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lant bien ainfi, pour n'avoir ni guerres ni embarras pendant qu'iljoüiffoit de la Souveraineté : & comme on leur fit enfuite de très-riches prefens, dont ils furent ravis, ils s'en retournerent après, avec la paix concluë, oubliant aifément les injures paffées.

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Cependant la Reine Eléonore, qui avoit une haine implacable contre le Prince Gouverneur,& contre toute la haute Cour, non tant à caufe de la mort du Roi, fon mari, que parce qu'elle privée du gouvernement, qu'elle prétendoit, en qualité de Tutrice de fon fils, s'étoit retirée au château de Corcu, & ne laiffoit échaper aucune occa fion de faire connoître fon mécontentement,, disant toûjours qu'elle étoit là pour conferver la vie de fon fils; elle ajoûtoit qu'elle l'avoit caché & préfervé contre les embuches des ennemis du Roi Pierre; que le peuple l'aïant sçû les traîtres en avoient différé l'exécu tion, mais qu'ils n'en avoient pas ou blié le deffein; que la foi des traîtres doit toûjours être fufpecte, fur-tout lorfqu'elle eft mafquée fous les apparences du bien public, Toutes ces plaintes faifoient une peine infinie au Prince, car foit qu'elles fuffent vraies on faufles, elles ne pouvoient produïre

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que de très-méchans effets; c'eft pour quoi il prenoit garde de fort près à tout ce que faifoit la Reine dans l'efperance de trouver quelque fujet pour la faire difparoître de devant fes yeux: il avoit, dans ce deffein, corrompu -par des promeffes & par des prefens fes ferviteurs les plus affidés. S'étant aperçuë que toutes fes plaintes ne fervoient qu'à lui attirer des difgraces; qu'elle fe voïoit prifonniere dans fa propre maifon, & qu'elle étoit comme affiegée par les gardes & les efpions du Prince, elle fe réfolut d'en écrire au Pape & au Roi, fon oncle, pour les inviter à porter la guerre en Chypre; elle leur exagera l'énormité du crime par lequel le Gouverneur s'étoit emparé du Roïaume; elle offroit enfin de païer de fes deniers tous ceux qui viendroient la vanger, & la délivrer du péril où elle fe trouvoit pour fa vie & pour fon honneur. Ces lettres écrites de la main de Nicolas Naca, Maître de la Chancelerie, furent confignées à Marc Grimaldi, Génois, qui avoit fes lettres de créance pour d'autres fecretes affaires. Il fe trouvoit à Famagoufte, où il attendoit quelque occafion de repaffer, lorfque le Gouverneur fut averti de tout; il ordonna d'abord qu'on

arrêtât Naca, qui ne pouvant fouffrir les tourmens de la queftion, découvrit tout ce qui s'étoit fait jufqu'aux copies des lettres qu'il avoit enregistrées. Le Prince envoïa promptement ordre au Capitaine de Famagoufte d'arrêter Grimaldi, & de l'envoier à Nicofie. Tour cela fut exécuté fi promptement, que la Reine ne fut point à tems de rien faire en fa faveur. Grimaldi confeffa qu'il avoit des lettres de la Reine, mais qu'il ne fçavoit ce qu'elles contenoient, & qu'il ne croïoit pas qu'on lui dût faire un crime de fervir la mere du Roi. Ce fut tout ce que le Prince put tirer de lui par les gênes qu'on lui fit fouffrir; fa conftance le juftifia, & les fimples crurent que c'étoit un effet de fon in

nocence.

Le Prince vouloit abfolument que Grimaldi mourut par quelque fupplice, pour mortifier la Reine, & pour donner de la terreur à tous ceux qui oferoient tenter quelque nouveauté; mais la haute Cour, aïant égard à la nobleffe de Grimaldi, & aux bons & continuels offices que lui rendoit le Conful Génois, demanda fon élargiffement, avec ferment qu'il ne fe mêleroit jamais des affaires d'Etat. Toute la colere du Prince tomba fur le pauyre Naca, fans

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confiderer qu'il étoit Docteur ès Loix, & noble de naiffance; il fut traîné, avec toute l'ignominie poffible, par les ruës de Nicofie, à la queue d'un cheval, & pendu enfuite. Le Prince voulut, pour caufer plus de chagrin à la Reine, que l'exécution fe fit, non au lieu ordinaire, mais à la porte de Nicofie, qui va droit au château de Corcu: fon intention étoit encore de faire le procès à la Reine, mais il n'ofa l'entreprendre dans la crainte qu'il avoit du peuple, & de la haute Cour.

Tous ces troubles du Roïaume de Chypre ne fervirent à autre chofe qu'à faire efperer au Turc de pouvoir reprendre Settalia, qui étoit encore en la poffeffion des Cypriots. Le Turc qui commandoit dans cette place, lorfque le Roi Pierre la prit, s'appelloit Tacca. Cet homme, qui avoit toûjours efperé de la pouvoir reprendre, s'étoit tenu dans le voifinage pour attendre quelque occafion favorable, mais aïant fondé, à plufieurs reprifes que la force lui étoit inutile, il eut recours à la rufe, qu'il crut lui devoir réüffir à la mort du Roi Pierre. Il envoïa dans cette ville un Turc, fous prétexte de fe faire Chrétien ; il fut très-bien reçû, & il cut dans la fuite toute la facilité

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qu'il pouvoit défirer de remarquer le rems qu'il falloit prendre, & les endroits les plus, foibles par où il falloit attaquer la ville; Tacca, qui fut averti de tout, ne manqua pas de mener à cette entreprise bon nombre de foldats, qui monterent hardiment fur les murailles, où ils s'étoient déja fortifiés lorfqu'ils furent aperçus par un corps de garde, qui aiant crié aux armes, toute la garnifon y accourut. Les Turcs inférieurs en nombre, & furpris de fe voir découverts, firent peu de refiftance, & ne penferent qu'à prendre la fuite, mais il s'en échappa très-peu, & Tacca même eut bien de la peine à fe garantir de la mort ou de la prifon; cela même obligea le Prince à y envoïer quelques compagnies de foldats, avec ordre de ne recevoir dans la place ni Turcs, ni Sarrafins, quoiqu'ils profeffaffent la Religion Chrétienne, n'y aïant pas de rufes plus dangereufes que celles qui fe couvrent du manteau de la Religion.

Le petit Roi Pierre avoit atteint quatorze ans, qui eft l'âge où les Rois fe font couronner, lorfque pouffé par fa mere, qui ne pouvoit plus fouffrir le gouvernement de fon beau-frere, il demanda à la haute Cour d'être mis en

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