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elle eut encore la gloire d'y envoyer des Colonies qui rendirent son Institut célebre. Ces nouvelles Eglifes & quelques autres déjà fondées qui embrafferent le même Inftitut, formerent longtemps fous le Chef-Lieu d'Arrouaise, l'Ordre ou Congrégation des Chanoines Péguliers dits Arroafiens.

Cette Abbaye eut d'abord différents noms, & dans les tems les plus proches de son érection, on la trouve également nommée Abbatia Sanctæ Trinitatis, Sancti Nicolai, in Arida-Gamantia, in Arroafia, & de Trunco-Berengarii.

Il est hors de doute qu'Arroafia a été formé par corruption d'Arida-Gamantia. (a) Mais pour ce qui eft du mot Gamantia, je ne puis croire qu'il vienne du Celtique comme plufieurs l'ont avancé. (b) Sa racine, difent-ils, eft le mot Gaw, qui fignifie Terre. J'ai cherché en vain ce mot dans le Dictionnaire de la Langue Bretonne: je n'y ai même trouvé rien de femblable. Le mot Gaw d'ailleurs fût-il Celtique, je ne vois pas pourquoi il s'enfuivroit que celui de Gamantia en dérivât. Il y a bien plus d'apparence que ce dernier doit fon origine à la Langue Grecque. Voici quelles font mes conjectures à ce fujet.

Le Pays ou Canton d'Arrouaise connu en Latin fous la dénomination d'Arida-Gamantia, étoit autrefois une Forêt qui s'étendoit depuis Encre, aujourd'hui Albert, jufqu'à la Sambre, vers les Ardennes, ce qui fait environ vingt-cinq lieues de l'Ouest à l'Est. Céfar

(a) L'Hiftorien de Tournai, Coufin, ignoroit apparemment qu'Arida - Gamantia fignifie Arrouaife, lorfqu'en traduifant une Bulle d'Innocent II adreffée à Oger, premier Abbé de Saint Mard, il s'eft exprimé ainfi: "Si vous confirmons l'Ordre de Saint » Auguftin, felon la Couftume de Saint Nicolas de Gamache le fec. Tom. 2. p. 218. n

(b) V. l'Almanach d'Artois 1768, p. 53. Mercure de France 1737, p. 1523. - Cela pourroit être cependant, s'il étoit vrai, comme quelques-uns le prétendent, que les Langues Grecque & Celtique étoient la même dans l'origine & avoient les mêmes caracteres.

qui nous a donné plufieurs détails fur les Druïdes, (c) nous apprend que ces Prêtres des Gaulois tenoient leurs affemblées au milieu des Forêts. Parmi les fonctions dont ils étoient chargés, l'administration de la Justice leur appartenoit, ainsi que l'instruction de la Jeuneffe dans les Sciences, particulierement dans la prétendue Science de la Divination: or le mot Gamantia paroît être compofé des deux mots Grecs гy & Marria, dont le premier fignifie Terre, & l'autre Divination. Cette étymologie eft d'autant plus fatisfaifante, que les Druïdes, felon plufieurs écrivains anciens & modernes, avoient l'intelligence de la Langue Grecque. Je pense donc que la Forêt d'Arrouaife étoit une de ces retraites où ils tenoient leurs affifes & célébroient leurs myfteres, d'où il est tout naturel de conclure que le nom de Terre de Divination lui eft demeuré.

Le mot Gamantia peut tirer auffi bien son origine du Grec, que celui de Druïde dont la racine eft Apus, qui fignifie proprement un chêne; de Açus s'est auffi formé Dryade, nom que l'on donnoit aux Nymphes des Bois. Enfin il n'est pas inutile de remarquer ici qu'il y avoit parmi les Gaulois des Prophéteffes ou Devinereffes que l'on appeloit indifféremment Druïdes & Dryades, & qui n'étoient fans doute rien autre chose que les femmes des Druïdes, lefquelles, ainfi que leurs maris, fe mêloient de prédire l'avenir.

L'épithete Arida ajoutée à Gamantia, ne fait que défigner la fituation de la Forêt d'Arrouaife, dans un Pays fec & élevé. Cette qualification lui convient parfaitement. Car fi les fources des rivieres indiquent un Pays élevé, le Canton d'Arrouaise doit affurément l'être, puisque depuis Albert jusqu'à la Capelle, on trouve celles de l'Efcaut, de la Selle, de l'Oife, de la

(c) Lib. VI. de Bello Gallico. V. auffi le Dictionnaire Encyclopédique aux mots ruïde, Dryade, & celui de Trévoux, au mot Druïde.

Sambre, &c. il eft encore aujourd'hui entrecoupé de Bois, & les deux extrémités feulement ont confervé l'ancien nom. Du côté d'Albert, on trouve l'Abbaye d'Arrouaife, les Bois d'Arrouaife, le Mcfnil en Arrouaife, Sailly en Arrouaife; & vers la Sambre d'autres Bois appelés auffi Bois d'Arrouaife, Gouy, Montigny, Vaux en Arrouaife, de même qu'un ruiffeau qui tombe dans l'Oife à Hanaples, & qui porte le nom d'Arrouaife. (d)

Gautier, élu Abbé d'Arrouaise en 1179, nous a laiffé l'Histoire de la Fondation & des progrès de cette Abbaye jusqu'à fon temps; il eft, je pense, le plus ancien Écrivain qui parle de l'étendue & de la fituation de la Forêt d'Arrouaife. Nous avons encore dans nos Archives cette Hiftoire écrite de fa main en tête d'un cartulaire. Après un préambule où il expose les motifs qui l'ont engagé à raffembler en un feul Corps les Chartes de fa Maison, il ajoute : j'ai cru devoir m'étendre fur l'époque de la Fondation & fur les mérites des Instituteurs de cette Eglife felon la connoiffance que nous en ont donnée nos anciens. Ce lieu, continue-t-il, fitué fur le Chemin public, (e) dans la Forêt que l'on nomme Arrouaife, & qui s'étendoit depuis Encre jufqu'à la Sambre, avoit été une retraite de Voleurs:

(d) L'Auteur des Mémoires pour fervir à l'Histoire du Vermandois, a fait, fur la fignification du mot Arrouaise, Arida-Gamantia, une découverte que personne ne lui enviera; « l'Arrouaife, dit-il, commence à l'Abbaye de ce nom, & n'eft ni Terroir ni Province; c'eft une ligne ou cordon qui fépare l'Artois & le Cambréfis de la ,, Picardie, & va fe terminer vers les Ardennes. On appelle ce trait Arida-Gamantia; nous ne favons pourquoi. » T. II. 81.

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Ce trait devoit être bien large; car je trouve que Bapaume même étoit fitué en Arrouaife, quoiqu'il foit éloigné de Sailly de deux lieues & que le Chemin qui mene d'un endroit à l'autre, coupe le Canton d'Arrouaife à peu-près dans fa largeur. "Sachent tous..... que en l'an de l'Incarnation de notre S. J. C. 1281, ..... Willaume dit de Bolinguchen, Bailliùs de Bapaumes en Arrouaife, &c.

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(c) Maillart dit que ce Chemin eft appelé dans les anciens MS, Via San&torum. Mercure de France, 1737, P. 1523.

c'est

c'est pourquoi plufieurs l'appellent le Tronc-Bérenger, du nom de leur chef.

Bérenger, comme nous l'apprend le même Gautier, avoit deux freres, Hefcelin & Bovon. Après fa mort, les Brigands à la tête defquels il avoit long-temps parcouru le Pays depuis Térouanne jusqu'à Péronne, eurent l'art de fe rendre encore utile la terreur de fon nom. Ils l'enterrerent dans un endroit que l'on nomme la Motte-Bérenger, fur laquelle on voit aujourd'hui un Calvaire. (ƒ) Peut-être cette troupe de Brigands n'étoitelle qu'un refte des Vandales ou Normands qui ravagerent le Pays des Morins, fur la fin du feptieme fiecle. On croit même affez communément que dans fon origine, Bapaume étoit un Fort qui leur fervoit de retraite. Quoi qu'il en soit, les anciens Compagnons de Bérenger imaginerent de creuser un gros arbre qui fe trouvoit près de fon tombeau, & d'y pratiquer une espece de niche. L'un d'eux s'y plaçoit de maniere à ne pas être apperçu, & lorsqu'ils avoient fait quelque prifonnier, ils le traînoient à ce redoutable Tribunal. Celui qui étoit logé dans le creux de l'arbre, ftylé fans doute à ce manége, fixoit la rançon du prifonnier, feignant que c'étoit Bérenger lui-même qui en prononçoit l'Arrêt irrévocable. De-là ce Tronc prit le nom de Bérenger, nom qu'il communiqua enfuite, comme on vient de le voir, à l'Abbaye d'Arrouaife elle-même.

Voilà ce que la tradition avoit appris à Gautier. Il cite cependant auffi au sujet de cet infigne Voleur, une vie des

(f) Elle reffemble affez à ces monticules fous lefquels on trouve des tombeaux des Romains. On vient de la fouiller (en 1784.) on y a trouvé des offements humains d'une grandeur extraordinaire, & quelques morceaux de cuivre doré, &c. mais on doit d'autant moins rapporter ces reftes équivoques à Bérenger, qu'on les a rencontrés à une grande profondeur, épars çà & là, dans un puits qui paroît avoir été l'ouverture d'une carriere, & dont les déblais ont formé la motte qui porte le nom de Bérenger.

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Saints Lugle & Luglian, deux Irlandois, (g) qui pafferent en France vers l'an 700, & furent mis à mort par Bérenger dans les environs de Térouanne, ce qui fait voir, dit-il, que le Canton d'Arrouaife ne fut point le feul théatre de fes crimes. De Locre parle de ces deux Saints Irlandois à l'année 700, & rapporte un paffage de leur vie, écrite par un Chanoine d'Arras, dans laquelle il eft auffi fait mention de Bérenger & de fes Freres. Il en parle encore fous l'année 1470, à l'occafion d'une Châffe d'argent dont la Ducheffe de Bourgogne, Elisabeth de Portugal, Veuve de Philippe le Bon, fit préfent à l'Églife de Lillers pour y dépofer leurs Corps. Je ne fçais comment cette Églife qui n'a été fondée que dans le onzieme fiecle, a acquis ces Reliques. Gautier dit en propres termes que de fon temps, (h) les Corps de St. Lugle & de St. Luglian étoient en grande vénération à Mont-Didier.

Ce fut dans cet endroit de la Forêt d'Arrouaife, nommé le Tronc-Bérenger, fur la limite des Comtés de Flandre & de Vermandois, (celui d'Artois n'étant pas encore érigé alors,) que deux étrangers, Heldémare & Conon, jetterent en l'année 1090, les fondements de l'Abbaye des Chanoines réguliers

(g) Il est bon de rappeler ici un Saint Liéphart, Évêque Anglois, qui, vers le milieu du feptieme fiecle, fut affaffiné dans la Forêt d'Arrouaife en revenant de Rome. Trécaut, Village fitué à mi-chemin d'Arrouaife à Cambrai, fut d'abord le heu de fa fépulture. Ses Reliques en ont été transportées à l'Abbaye d'Honnecourt, & de-là, à caufe des guerres, à celle de Saint Pri dans la Ville de Saint Quentin. Rayffius fe trompe lors qu'il dit (Hierog. Belg. p. 251.) qu'elles ont péri dans un Siége. Elles viennent d'être rapportées à Honnecourt, après la fuppreffion de l'Abbaye

de Saint Pri.

(h) Quorum Corpora apud caftrum quod mons defiderii dicitur, in Ecclefia venerantur. De Locre donne un extrait affez long & très-déûguré de ce MS. fous l'année 1090. Par exemple, la phrafe que je viens de tranfcrire y eft omife, & quatre lignes plus bas, lorfqu'il s'agit de la fondation de l'Abbaye d'Arrouaife, au lieu de dire In Epifcopatu Cameracenfi, comme le porte le MS, il met In Comitatu Cameracenfi, &c.

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