qu'elle avoit quelque goût pour moi. Néanmoins je ne pus m'empêcher de le croire ; & le Lecteur jugera par ce que je vais rapporter, fi je fus un fat de me l'imaginer.

Quelque aimable que fut encore Porcie, & quoiqu'elle me regardât d'un œil à me faire foupçonner qu'elle avoit quelque deffein fur moi ; je ne répondois nullement aux marques de bonté qu'elle me donnoit. Je n'avois des yeux que pour la jeune Nife,fa Suivante, qui de fon côté m'en voulant auffi, m'agaçoit d'une maniere plus efficace. Je ne fus point à l'épreuve de fon air coquet & piquant, malgré le fond de morale & de vertu que je m'étois fait à l'Univerfité. Nous nous lançâmes de part & d'autre des oillades fi fignificatives, que nous nous entendîmes; & bientôt l'intrigue fut noüée.

Nife ajoûtoit, à plufieurs autres talens qu'elle poffedoit, celui d'être

ingenieufe à inventer les moyens d'avoir des entretiens fecrets avec fes Amans ; & c'étoit un art dont el le avoit befoin dans une maison où elle avoit à craindre le reflentiment d'un Galant qu'elle vouloit quitter pour moi, ou du moins à qui elle prétendoit donner un afsocié. Le Valet de chambre de mon Dif ciple étoit ce Galant facrifié. Nife apparemment n'ayant pas trouvé dans fes hommages de quoi contenter la vanité, s'étoit avifée d'afpirer à la conquête de Monfieur le Précepteur.

Quoiqu'il en foit, triomphant de mon rival, fans fçavoir que j'en euffe un, je joüiffois tranquillement d'un bonheur qu'il n'ignora paslong-tems. Il eut quelque vent des converfations furtives que j'avois avec fa Princeffe; & pour s'en venger il fe réfolut à nous perdre tous deux. Il n'éclata point d'abord n'ayant pas contre nous de plus for

tes armes que des foupçons qui ne prouvoient rien. Il s'y prit avec plus de prudence. Il mit dans fes interêts tous les Laquais du logis ; & cette canaille,ordinairement ennemie des Précepteurs, entra fans peine dans le projet de fa vengeance. De forte que Nife & moi, obfervés par tant d'efpions, nous ne pûmes éviter le malheur d'être furpris dans un tête à tête.

Cette avanture fit un éclat terri ble dans la maifon du Contador. Tous les Domestiques à l'envi s'égayerent à mes dépens. Monfieur, contre l'ordinaire de fes Confreres, qui fe foucient fort peu que ces fortes de fcenes fe paffent chez eux, prit cette affaire au point d'honneur, & fe mit dans une colere effroyable. Madame,encore plus fcandalifée que Monfieur, dit que c'étoit une chofe qu'on ne devoit point pardonner: Comment,s'écria t'elle, un homme à qui je croyois des fen

timens, du goût, s'amufer à une Suivante! Enfin le résultat de cela fut que la catastrophe tomba fur moi. Porcie, qui aimoit fa Soubrette, ou qui lui avoit peut-être confié des fecrets importans, fe contenta de la gronder,& moi je fus honteusement chaffé comme un fuborneur, à caufe que je n'avois pas fait voir des fentimens plus nobles.

Ce

CHAPITRE VI

que devint notre Bachelier au fortir de chez le Contador,

JE n'eus garde, en fortant de chez

le Contador, d'aller trouver le Religieux de la Merci, qui m'auroit fans doute fait de juftes reproches fur ma fortie ; & qui ne me regardant peut-être plus que comme un miferable qu'il devoit abandonner, fe feroit fait un fcrupule de me pla

cer dans une nouvelle maison. Je n'ofai même retourner à mon hôtel garni, m'imaginant qu'on y fçavoit mon hiftoire; car quand on a fait une fottife, on croit que tout le monde en eft d'abord informé. Je me retirai dans un quartier éloigné, & j'y loüai une chambre garnie, où n'étant fans argent, je

pas

demeurai quinze jours à me confulter fur ce que je devois faire.

Je me rappellai plus d'une fois le confeil du Curé de Leganez. Jeme repentois de l'avoir négligé ; & me reprochant ma foibleffe, je ne pouvois penfer à Nife fans rougir de honte: Ah malheureux, me difoisje, eft-ce donc pour faire l'amour à des Soubrettes que tu t'es fait Précepteur? Au lieu de porter le fçandale de maison en maison, renonce à un emploi que tu remplis fi mal; ou bien, fi tu veux le continuer, purge tes mœurs, & fais tous tes efforts pour acquérir les vertus

qui