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CHAPITRE IV.

Gervais.

Nous avons dit que Richer mourut le 8 Mai 1121. Gervais

fut élu d'une voix unanime pour lui fuccéder. Il prit le premier le titre d'Abbé & fe fit bénir en cette qualité par Robert, Évêque d'Arras. Il est dépeint dans l'Hiftoire comme un homme d'un caractère très-humain. Il faut qu'il ait eu d'ailleurs de grandes vertus & une force d'ame extraordinaire pour entreprendre & confommer une réforme auffi févere que celle qu'il introduifit dans fa Maison, & qui s'étendit de fon tems jusqu'aux extrémités de l'Europe. Il paroît que la regle fimple de Saint Augustin avoit été jusqu'à lui la feule que connuffent les Religieux d'Arrouaife. Il ajouta le premier à cette regle des conftitutions austeres & monacales qui firent douter depuis s'il avoit fondé un nouvel Ordre de Moines ou feulement réformé des Chanoines Réguliers.

Ive de Chartres, mort à la fin de 1115, avoit favorisé la vie canonique & pouvoit en être regardé comme le reftaurateur en France. St. Norbert étoit occupé à fonder Prémontré, berceau de fon Ordre: celui de Citeaux commençoit à s'étendre; il avoit tenu fon premier Chapitre général en 1116, & établi des Constitutions particulieres dans celui de 1119. Ces Conftitutions nommées la Charte de Charité, Carta Charitatis, avoient été confirmées la même année par le Pape Calixte II. Comme il étoit infiniment plus aifé de difcipliner ces nouveaux Religieux que de ramener les anciens à leurs regles, le zele, la ferveur, la fainteté regnoient, la Religion fleuriffoit dans les Cloîtres que l'on voyoit s'élever chaque jour. La réputation de

1121

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Saint Bernard ne fervit pas peu à la propagation de la réforme de Citeaux. Connu déjà du Légat Conon par fa naiffance, fes talents & ses vertus il le fut également de Gervais, & la tradition veut qu'il foit venu lui-même à l'Abbaye d'Arrouaise. J'ai vu encore une Croffe dont l'on prétendoit qu'il s'y étoit fervi dans une folemnité. Cela peut-être. St. Gilbert de Sempringam Fondateur d'une Congrégation de Chanoines Réguliers en Angleterre, étant allé au Chapitre général de Citeaux, en l'année 1148, St. Bernard & St. Malachie avec qui il étoit lié d'une étroite amitié, lui firent chacun préfent de leur Croffe. Quoi qu'il en foit, Gervais entreprit auffi de fonder un nouvel Ordre ou Congrégation, & fe conduifit en cela d'après les confeils du Saint Abbé de Clairvaux. Quand nous n'aurions pas Gautier pour garant de ce fait, nous pourrions l'affirmer au feul aspect de la réforme établie à Arrouaife, abfolument calquée fur celle de Citeaux. Le nouvel Abbé ne commença cependant point ce grand ouvrage fans avoir confulté le Légat, qu'il alla joindre au Concile de Soissons, tenu en 1121. Conon applaudit aux pieux deffeins de l'Abbé Gervais, qui indiqua un Chapitre général pour le 21 Septembre de la même année. Mais il ne faut pas croire, comme on l'a écrit, que les Chefs des Colonies forties de l'Abbaye d'Arrouaife, aient compofé ce Chapitre. Elle ignoroit encore alors ce que c'étoit que filiation. Le Chapitre où fut propofée & exécutée la réforme de Gervais, ne pouvoit être compofé que des Religieux d'Arrouaife, foit clauftraux foit externes. Les Prieur & Religieux de la Celle de Margelles, les Prieurs-Curés de Buquoy & de Gouy, étoient les feuls externes qui puffent être convoqués à ce Chapitre, dont je ne crois pas d'ailleurs qu'on ait rédigé les Actes par écrit. Mais il eft certain que les Constitutions propofées par Gervais y furent reçues & adoptées. Dès ce

moment

moment les Religieux d'Arrouaife s'obligerent à s'abstenir de manger de la viande & de porter des chemises de lin. Le travail des mains & un perpétuel filence leur furent impofés. Mais le point effentiel auquel s'attacha Gervais, fut l'Office Divin. Il établit une Liturgie particuliere qui devint célebre. Enfin il fit des Statuts, mais fans toucher à la regle de Saint Augustin qui fut toujours celle de ses Religieux. C'est auffi ce qu'affirme Jacques de Vitri qui vivoit un fiecle après lui. (a) « Il y a encore, écrit ce Cardinal, d'autres Chanoines Régu» liers que l'on dit d'Arrouaife, du nom de l'Abbaye qui » embrassa la premiere cet Inftitut, fituée dans le Diocese » d'Arras, & Chef de toutes les autres. Ils ont confervé le » fond de la regle de St. Auguftin: mais pour mieux com» battre les vices de la chair & de la concupifcence, ils ont » banni les viandes de leurs réfectoires; ils ne portent point » de chemises & dorment dans un dortoir commun avec leurs » tuniques de laine. Ils ont adapté à ce même fond d'autres » Constitutions utiles & fages pour se mettre plus à l'abri des » tentations qui nous environnent; & comme, lorsqu'il y a » plufieurs Communautés d'une même Religion, rien ne lui » prête plus de force que leur dépendance d'un feul Supérieur lequel en qualité de Chef les gouverne ainfi que des mem» bres qui lui font propres, ils tiennent une fois chaque année » une Affemblée où préfide l'Abbé général, afin que tous les » Abbés de l'Ordre, d'un concert unanime & felon que l'exige » le bien de la Religion, corrigent ce qui eft à corriger, >> retranchent ce qui eft fuperflu, établissent & ajoutent ce » qu'il convient d'ajouter, en raison du changement des tems » & de l'inftabilité des chofes humaines, &c. »

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(a) Hiftor, occid. Cap. 23.

E

L'Abbaye d'Hénin- Liétard, fituée entre Douai & Lens, fut la premiere qui embraffa la réforme de Gervais. C'étoit dans l'origine une Églife Collégiale fondée vers l'an 1040, par Robert avoué d'Arras, pour douze Chanoines. Ils fe foumirent à la vie commune & à la regle de Saint Auguftin par le confeil de l'Évêque d'Arras, Lambert, au commencement de son Episcopat, & enfin aux nouveaux Statuts de l'Abbaye d'Arrouaife. Leur Eglife étoit encore dans la dépendance des Laïques en 1123. Mais Charles le Bon, Comte de Flandre, l'affranchit la même année de toute puiffance féculiere du confentement des parties intéreffées & notamment de Bauduin fils de Liétard, (d'où eft venue fans doute la dénomination d'Hénin-Liétard.) « Il la remit libre & indépendante à Dieu, » à Saint Martin, & à Étienne Abbé de ladite Eglife, pour » lui & fes Succeffeurs qui vivroient felon la regle de Saint

Auguftin & les conftitutions de l'Eglife d'Arrouaife.» (b) Tel eft le premier monument où l'on trouve une Maison Religieufe dans la dépendance de celle d'Arrouaife. C'est pourquoi dans la Congrégation, après le Général, les Abbés d'Hénin obtinrent le premier rang, & jouirent de diveries prérogatives qui y étoient attachées.

La feconde Maifon unie à l'Ordre d'Arrouaife eft celle de Sainte Marie de Ruiffeauville, Diocefe de Boulogne. Cette Eglife avoit été donnée aux Chanoines d'Arrouaife. L'acte par lequel elle fut érigée en Abbaye eft d'autant plus remarquable, qu'il indique les fondements pofés par l'Abbé Gervais pour établir fa réforme. Préférant la propagation de l'Ordre à l'avantage temporel de la Maifon qu'il gouvernoit, il fit élire parmi fes Religieux un Abbé qu'il préfenta à l'Évêque de

(b) De Locre, p. 282,

Térouanne, pour le placer à Ruisseauville. (c) L'Évêque approuva fon zele & remplit fes défirs par un Décret du 12 Juin 1127, confirmatif de l'élection du premier Abbé de Ruiffeauville, Henri, à condition qu'il jureroit obéissance à lui & à fon Siége. « Que le nouvel Abbé, dit-il, foit fidele à » obferver les conftitutions & les ufages d'Arrouaife & à les » faire observer à fes Religieux. Si par inconstance il se relâche » de la rigueur de l'Ordre, & ne fe corrige pas après avoir » été admonété une feconde & une troifieme fois par l'Abbé » d'Arrouaife, qu'il foit dépofé & renvoyé dans fon Cloître; » que fa place foit remplie de l'avis & felon la difpofition de » l'Abbé Gervais par un autre Supérieur capable de gouverner » la Maison de Dieu. Dans le cas où il viendroit à mourir » ou à quitter pour quelque autre caufe le gouvernement de » sa Maison, si l'on y trouve un Frere digne de commander » aux autres, qu'il foit élu, finon, que l'on en prenne un dans » l'Abbaye d'Arrouaise d'après l'avis de l'Abbé de cette Maison. »

Cet accord arrêté entre Gervais & l'Évêque de Térouanne fervit de modele à ceux qui ont été paffés dans la fuite en faveur d'autres Maifons, quelquefois avec des modifications, mais peu importantes. Le but de Gervais étant d'étendre au loin fon Institut, il étoit nécessaire que tous les Abbés fuffent étroitement liés avec le Général, afin de conferver dans leurs Maisons l'efprit de la regle delà vint le Droit des Abbés d'Arrouaise d'avoir la premiere voix dans les élections; Droit qui leur fut fouvent contesté & qui prit différentes formes.

Quand M. Hatté Abbé d'Arrouaife à la fin du dernier fiecle, projeta le rétablissement de la Congrégation & demanda en

(c) C'étoit Jean I, le même qui avoit confacré l'Églife d'Arrouaife en 1106. V. P. juftificatives N.° 11.

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