Roberts, à qui il demanda publiquement s'il était marié. Sa réponse fut qu'il l'était depuis dix ans, & qu'en partant de Londres il avoit cinq enfans, fans compter un fixieme dont fa femme était groffe. On continua de lui demander s'il avait laiflé fa famille à fon aife. Il répondit qu'ayant autrefois effuyé plufieurs disgraces, la cargaifon de sa felouque compofait une grande partie de fon bien, & que s'il avait le malheur de la perdre, il n'efpérait guères de pouvoir donner du pain à ses enfans. Lo regardant Ruffel, lui dit qu'il fallait y renoncer: Renoncer à quoi ? répondit l'autre en blafphemant. Vous m'entendez, reprit le Général; & jurant à fon tour, il répéta qu'il y falloit renoncer. Ruffel, s'échauffant beaucoup, prétendit que la premiere loi de la Nature était, pour chacun, le foin de fa propre confervation, & rapporta plusieurs proverbes pour prouver que la néceffité n'a pas de loi. Lo répliqua doucement qu'il n'y consentirait jamais; mais que fi la pluralité des voix était contraire à son sentiment, il se réduirait à la patience. Il ajouta que tout le monde étant affemblé, c'était une affaire qui pouvait être décidée fur-le-champ. Alors il donna ordre à tout le monde de fe rendre fur les ponts, & Roberts fut averti de demeurer dans la chambre.

Le Confeil dura deux heures. Lo & Ruffel étant defcendus les premiers, demanderent à Roberts

Roberts.

s'il n'était pas vrai que fa félouque était en fort Roberts. mauvais état. Hélas! répondit-il, elle fait eau de tous les côtés. Elle fait eau ? reprit Ruffel. Qu'en feriez-vous donc, fi elle vous était rendue ? D'ailleurs vous êtes fans matelots; car à préfent tous les vôtres font à nous; & continuant de lui repréfenter fes befoins, il s'efforça long-temps de lui faire fentir fa mifere. Enfuite, venez, venez, lui dit Lo, nous examinerons votre affaire en recommençant à boire. On apporta du punch en abondance, & chacun se mit à parler de ses expé ditions paffées, à Terre-Neuve, aux Isles de l'Aimérique, aux Canaries. L'heure du dîner étant arrivée, Lo les invita tous. On leur fervit des viandes qu'ils s'arracherent de la main l'un de l'autre, comme une troupe de chiens affamés. C'était, difàientils, un de leurs plus grands plaisirs, & rien ne leur paraislait fi martial.

Le jour fuivant, un des trois matelots qui avaient parlé la veille à Roberts, vint lui faire des excufes de leur peu d'empreffement, qu'il rejeta fur un des articles de leur fociété, par lequel il était défendu, sous peine de mort, d'entretenir des correfpondances fecretes avec un captif. Il lui apprit qu'il n'avait pas beaucoup à fe louer de fon pilote; qu'il le croyoit disposé à prendre parti avec Ies Pirates, & que le refte de fes gens ne lui était pas plus fidèle; de forte que fi on lui rendait fa

felouque, il ne lui refterait que son valet & un petit garçon pour la conduire; qu'il aurait fou- Roberts. haité, lui & fes compagnons, de pouvoir lui offrir leurs services; mais qu'ils étaient liés par un autre article, portant que fi quelqu'un de la troupe propofait quelque chofe qui tendît à la féparation, ou qui marquât quelqu'envie de fe retirer, il ferait poignardé, fur-le-champ, fans autre formalité. Il ajouta que jufqu'au moment où le pilote de Roberts avait déclaré que fon maître connaiffait parfaitement les côtes du Bréfil, Ruffel avait témoi gné de l'inclination à le fervir, & qu'il avait parlé de le dédommager de la perte de fon bled & de fon riz, en lui formant une petite cargaifon de toiles, d'étoffes, de chapeaux, de fouliers, de bas, de galons d'or & de quantité d'autres marchandifes, que les Pirates gardaient dans la feule vue de les donner à ceux qu'ils prenaient, lorfqu'ils les avaient déjà connus & qu'ils fe fentaient pour eux de l'amitié; mais que Ruffel ayant changé de difpofition, ce ferait peut-être envain que Lo prendrait les intérêts de Roberts, parce que Ruffel ayant été deux fois Général, avait conservé beaucoup d'afcendant fur toute la troupe, & que d'ailleurs il avait toujours traité les prifonniers avec moins de ménagement que Lo.

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Auffi-tôt que cet homme eut quitté Roberts, Lo parut, lui parla de plufieurs fujets différens.

Roberts fut obligé de foutenir gaiement une conRoberts. verfation fort fatiguante; car les Pirates prennent un air d'autorité fi abfolue, qu'au moindre mécontentement ils outragent leurs prifonniers de coups ou de paroles, & le plus vil de la troupe s'en fait quelque fois un amusement. Ruffel arriva dans le même temps, & s'adreffant à Roberts avec un vifage riant, il lui dit, que plus il penfait à la propofition de lui rendre fa felouque, moins il y trouvait d'avantage pour lui-même; qu'il l'avait pris pour un homme sensé; mais que dans les inftances qu'il faifait pour obtenir fa chaloupe, il ne voyait que de l'obstination & du défefpoir; que pour lui il croyait l'honneur de la compagnie intéreffé à ne pas souffrir qu'un galant homme courût volontairement à fa perte; que lui voulant beaucoup de bien, il avait cherché pendant toute la nuit quelqu'expédient plus utile à fes véritables intérêts que la reftitution de fa felouque, & qu'il croyait l'avoir trouvé; qu'il fallait commencer à mettre le feu à ce mauvais bâtiment : nous vous retiendrons, continua-t-il, en qualité de fimple prifonnier, tel que vous êtes à préfent, & dans cette fuppofition, je vous promets & je m'engage à vous faire promettre par toute la compagnie; que la premiere prise que nous ferons fera pour vous. Ce fecours, ajouta-t-il, fervira mieux que votre felouque

felouque à rétablir vos affaires, & pourra vous

mettre en état de quitter la mer pour aller vivre Roberts. heureux avec votre famille.

Roberts lui fit des remerciemens; mais témoi

que

gnant peu de goût pour les offres, il le pria de confidérer loin d'être auffi avantageufes qu'il paraiflait le croire, elles n'étaient propres qu'à confommer fa ruine. Quelle efpérance aurait-il jamais de pouvoir difpofer du vaiffeau & de la cargaison qu'on pouvait lui donner? Qui voudrait les acheter de lui, s'il n'était en état de prouver qu'il avait droit de les vendre ? & fi le propriétaire en apprenait quelque chofe, ne ferait-il pas obligé de leur reftituer la valeur entiere de leur bien, avec le rifque d'être jeté dans un cachot, & de fe voir mener peut-être au fupplice ?

Cette réponse n'embarralla point Ruffel. Il la traita d'objection frivole. A l'égard du droit fur le vaiffeau & de la crainte d'être découvert, il préten dit que les Pirates pouvaient faire à Roberts un billet de vente, & lui donner par écrit d'autres titres qui affureraient fa poffeffion : qu'il était aifé d'ailleurs de fe dérober à la connaislance des propriétaires; parce que les Pirates favaient toujours foit par la déclaration du maître d'un vaiffeau, foit par fes papiers, dont ils avaient foin de fe faifir, qui étaient les principaux intéreflés Tome I.

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