Que ceux qui, plus hardis, percent de la montagne Les sentiers tortueux.
Toutefois c'est ainsi que nos maîtres célèbres Ont dérobé leurs noms aux épaisses ténèbres De leur antiquité;
Et ce n'est qu'en suivant leur périlleux exemple, Que nous pouvons, comme eux, arriver jusqu'au temple De l'immortalité.
§ 4. Ode au prince Eugène.
Est-ce une illusion soudaine Qui trompe mes regards surpris ? Est-ce un songe dont l'ombre vaine Trouble mes timides esprits? Quelle est cette déesse énorme, Ou plutôt ce monstre difforme Tout couvert d'oreilles et d'yeux, Dont la voix ressemble au tonnerre, Et qui, des pieds touchant la terre, Cache sa tête dans les cieux ?
C'est l'inconstante renommée, Qui, sans cesse les yeux ouverts, Fait sa revue accoutumée Dans tous les coins de l'univers. Toujours vaine, toujours errante, Et messagère indifférente Des vérités et de l'erreur, Sa voix, en merveilles féconde, Va chez tous les peuples du monde Semer le bruit et la terreur.
Quelle est cette troupe sans nombre D'amans autour d'elle assidus, Qui viennent en foule à son ombre Rendre leurs hommages perdus? La vanité qui les enivre, Sans relâche s'obstine à suivre L'éclat dont elle les séduit; 'Mais bientôt leur âme orgueilleuse Voit sa lumière frauduleuse Changée en éternelle nuit.
O toi qui, sans lui rendre horhmage, Et sans redouter son pouvoir, Sus toujours de cette volage Fixer les soins et le devoir, Héros, des héros le modèle, Etoit-ce pour cette infidèle
Qu'on t'a vu, cherchant les hasards, Braver mille morts toujours prêtes, Et dans les feux et les tempêtes Défier la fureur de Mars?
Non, non; ses lueurs passagères N'ont jamais ébloui tes sens; A des déités moins légères Ta main prodigue son encens: Ami de la gloire solide, Mais de la vérité rigide Encor plus vivement épris,
Sous ses drapeaux seuls tu te ranges;
Et ce ne sont point les louanges, C'est la vertu, que tu chéris.
Tu méprises l'orgueil frivole De tous ces héros imposteurs Dont la fausse gloire s'envole Avec la voix de leurs flatteurs: Tu sais que l'équité sévère A cent fois du haut de leur sphère Précipité ces vains guerriers, Et qu'elle est l'unique déesse Dont l'incorruptible sagesse Puisse éterniser tes lauriers.
Ce vieillard qui d'un vol agile Fuit sans jamais être arrêté, Le temps, cette image mobile De l'immobile éternité, A peine du sein des ténèbres Fait éclore les faits célèbres, Qu'il les replonge dans la nuit : Auteur de tout ce qui doit être, Il détruit tout ce qu'il fait naître A mesure qu'il le produit.
Mais la déesse de mémoire, Favorable aux noms éclatans, Soulève l'équitable histoire Contre l'iniquité du temps; Et, dans le régistre des âges Consacrant les nobles images Que la gloire lui vient offrir, Sans cesse en cet auguste livre Notre souvenir voit revivre Ce que nos yeux ont vu périr.
C'est là que sa main immortelle, Mieux que la déesse aux cent voix, Saura, dans un tableau fidèle, Immortaliser tes exploits: L'avenir, faisant son étude De cette vaste multitude D'incroyables événemens, Dans leurs vérités authentiques, Des fables les plus fantastiques Retrouvera les fondemens.
Tous ces traits incompréhensibles Par les fictions ennoblis
Dans l'ordre des choses possibles Par là se verront rétablis.
Chez nos neveux moins incrédules,
Les vrais Césars, les faux Hercules, Seront mis en même degré ; Et tout ce qu'on dit à leur gloire, Et qu'on admire sans le croire, Sera cru sans être admiré.
Guéris d'une vaine surprise, Ils concevront sans être émus Les faits du petit-fils d'Acrise, Et tous les travaux de Cadmus : Ni le monstre du labyrinthe, Ni la triple chimère éteinte, N'étonneront plus la raison; Et l'esprit avoûra sans honte Tout ce que la Grèce raconte Des merveilles du fils d'Eson.
Et pourquoi traiter de prestiges Les aventures de Colchos? Les dieux n'ont-ils fait des prodiges Que dans Thèbes ou dans Argos? Que peuvent opposer les fables Aux prodiges inconcevables Qui, de nos jours exécutés, Ont cent fois dans la Germanie, Chez le Belge, dans l'Ausonie, Frappé nos yeux épouvantés ?
Mais ici ma lyre impuissante N'ose seconder mes efforts; Une voix fière et menaçante Tout à coup glace mes transports: Arrête, insensé, me dit-elle; Ne va point d'une main mortelle Toucher un laurier immortel: Arrête; et, dans ta folle audace, Crains de reconnoître la trace Du sang dont fume ton autel.
Le terrible dieu de la guerre, Bellone, et la fière Atropos, N'ont que trop effrayé la terre Des triomphes de ton héros ; Ces dieux, ta patrie elle-même Rendront à sa valeur suprême D'assez authentiques tributs: Admirateur plus légitime, Garde tes vers et ton estime Pour de plus tranquilles vertus.
Ce n'est point d'un amas funeste De massacres et de débris Qu'une vertu pure et céleste Tire son véritable prix : Un héros qui de la victoire Emprunte son unique gloire N'est héros que quelques momens ; Et, pour l'être toute sa vie, Il doit opposer à l'envie De plus paisibles monumens.
En vain ses exploits mémorables Etonnent les plus fiers vainqueurs: Les seules conquêtes durables Sont celles qu'on fait sur les cœurs. Un tyran cruel et sauvage T. III. p. 3.
Dans les feux et dans le ravage N'acquiert qu'un honneur criminel: Un vainqueur qui sait toujours l'être Dans les cours dont il se rend maître S'élève un trophée éternel.
C'est par cette illustre conquête, Mieux encor que par ses travaux, Que ton prince élève sa tête Au-dessus de tous ses rivaux: Grand par tout ce que l'on admire, Mais plus encor, j'ose le dire, Par cette héroïque bonté, Et par cet abord plein de grâce Qui des premiers âges retrace L'adorable simplicité.
Il sait qu'en ce vaste intervalle Où les destins nous ont placés, D'une fierté qui les ravale Les mortels sont toujours blessés; Que la grandeur fière et hautaine N'attire souvent que leur haine Lorsqu'elle ne fait rien pour eux; Et que, tandis qu'elle subsiste, Le parfait bonheur ne consiste Qu'à rendre les hommes heureux.
A toute la race future Servir de modèle et de loi ; Et ton intégrité profonde Etre à jamais l'amour du monde, Comme ton bras en fut l'effroi !
§ 5. Ode au duc de Vendôme.
Après que cette île guerrière, Si fatale aux fiers Ottomans, Eût mis sa puissante barrière A couvert de leurs armemens, Vendôme, qui, par sa prudence, Sut y rétablir l'abondance Et pourvoir à tous ses besoins, Voulut céder aux destinées, Qui réservoient à ses années D'autre climats et d'autres soins.
Mais, dès que la céleste voûte Fut ouverte au jour radieux Qui devoit éclairer la route De ce héros ami des dieux, Du fond de ses grottes profondes Neptune éleva sur les ondes Son char de Tritons entouré; Et ce Dieu, prenant la parole, Aux superbes enfans d'Eole Adressa cet ordre sacré :
Allez, tyrans impitoyables Qui désolez tout l'univers, De vos tempêtes effroyables Troubler ailleurs le sein des mers: Sur les eaux qui baignent l'Afrique C'est au Vulturne pacifique Que j'ai destiné votre emploi: Partez et que votre furie Jusqu'à la dernière Hespérie Respecte et subissé sa loi.
Mais, vous, aimables Néréides, Songez au sang du grand Henri, Lorsque nos campagnes humides Porteront ce prince chéri: Applanissez l'onde orageuse: Secondez l'ardeur courageuse De ses fidèles matelots: Venez; et d'une main agile Soutenez son vaisseau fragile, Quand il roulera sur mes flots.
Ce n'est pas la première grâce Qu'il obtient de notre secours: Dès l'enfance, sa jeune audace Osa vous confier ses jours: C'est vous qui, sur ce moite empire, Au gré du volage zéphyre Conduisiez au port son vaisseau, Lorsqu'il vint, plein d'un si beau zèle, Au secours de l'île où Cybèle Sauva Jupiter au berceau.
Dès lors quels périls, quelle gloire, N'ont point signalé son grand cœur? Ils font le plus beau de l'histoire D'un héros en tous lieux vainqueur, D'un frère....Mais le ciel, avare De ce don si cher et si rare, L'a trop tôt repris aux humains. C'est à vous seuls de l'en absoudre, Trônes ébranlés par sa foudre, Sceptres raffermis par ses mains.
Non moins grand, non moins intrépide, On le vit, aux yeux de son roi, Traverser un fleuve rapide, Et glacer ses rives d'effroi.
que d'une ardeur sanguinaire Un jeune aiglon, loin de son aire Emporté plus prompt qu'un éclair, Fond sur tout ce qui se présente, Et d'un cri jette l'épouvante Chez tous les habitants de l'air.
Bientôt sa valeur souveraine, Moins rebelle aux leçons de l'art, Dans l'école du grand Turenne Apprit à fixer le hasard.
C'est dans cette source fertile Que son courage plus utile, De sa gloire unique artisan, Acquit cette hauteur suprême Qu'admira Bellone elle-même Dans les campagnes d'Orbassan.
Est-il quelque guerre fameuse Dont il n'ait partagé le poids? Le Rhin, le Pô, l'Ebre, la Meuse, Tour à tour ont vu ses exploits. France, tandis que tes armées. De ses yeux furent animées, Mars n'osa jamais les trahir; Et la fortune permanente A son étoile dominante Fit toujours gloire d'obéir.
Mais quand de lâches artifices T'eurent enlevé cet appui, Tes destins, jadis si propices, S'exilèrent tous avec lui:
Un Dieu plus puissant que tes armes Frappa de paniques alarmes Tes plus intrépides guerriers; Et sur tes frontières célèbres Tu ne vis que cyprès funèbres Succéder à tous tes lauriers.
O détestable calomnie, Fille de l'obscure fureur, Compagne de la zizanie, Et mère de l'aveugle erreur! C'est toi dont la langue aiguisée De l'austère fils de Thésée Osa déchirer les vertus;
C'est par toi qu'une épouse indigne. Arma contre un héros insigne La crédulité de Prétus.
Dans la nuit et dans le silence Tu conduis tes coups ténébreux: Du masque de la vraisemblance Tu couvres ton visage affreux : Tu divises, tu désespères Les amis, les époux, les frères: Tu n'épargnes pas les autels; Et ta fureur envenimée, Contre les plus grands nons armée, Ne fait grâce qu'aux vils mortels.
Voilà de tes agens sinistres Quels sont les exploits odieux: Mais enfin ces lâches ministres Epuisent la bonté des dieux: En vain, chéris de la fortune, Ils cachent leur crainte importune, Enveloppés dans leur orgueil : Le remords déchire leur âme; Et la honte qui les diffâme Les suit jusque dans le cercueil.
Vous rentrerez, monstres perfides, Dans la foule où vous êtes nés; Aux vengeances des Euménides Vos jours seront abandonnés: Vous verrez, pour comble de rage, Ce prince, après un vain orage, Paroître en sa première fleur, Et, sous une heureuse puissance, Jouir des droits que la naissance Ajoute encore à sa valeur.
Mais déjà ses humides voiles Flottent dans mes vastes déserts: Le soleil, vainqueur des étoiles, Monte sur le trône des airs. Hâtez-vous, filles de Nérée; Allez sur la plaine azurée Joindre vos Tritons dispersés: Il est temps de servir mon zèle: Allez; Vendôme vous appelle ; Neptune parle; obéissez.
Il dit: et la mer, qui s'entr'ouvre, Déjà fait briller à ses yeux De son palais qu'elle découvre L'or et le crystal précieux. Cependant la nef vagabonde Au milieu des nymphes de l'onde Vogue d'un cours précipité : Telle qu'on voit rouler sur l'herbe, Un char triomphant et superbe, Loin de la barrière emporté.
Enfin, d'un prince que j'adore Les dieux sont devenus l'appui : Il revient éclairer encore Une cour plus digne de lui: Déjà d'un nouveau phénomène L'heureuse influence y ramène Les jours d'Astrée et de Thémis : Les vertus n'y sont plus en proie A l'avare et brutale joie De leurs insolens ennemis.
Un instinct né chez tous les hommes, Et chez tous les hommes égal, Nous force tous, tant que nous sommes, D'aimer notre séjour natal; Toutefois, quels que puissent être Pour les lieux qui nous ont vus naître Ces mouvemens respectueux, La vertu ne se sent point née Pour voir sa gloire profanée Par le vice présomptueux.
Ulysse, après vingt ans d'absence, De disgrâces et de travaux, Dans le pays de sa naissance Vit finir le cours de ses maux. Mais il eut trouvé moins pénible De inourir à la cour paisible Du généreux Alcinous, Que de vivre dans sa patrie, Toujours en proie à la furie D'Eurymaque ou d'Antinoüs.
§. Ode à Malherbe.
Si du tranquille Parnasse Les habitans renommés Y gardent encor leur place Lorsque leurs yeux sont fermés; Et si, contre l'apparence, Notre farouche ignorance Et nos insolens propos Dans ces demeures sacrées De leurs âmes épurées Troublent encor le repos;
Que dis-tu, sage Malherbe, De voir tes maîtres proscrits Par une foule superbe De fanatiques esprits Et dans ta propre patrie Renaître la barbarie De ces temps d'infirmité Dont ton immortelle veine Jadis avec tant de peine Dissipa l'obscurité ?
Peux-tu, malgré tant d'hommages, D'encens, d'honneurs, et d'autels, Voir mutiler les images
De tous ces morts immortels Qui, jusqu'au siècle où nous sommes, Ont fait chez les plus grands hommes Naître les plus doux transports, Et dont les divins génies De tes doctes symphonies Ont formé tous les accords?
Animé par leurs exemples Soutenu par leurs leçons, Tu fis retentir nos témples De tes célestes chansons Sur la montagne Thébaine Ta lyre fière et hautaine
Consacra l'illustre sort D'un roi vainqueur de l'envie, Vraiment roi pendant sa vie, Vraiment grand après sa mort.
Maintenant ton ombre heureuse, Au comble de ses désirs, De leur troupe généreuse Partage tous les plaisirs. Dans ces bocages tranquilles, Peuplés de myrtes fertiles. Et de lauriers toujours verts, Tu mêles ta voix hardie A la douce mélodie De leurs sublimes concerts.
Là, d'un Dieu fier et barbare Orphée adoucit les lois: Ici le divin Pindare Charme l'oreille des rois : Dans tes douces promenades Tu vois les folles Ménades Rire autour d'Anacréon,
Et les Nymphes, plus modestes, Gémir des ardeurs funestes De l'amante de Phaon.
A la source d'Hippocrène, Homère, ouvrant ses rameaux, S'élève comme un vieux chêne Entre de jeunes ormeaux: Les savantes immortelles, Tous les jours, de fleurs nouvelles Ont soin de parer son front; Et par leur commun suffrage Avec elles il partage Le sceptre du double mont.
Ainsi les chastes déesses, Dans ces bois verts et fleuris, Comblent de justes largesses Leurs antiques favoris. Mais pourquoi leur docte lyre Prendroit-elle un moindre empire Sur les esprits des neuf sœurs, Si de son pouvoir suprême Pluton, Cerbère lui-même, Ont pu sentir les douceurs?
Quelle est donc votre manie, Censeurs dont la vanité De ces rois de l'harmonje', Dégrade la majesté ;
Et qui, par un double crime, Contre l'Olympe sublime Lançant vos traits venimeux, Osez, dignes du tonnerre, Attaquer ce que la terre Eut jamais de plus fameux ?
Impitoyables Zoïles.
Plus sourds que le noir Pluton, Souvenez-vous, âmes viles, Du sort de l'affreux Python: Chez les filles de mémoire Allez apprendre l'histoire
De ce serpent abhorré, Dont l'haleine détestée De sa vapeur empestée Souilla leur séjour sacré.
Lorsque la terrestre masse Du déluge eut bu les eaux, Il effraya le Parnasse Par des prodiges nouveaux : Le ciel vit ce monstre impie, Né de la fange croupie Au pied du mont Pélion, Souffler son infecte rage Contre le naissant ouvrage Des mains de Deucalion.
Mais le bras sûr et terrible Du Dieu qui donne le jour Lava dans son sang horrible L'honneur du docte séjour. Bientôt de la Thessalie, Par sa dépouille ennoblie, Les champs en furent baignés; Et du Céphise rapide Son corps affreux et livide Grossit les flots indignés.
De l'écume empoisonnée De ce reptile fatal Sur la terre profanée Naquit un germe infernal; Et de là naissent les sectes De tous ces sales insectes De qui le souffle envieux Ose d'un venin critique Noircir de la Grèce antique Les célestes demi-dieux.
A peine, sur de vains titres, Intrus au sacré vallon, Ils s'érigent en arbitres Des oracles d'Apollon: Sans cesse dans les ténèbres Insultant les morts célèbres, Ils sont comme ces corbeaux De qui la troupe affamée, Toujours de rage animée, Croasse autour des tombeaux.
Cependant, à les entendre, Leurs ramages sont si doux, Qu'aux bords même du Méandre Le cygne en seroit jaloux; Et quoiqu'en vain ils allument L'encens dont ils se parfument Dans leurs chants étudiés; Souvent de ceux qu'ils admirent, Lâches flatteurs, ils attirent Les éloges mendiés,
Une louange équitable Dont l'honneur seul est le but, Du mérite véritable
Est le plus juste tribut: Un esprit noble et sublime, Nourri de gloire et d'estime,
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