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Les compagnies du bassin houiller du Gard, a dit M. Clémenceau, ont accaparé, si vous me permettez cette expression, la vie entière de l'ouvrier; elles le lugent, le vêtissent, le nourrissent au moyen des magasins généraux; elles lui fournissent les soins médicaux, la pharmacie; elles tiennent complètement l'ouvrier; elles sont maîtresses de son labeur, de sa vie; elles le tiennent par la retraite qu'il paye de ses deniers et qu'il perd s'il est renvoyé, eût-il travaillé pendant vingt, vingtcinq ans au service de la compagnie, qui peut le mettre à la porte sans explications, sans motifs. Il est complètement dans la main de la com. pagnie par les crédits qu'il obtient des magasins généraux. Le salaire du premier mois est retenu par la compagnie comme une sorte de cautionnement, et ce n'est qu'à la fin du second mois que l'ouvrier touche sa paye pour la première fois.

Il est donc obligé de vivre sur le crédit que lui fait la compagnie, et, une fois endetté, il ne peut plus se libérer. Ce sont là des faits que vous ne pouvez pas contester.

M. le ministre de l'intérieur. Mais je n'y puis rien.

M. Clémenceau. Vous dites que vous n'y pouvez rien; moi, je prétends que vous y pouvez quelque chose.

N'en déplaise à M. Clémenceau, le gouvernement n'y peut pas grand'chose. Tout ce qu'on pourrait faire, ce serait d'obliger les compagnies à restituer aux ouvriers les retenues faites sur leurs salaires pour les caisses de retraite, lorsqu'ils sont congédiés ou lorsqu'il leur convient de porter leur travail ailleurs, car la clause des statuts qui autorise en ce cas la confiscation des dépôts est purement léonine. Mais ni le gouvernement, ni les agitateurs socialistes ne tireront les ouvriers de la situation dépendante où les a placés leur manque de prévoyance et leur incapacité à se protéger eux-mêmes.

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Si les agitateurs et les journaux socialistes ont débité force inepties économiques et autres à l'occasion de ces grèves, les organes des patrons ne sont pas demeurés en reste. Voici par exemple le Capitaliste qui accuse les grévistes d'être soudoyés par l'Angleterre :

La grève de Bessèges a duré deux mois; elle s'est produite dans des conditions identiques à celles de la grève de Denain en 1880, provoquée par les spéculateurs allemands; dans la vallée du Rhône, ce sont les Anglais. qui payent l'agitation. Les quais de Newcastle, les bords de la Tyne et du canal de Bristol, sont encombrés de charbons; en présence d'un stock énorme, les compagnies d'outre-Manche, placées dans l'alternative de 4 SERIE. T. XVII. 15 mars 1882.

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ralentir l'extraction ou d'abaisser les salaires, risquent d'y causer chômage ou une grève; elles préfèrent la maladie du voisin, et en empéchant les charbons du Gard de descendre vers la Méditerranée, elles ouvrent les ports de Provence à leurs lourdes barques noires.

Les journaux socialistes et collectivistes se montrent naturellement fort indignés de cette accusation. Ils ne sont pas vendus aux Anglais, soit! mais ont-ils bien le droit de se plaindre qu'on les calomnie? Ne se sont-ils pas depuis longtemps fait une douce habitude de nous accuser d'être « vendus aux capitalistes >?

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Le tunnel de la Manche fait passer de bien mauvaises nuits aux généraux et aux amiraux anglais. Après la protestation de sir Garnet Wolseley, voici les doléances de l'amiral Dunsany :

« Le jour où, le tunnel achevé, lisons-nous dans un article que le galant amiral a publié dans la Nineteenth Century, vous aurez dépensé des millions pour l'exécution des travaux militaires qu'il nécessitera, quelle sécurité aurez-vous? Qui vous assurera qu'une nuit, par trahison, par surprise ou par force, quelques centaines d'hommes ne s'empareront pas de la place et ne se rendront pas ainsi maîtres de l'entrée du tunnel, en dépit de toutes les mines que vous aurez disposées pour le faire sauter? Serait-il donc si difficile de débarquer dans le port de Douvres, à la faveur d'une nuit sombre et d'une mer calme, une faible poignée d'hommes? Au besoin, ne les amènerait-on point à l'improviste par le tunnel lui-même? Dès le lendemain, 20,000 hommes pourraient aisément être réunis à Douvres par cette voie, quatre ou cinq étapes les conduiraient aux bords de la Tamise, et la prise de Londres entraînerait pour l'Angleterre une chute dont elle ne se releverait plus. >>

A cette occasion, le Courrier des Etats-Unis, ordinairement mieux inspiré, se plaît à affirmer que « entre la France et l'Angleterre il ne peut y avoir rien de commun que l'intérêt; à côté de l'intérêt il n'y a que des antipathies, et le jour où les deux nations. cesseront d'êtres unies par des relations de nécessité immédiate, on peut être sûr qu'elles seront séparées par une antipathie profonde et par un de ces antagonismes qui ne peuvent s'éteindre que par l'écrasement de l'un ou de l'autre des deux adversaires. Telle est la fatalité historique. »>

Le tunnel est commencé cependant et il s'achèvera en dépit des sombres pronostics de l'amiral Dunsany et de la fatalité historique du Courrier des Etats-Unis. N'est-ce pas désolant pour les amiraux et pour la « fatalité »?

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La Chambre des députés d'Italie, à l'exemple de la plupart de ses congénères, travaille consciencieusement à augmenter les dépenses publiques, ce qui ne l'empêche pas de discuter la suppression de divers impôts, et notamment de l'impôt du sel.

« A propos de cette demande en réduction d'un impôt, incontestablement trés mauvais, remarque judicieusement le correspondant du Journal des Débats, M. Monferrier, il faut faire une réflexion. Il existe en Italie un double courant d'opinion absolument contradictoire. La classe populaire, surtout dans les campagnes, veut une réduction des charges qui pèsent sur la production. Elle prétend que le gouvernement lui ôte le pain de la bouche; c'est le mot consacré.

<< La classe dirigeante, celle qui s'occupe surtout des affaires publiques, veut une politique active au dehors, entreprenante et glorieuse si faire se peut; elle veut un royaume actif, qui, non content de figurer parmi les grandes puissances, y prenne une des premières places; se substituer à la France comme influence serait le desideratum des plus ambitieux. Le seul défaut de cette politique est de coûter fort cher, et d'exiger par suite de grands sacrifices.

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Les cadeaux n'enrichissent pas toujours. Depuis que la sage ville de Genève a reçu un legs de 25 millions du duc de Brunswick, elle s'est mise à dépenser sans compter, tant et si bien que ses budgets sont continuellement en déficit. En ce moment, les Genevois se font un point d'honneur d'entendre avant les Parisiens l'opéra d'Hérodiade, mais les souscriptions volontaires n'ayant pas suffi, c'est au budget que l'on s'adresse. Nous empruntons à un autre correspondant du Journal des Débats ces détails piquants sur la << question d'Hérodiade. »

« J'arrive à la question qui agite à présent les Genevois : c'est la question d'Herodiade. Je vous ai déjà dit qu'on songeait à représenter ici cet opéra, sans attendre le baptême parisien; certains dilettantes en avaient fait une affaire d'honneur. Mais les affaires d'honneur coûtent cher; on organisa donc une souscription pour payer les frais, puis, la souscription ne suffisant pas, on donna un grand concert avec tombola; enfin, le concert et la tombola ayant produit trop peu d'argent, on vient de demander pour les décors 18,000 francs à la ville. Cette requête ne pouvait venir dans un plus mauvais moment. La ville est en train de vérifier ses comptes et de constater que le déficit de cette année s'élève à près de 800,000 francs, qu'il sera de 1 million 1/2 en 1890, et qu'à cette époque la ville devra servir l'intérêt d'un emprunt nouveau de 9 millions représentant 760,000 francs par an en intérêt et amortissement. A ce

moment-là la ressource de l'octroi doit tarir de par la Constitution fédérale; ces chiffres vous feront peut-être sourire, vous qui comptez par milliards. Mais songez bien que le déficit de cette année dépasse de 40 0/0 les ressources de la ville. Or, dans ces dépenses, le théâtre figure pour plus de 200,000 fr. et cette somme s'élèverait à 411,000 fr. si on comptait l'intérêt des 4 millions que l'édifice a coûté. Et c'est en ce moment qu'on vient demander 18,000 fr. pour des colonnes en toile peinte et en carton, représentant le temple de Jérusalem! Ainsi le veut le point d'honneur : nous aurons Herodiade avant Paris, quoique après Bruxelles. Il y a là un cas pathologique intéressant à étudier; un certain nombre de Genevois ont été littéralement affolés par l'héritage du duc de Brunswick. Un architecte célèbre leur offrit alors un joli théâtre tout neuf qui leur aurait coûté 1,500,000 fr. Ils ont repoussé avec dédain le projet de l'architecte célèbre; il leur a fallu une réduction du Grand Opéra de Paris, y compris le foyer, parfaitement inutile. Il leur a fallu des décors « à la hauteur des circonstances »; il leur a fallu un corps de ballet ridiculement médiocre; ils ont voulu de grands opéras avec tous leurs accessoires, Aïda, par exemple, et pour obtenir ces magnificences ils ont renoncé à la comédie qu'on leur donnait autrefois à bien moins de frais. Résultat de ces prétentions: malgré l'énorme subvention de la ville, qui paye l'orchestre (60,000 fr.), les machinistes, le gaz, le chauffage, les décors, les droits d'auteur, etc., etc., il a fallu cette année une souscription privée pour que le directeur (un fort habile et galant homme) pût faire ses frais. Et ce n'est pas encore assez, on demande de l'argent pour le point d'honneur. D'où cette épigramme adressée à Genève par un Cormoran (portefaix) genevois, poète à ses heures : Depuis l'héritage du prince, Tu grossis, tu t'enfles sans fin, Paris pour toi, c'est la province;

Ton goût est de plus en plus fin,

Ta bourse de plus en plus mince...

Encore un héritage et tu mourras de faim.

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Dans ses séances du 11 et du 13, la Chambre des députés a discuté la proposition de M. Truelle ayant pour objet la suppression des lois sur l'usure. Après un débat auquel ont pris part MM. Truelle, Frédéric Passy, Gatineau, Andrieux, Bovier-Lapierre, Léon Say, etc., la Chambre a voté l'art. 1er du projet établissant la liberté du taux de l'intérêt en matière commerciale. En revanche, elle a adopté, à la majorité de 305 voix contre 159, un amendement de M. Laroze maintenant les lois de 1807 et 1850 en matière civile. Le projet a été ensuite renvoyé à la commission.

Nous reviendrons sur cet important débat.

Paris, le 14 mars 1882.

G DE M.

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