffité. Par ma foi, s'écria-t-elle, je fuis plus heureufe que fage, & il faut avouer que je l'ai échappé belle. Quand je fonge à la foibleffe que je me fentois pour vous, je frémis d'un péril où je ne me fuis point trouvée.

Lorfque je vis qué Juanilla le prenoit fur ce ton, je fuivis fon exemple; & après nous être toutes deux répandues en plaifanteries fur cette avanture, nous nous voüâmes l'une à l'autre une éternelle amitié. Pour m'engager à lui conter mes affaires, elle me fit confidence des fiennes; & j'eus tout lieu de juger par fon recit qu'elle n'avoit pas toujours rencontré des filles fous des habits de garçon. La franchise de Juanilla excita la mienne. Je lui fis un détail fidéle de mon enlevement, & lui appris pourquoi je m'é

tois féparée de mon ravisseur. Elle me loua d'avoir eu la force de m'éloigner de ce lâche & perfide fuborneur. Enfuite, elle me confeilla de ceffer de metravestir ; afin, ajouta-t'elle, en fouriant, que d'autres filles n'y foient point attrapées.

Je n'ai pas, lui dis-je, une autre intention que celle de me mettre auprès de quelque Dame de qua lité; & je fuis en état d'acheter des habits de fille, en me défaifant d'un gros brillant que je tiens de Don Gregorio. Gardez votre diamant, interrompit Juanilla, & me laiffez fuivre une idée qui me vient. Je suis connuë, & j'ofe dire aimée d'une riche & vertueufe Dame qui fait fon fejour à Origuela depuis la mort de fon mari, qui étoit Gouverneur de Mayorque. Je ne veux que l'entretenir de vous un moment, & je ne doute pas qu'elle ne veüille

vous avoir.

Je laiffai agir Juanilla

qui me

dit dès le jour suivant : J'ai parlé à la Comteffe de Saint-Agni ; & sur le portrait que je lui ai fait de vous cette Dame a témoigné qu'elle feroit bien-aise de vous avoir. Je lui ai, à la vérité, raconté votre infortune, pardonnez-moi cette indifcretion, je ne vous en ai que mieux fervie. La Comtesse est la meilleur femme que j'aye jamais connuë; une jeune fille qui a été féduite, lui paroît plus digne de pitié que de mépris. En un mot, elle compatic à votre malheur, & n'impute votre faute qu'au traître qui vous l'a fait

commettre.

Vous êtes donc à Madame de Saint-Agni, continua la fille de l'Hôteffe. Allez la trouver tout-à-l'heure; elle veut vous voir en Page, après quoi elle vous fera donner un autre habillement. Je remerciai Juanilla du fervice qu'elle m'avoit rendu; & m'étant fait enfeigner la demeure de la Comteffe, je m'y trans portai fur le champ.

CHAPITRE II.

Dona Francifca va fe préfenter à la Comteffe de Saint-Agni. De la réception que cette Dame lui fit, de l'entretien qu'elles eurent enfemble. Caractère de la Com

teße.

V

Ous vous imaginez bien, mon Frere, pourfuivit ma Sœur, que je ne m'offris pas fans rougir à la vue d'une Dame qui fçavoit mon hiftoire. Je fis plus, je me troublai ; & quoique naturellement aflez hardie, je ne m'approchai de la Comteffe qu'en tremblant. Elle s'apperçut de mon défordre ; & pénétrant ce qui le caufoit : Raffurez vous, me dit-elle, après avoir fait fortir une femme qui étoit dans La chambre, Juanilla m'a tout dir

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