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Des fêtes de Vénus, ils célébroient la honte;
Lorsqu'à leurs yeux,, couverts d'un funeste bandeau,
La raison méconnue éteignoit son flambeau;
Philandre et moi, conduits par des clartés nouvelles,
Nous cherchions la vertu dans des routes plus belles.
L'amitié devançoit nos pas ; et les chemins

Etoient semés des fleurs qui tomboient de ses mains.
Loin du cours turbulent des passions humaines,
A l'ombre des berceaux, sur les bords des fontaines,
Dans le sein du bonheur, dans le sein de la paix,
Goûtant la volupté de deux cours.satisfaits,
Abandonnant tous deux nos âmes attendries
A ce calme, où l'on suit de douces rêveries,
Il sembloit que l'été plus beau, plus pur encor
Renouvelat pour nous, les jours de l'âge d'or.
Lorsque du sombre hiver l'haleine hyperborée
Revenoit engourdir la nature éplorée,

De sages entretiens et de nobles débats
Charmoient, dans nos foyers, la saison des frimas.
Nous passions sous nos toits et sous d'heureux ombrages
Les hivers sans ennui, les étés sans orages.

Ornement de ce globe, à fruit délicieux,
Que nourrit l'influence et la faveur des cieux;
O divine amitié, dont la tige chérie

Enveloppe de fleurs la ronce de la vie;

Toi, la volupté pure et le souverain bien!

Le nectar de l'abeille est moins doux que le tien.
Quand la félicité du séjour du tonnerre,
Précipite son vol et regarde la terre,
C'est toi que sa présence y vient favoriser.
Sous tes rameaux unis elle aime à reposer.
C'est là qu'elle s'admire et jouit d'elle-même

A l'aspect des plaisirs d'un couple heureux qui s'aime,
C'est là qu'elle pénètre au sein de deux amis,
Dans des songes rians auprès d'elle endormis.
Elle préfère au faste, au tumulte du monde,
De ces sages humains la retraite profonde.
L'amitié solitaire y triomphe du sort;
Elle y fixe le temps, y survit à la mort.

Le temps...la mort...tous deux m'ont enlevé Philandre;
Mais, sa cendre me reste et j'aime encor sa cendre.

Elle émeut à la fois ma joie et ma pitié :

Une tombe est pour moi l'autel de l'amitié,
C'est là que je l'invoque et soupire après l'heure
Qui rejoindra mon être à l'ami que je pleure.
Oui, déesse, à ton culte, à des soins si touchans
Je consacre à jamais et ma lyre et mes chants.

Toi, dont l'ambition, dans la route commune,
Suit le char fugitif de l'ingrate fortune,
Toi, Lorenzo, sais-tu de quels biens plus réels
L'amitié généreuse enrichit les mortels?
Ce couple inséparable, unis par la nature,
Le bonheur, la sagesse...un ami les procure:

Sur sa bouche éloquente on puise ses trésors.

Comme un plus doux sommeil suit les travaux du corps,
Dans un tendre commerce après s'être exercée,

L'âme avec plus de fruit médite sa pensée ;
L'esprit se développe au feu des entretiens.
Le misantrope obscur, sans amis, sans liens,
Qui promène à travers sa noire solitude.
D'un cœur désespéré la vague inquiétude,
N'ayant autour de lui que des fantômes vains, 19!
Laisse errer sans objet ses esprits incertains:
Il végète, il s'endort dans sa morne existence.
Au fond de la retraite et dans l'indifférence,
La pensée, au hasard, prend un aveugle essor:

Sans force, sans chaleur, brute et sauvage encor,
Elle parcourt ce vide, imaginaire espace
Où la confusion l'égare et l'embarrasse.
Elle y roule éperdue, y bondit tour à tour,
Rampe, s'élève, tombe et périt sans retour.
Mais, dans les entretiens, sa fougue ralentie
Obéit à des lois et marche assujettie.
Dans une route aisée, elle suit la raison,
S'arrête sous le frein, vole vous l'aiguillon:
Tel un jeune coursier, sous la main qui le dresse,
Mêle à ses mouvemens la grâce et la justesse.
Les égards, les devoirs de la société,

Et le désir de plaire et la rivalité,

Tout prête aux entretiens l'intérêt le plus tendre.
Le cœur parle à l'esprit et l'esprit sait l'entendre.
Du choc des sentimiens et des opinions
La vérité jaillit et s'échappe en rayous;
Rayons multipliés qu'elle-même rassemble

Au foyer de deux cœurs qui la cherchent ensemble:
C'est là qu'elle répand son éclat le plus pur.
Si, privé d'un ami, loin d'un commerce sûr,
Tu ne peux au-dehors déployer tes pensées,
Dans leur germe stérile elles meurent glacées.
L'amitié les féconde au feu du sentiment,
Leur donne la chaleur, l'âme et le mouvement:
Mais, lorsque dans ton sein, solitaires, captives,
Un silence orgueilleux les fait languir oisives;
C'est un foible sillon sur la poussière empreint,
Un songe qui s'efface, un flambeau qui s'éteint.
Le Dieu qui de son souffle a créé la parole,
S'il suffit de penser, nous fit un don frivole.
Mais, non: ce son de voix, cet organe enchanteur,
Interprète éloquent de l'esprit et du cœur,
Lorsqu'au fond du cerveau la raison l'a tracée,
Sur les lèvres de l'homme achève la pensée.
Là, comme un or brillant, au creuset épuré,
De la perfection elle atteint le degré.
Cet art ingénieux, l'art charmant du langage,
L'accomode à nos goûts, le plie à notre usage;
Et si la vérité l'embellit de ses traits,
Notre âme s'en saisit et l'adopte à jamais.

La science n'est rien dans l'ombre ensevelie:
En la communiquant l'esprit la multiplie.
Il en est du savoir ainsi que des trésors,

Stériles au-dedans et féconds au-dehors.

Eh! jouit-on des biens que l'on n'ose répandre?
Donner, c'est acquérir; enseigner, c'est apprendre.
Tel un arbre chargé de verdure et de fruit,

Plus riche par son luxe et donne et reproduit.
Combien de vérités qu'un silence funeste
Etouffe sous l'amas d'un savoir indigeste,

Qu'au fond de la retraite un esprit sombre et dur
Abandonne aux langueurs de son repos obscur,
Qui par d'heureux débats au jour developpées
D'une utile lumière auroient été frappées ?
C'est ainsi que les flots, l'un par l'autre brisés
S'épurent sous le choc de deux vents opposés;
Que la mer agitée en ses grottes profondes
Pousse et rejète au loin l'écume de ses ondes;
Tandis que le marais, tranquille en ses roseaux
Sur un sol infecté laisse croupir ses eaux.

Ah! quittons de nos toits l'asile solitaire !
Courons; que d'un ami la raison nous éclaire.
Jetons-nous dans ses bras, cherchons-y le bonheur
Que je plains le mortel et farouche et rêveur
Qui, prenant pour vertu l'âpreté de sa bile,
T. III. p. 4.

41

Loin des sociétés s'emprisonne et s'exile!

La sagesse de l'homme est l'art de vivre heureux:
Celle qui n'atteint pas ce terme de nos vœux,
Est plus folle en effet que ne l'est la folie:
Elle en a les travers sans l'aimable saillie:
Le fou de la nature est moins infortuné
Qu'un fou dans ses écarts tristement raisonné.
Le vrai sage n'a point l'orgueil de la sagesse:
Il est homme et sensible; un ami l'intéresse.
La nature elle-même éleva les autels,

Où l'amitié reçoit l'hommage des mortels;
A ce culte sacré son instinct nous appelle.
La pente la plus douce et la plus naturelle,
Vers un cœur qui l'attire, entraîne notre cœur.
Qui ne cède au besoin d'y verser son bonheur?
Le bonheur n'est goûté qu'autant qu'on le partage.
On le prête, on le donne, on jouit davantage.
Qu'un ingrat en lui-même ose l'envelopper,
Du vide de son âme il le sent échapper :
Appauvri dans ses mains, il l'en voit disparoître :
On n'est pas heureux seul, autant qu'on le peut être.
Je veux que mon ami soit riche de mes biens,
Que ma félicité, mes plaisirs soient les siens.
Eh! qui, sans un ami, peut se plaire à soi-même :
C'est par lui qu'on se plaît, et c'est dans lui qu'on s'aime
Nous vivons de son âme; il respire par nous.
Quand le plaisir s'arrête au fond d'un cœur jaloux,
C'est un feu sans chaleur étouffé sous la cendre;
Mais s'il se communique et sort pour se répandre,
Si du cœur d'un ami vers le mien réflété,

A son plus doux prestige il joint la volupté ;

C'est alors qu'il me brûle et redouble ses flammes: Ah! nous l'éprouvons tous; le bonheur veut deux âmes, Mais combien d'un ami le choix est dangereux! Le plus vrai, le plus sûr est l'ami vertueux. Observe; et la raison te le fera connoître. Loin de toi l'amitié que le vice a fait naître; Dans ses chastes plaisirs l'amitié veut des mœurs. Alors qu'on l'abandonne à d'impures ardeurs, L'âme se fond, s'écoule et bientôt se resserre. Du feu des passions tel est le caractère; Le cœur, qu'il amollit, reprend sa dureté ; La vertu seule émeut la sensibilité; Son charme la produit, son feu la renouvelle. Qu'il est beau de s'unir et de s'aimer pour elle! On l'aime, on la cultive, on la cherche à l'envi; L'un par l'autre entraîné, l'un de l'autre suivi, On court dans sa carrière, on se hâte, on s'élance. Noble émulation, heureuse concurrence, Le plus beau des présens que l'amitié nous fait, Son lien le plus fort et son plus noble attrait; Par elle, deux amis, dans un élan sublime, Des plus hautes vertus vont atteindre la cime: Les cieux sont abaissés sous un vol aussi prompt, Aux célestes parvis tous deux entrent de front; Et l'immortalité, les recevant ensemble, Eternise en son sein le noeud qui les rassemble. Toi, qui de l'amitié recherches la faveur, A ses devoirs sacrès accoutume ton cœur. Sais-tu pourquoi les grands l'éprouvent infidèle ? C'est que par un orgueil, humiliant pour elle, Ils pensent qu'attentive à prévenir leurs vœux Elle cède à l'appas d'un souris dédaigneux; Que, du faste éblouie et par l'or abusée, Elle offre à leurs désirs une victoire aisée. C'est que leur vanité, leur flegme indifférent

Reçoit, comme un tribut, l'hommage qu'on leur rend.
Pareils à ces beautés, à ces froides syrènes,

Qui sous des nœuds de fleurs nous présentent des chaînes;
De cent pièges cachés ils entourent nos pas,

Souples dans la conquête et conquérans ingrats.
Mais leur amorce est vaine et leurs dons sont frivoles :
Oui, riches indigens, insensibles idoles,

Au nombre de vos biens si notre amour est mis,
Votre calcul est faux, vous n'avez point d'amis.
Est ce au poids des trésors que l'amitié s'achète?
Dans quelle illusion ce préjugé vous jette?
Sachez que de l'amour, l'amour seul est le prix.
On prodigue avec l'or l'insulte et le mépris.
Fier mortel! aime-moi, si tu veux que je t'aime;
Tu me veux pour ami, sois mon ami toi-même;
Voilà notre traité, c'est celui de l'honneur;
Tu n'es que mon égal et mon cœur vaut ton cœur.
Apprends que l'amitié, si tes soins l'ont trouvée,
Est par les mêmes soins acquise et conservée.
Une ombre, une vapeur obscurcit ses beaux jours:
Un souffle l'inquiète et la trouble en son cours;
Un soupçon l'avilit, la réserve la blesse :

Sa sensibilité fait sa délicatesse.

Connois donc le mortel qui recevra ta foi:
Délibère avec lui, délibère avec toi.
Approfondis son ètre, examine, apprécie:
Crains l'éclat séduisant de la superficie.
Souvent un beau dehors est le masque du cœur:
Sonde tous les replis, choisis avec lenteur;
Mais ton choix est-il fait ? bannis l'inquiétude.
Non, plus de crainte alors, et plus d'incertitude:
Que ta main serre en paix le nœud qu'elle a formé :
Sois tout à ton ami, dès que tu l'as nommé.
Sans cette confiance aveugle, abandonnée,
Ton âme est-elle heureuse et s'est-elle donnée?
Ah! si quelque péril suit tes nouveaux liens,
Qu'importe? il est payé par le plus grand des biens.
Non, non, le sort des rois ne pourroit me séduire.
Moi, j'envirois la pompe et l'éclat de leur cour?
Le cœur de mon ami vaut lui seul un empire;
Et monarque adoré je règne par l'amour.

Aux jours de mon bonheur ainsi chantoit Philandre:
Sa lyre à mes côtés rendoit un son plus tendre.
Combien de fois sa vue échauffa mes esprits!
De pampres et de fleurs couronné par les ris,
Combien de fois vint-il, plein de joie et d'ivresse,
M'offrir dans nos festins la coupe enchanteresse!
Ah! je croyois la boire à la table des dieux!
Le front calme, et les bras étendus vers les cieux,
Philandre, ton ami prioit les destinées

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De filer en or pur tes heureuses années.
Vains souhaits!...Cependant par tes mains présenté,
Le nectar dans mes sens portoit la volupté.
Ah! l'amitié sans doute est celui de la vie!
C'est toi, qui le versois dans mon âme ravie.
Philandre, chaque jour il devenoit plus doux;
Trois lustres écoulés l'avoient mûri pour nous:
Ce n'est que par le temps qu'il s'épure et fermente:
On se trompe aux douceurs d'une amitié naissante.
Depuis quinze ans... Alors je ne les comptois pas,
Mon malheureux ami m'enivroit dans ses bras.

Où retrouver jamais et qui pourra me rendre
Le naturel heureux, la vertu de Philandre?
Son cœur vrai méconnut l'imposture et le fard;
La bonté se peignoit dans son tendre regard :
Sa bouche, avec candeur, déployoit le sourir

Epanché près de moi dans un libre délire,
De toutes ses vertus il venoit m'enflammer:
Il m'enorgueillissoit du bonheur de l'aimer.
Jouissance si chère et toujours regrettée,
Félicité céleste, ô toi que j'ai goûtée!
C'en est fait, les plaisirs sont à jamais perdus.

Tu n'es plus, dans un monde où Philandre n'est plus.
Young, imitation de Colardeau.

314. Réponse à une Dame, ou soi-disant telle.

Tu commences par me louer,

Tu veux finir par me connoître.

Tu me loueras bien moins; mais il faut t'avouer
Ce que je suis, ce que je voudrois être.
J'aurai vu dans trois ans passer quarante hivers.
Apollon présidoit au jour qui m'a vu naître.
Au sortir du berceau j'ai bégayé des vers;
Bientôt ce dieu puissant m'ouvrit son sanctuaire:
Mon cœur vaincu par lui, se rangea sous sa loi.
D'autres ont fait des vers, par le désir d'en faire;
Je fus poëte malgré moi.

Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon âme;
Tout art à mon hommage, et tout plaisir m'enflamme.
La peinture me charme; on me voit quelquefois,
Au palais de Philippe, ou dans celui des rois,
Sous les efforts de l'art admirer la nature,
Du brillant Cagliari saisir l'esprit divin,
Et dévorer des yeux la touche noble et sûre
De Raphaël et du Poussin.

De ces appartemens qu'anime la peinture;
Sur les pas du plaisir je vole à l'opéra.
J'applaudis tout ce qui me touche,
La fertilité de Campra,

La gaîté de Mouret, les grâces de Destouche:
Pelissier par son art, le More par sa voix,

Tour à tour ont mes vœux, et suspendent mon choix.
Quelquefois embrassant la science hardie,

Que la curiosité

Honora par vanité

Du nom de philosophie,

Je cours après Newton dans l'abîme des cieux;
Je veux voir si des nuits la courrière inégale,
Par le pouvoir changeant d'une force centrale,
En gravitant vers nous s'approche de nos yeux,
Et pèse d'autant plus qu'elle est près de ces lieux,
Dans les limites d'un ovale.

J'en entends raisonner les plus profonds esprits,
Maupertuis et Clairaut, calculante cabale.
Je les vois qui des cieux franchissent l'intervalle,
Et je vois trop souvent, que j'ai très-peu compris.
De ces obscurités je passe à la morale;

Je lis au cœur de l'homme, et souvent j'en rougis.
J'examine avec soin les informes écrits,
Les monumens épars, et le style énergique
De ce fameux Pascal, ce dévot satyrique.
Je vois ce rare esprit trop prompt à s'enflammer;
Je combats ses rigueurs extrêmes:

11 enseigne aux humains à se haïr eux-mêmes;
Je voudrois malgré lui leur apprendre à s'aimer.
Ainsi mes jours égaux que les muses remplissent,
Sans soins, sans passions, sans préjugés fâcheux,
Commencent avec joie, et vivement finissent,
Par des soupers délicieux.

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