Voici ce qu'il dit lui-même de la Veuve, dans l'examen qu'il fit de cette comédie : « Le style n'est pas plus élevé ici que dans Mélite, mais il est plus dégagé des pointes dont l'autre est semée, qui ne sont, à en bien parler, que de fausses lumières, dont le brillant marque bien quelque vivacité d'esprit, mais sans aucune solidité de raisonnement. › Voici encore une preuve du bon marché faisait Corneille du style de ses contempo que rains. Sans doute, ses succès tragiques lui avaient fait oublier la comédie de la Veuve, et toute cette intrigue échafaudée au moyen d'une nourrice, caractère obligé de toutes les comédies du temps, est bien misérable auprès de l'action belle et simple de Cinna et de Nicomède. Mais aussi que de grâce dans quelques uns de ces vers, où l'on pressent le Molière! Tout le monde connaît le fameux vers du Menteur, où la montre et le pistolet s'enchevêtrent si à propos : mais ce que l'on ne connaît pas généralement, tant certaines pièces de notre auteur sont tombées en oubli, ce sont ces vers charmans de ce bon Corneille, qui avait si peu de monde, et que l'abbé d'Aubignac, au temps de Sertorius, ne trouvait encore bon qu'à hanter des comédiens : C'est Alcidon qui parle à la scène première : Suive qui le voudra ce procédé nouveau, Mon feu me déplairait caché sous ce rideau. Ne parler point d'amour! pour moi je me défie D'être auprès d'une dame et causer du beau temps, Que dans la comédie on dit d'assez bons vers, Qu'on me pardonne encore une citation. C'est à la scène troisième du premier acte; il s'agit de juger un jeune homme sur une contredanse dans laquelle il avait servi de cavalier. DORIS. Il me mena danser deux fois sans me rien dire. Mais ensuite! CHRYSANTE. DORIS. La suite est digne qu'on l'admire. Et réponds brusquement sans beaucoup m’émouvoir : Et retrouvant un peu l'usage de sa voix, Il prit un de mes gants : « La mode en est nouvelle, Vous portez sur la gorge uu mouchoir fort carré... " « Votre éventail me plaît d'être ainsi bigarré... Ne dirait-on pas ces vers empruntés aux Fâcheux ou aux Femmes savantes, plutôt qu'aux premiers essais du rude et mâle Corneille, et ces récits toujours vrais, cette satire de ridicules qui n'ont point encore cédé à l'influence du temps, n'estce pas de la bonne et franche comédie? Le dialogue de la Veuve est vif, en général soutenu, et parfois le trait y est lancé avec un rare bonheur. Ce vers d'Alcidon, scène et acte troisième : Dieux! qu'il m'obligerait de m'aimer un peu moins. est passé en proverbe, et tous les pillards littéraires, corsaires et grapilleurs, n'ont pas manqué d'en faire leur profit. La Galerie du Palais est sans contredit une pièce beaucoup plus faible de style que la Veuve. Elle est même assez ennuyeuse à la lecture, et elle dut être faite fort à la bâte. Il y a cependant deux scènes épisodiques où paraissent le Libraire du palais, le Mercier et la Lingère, scènes que ne justifie en aucun point l'action de la pièce, comme Corneille lui-même l'avoue. Mais la première de ces deux scènes, qui est la cinquième de l'acte pre page mier, est vraiment remarquable, et semble une détachée d'une satire de Boileau. Dorimant s'approche du Libraire, et parlant de ses livres, il lui dit : Montrez-m'en quelques uns. LE LIBRAIRE. Voici ceux de la mode. DORIMANT. Otez-moi cet auteur, son nom seul m'incommode, LE LIBRAIRE. Ses œuvres toutefois se vendent assez bien. DORIMANT. Quantité d'ignorans ne songent qu'à la rime. LE LIBRAIRE. Monsieur, en voici deux dont on fait grande estime ; DORIMANT. Il n'est que mal traduit du cavalier Marin, LE LIBRAIRE. Ce fut son coup d'essai que cette comédic. DORIMANT. Cela n'est pas tant mal pour un commencement, Quant au premier auteur, cet impertinent dont les œuvres toutefois se vendent assez bien, il serait plaisant que ce fût Georges de Scudéry: Corneille se rencontrerait là fort à proposavec Boileau; si l'un dit : Quantité d'ignorans ne songent qu'à la rime. on se rappelle les vers de la satire deuxième, de l'autre : Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire, Le second, cet auteur à la veine hardie, ne peut être que Pierre Corneille lui-même, dont la Mélite est pleine de pointes dans le goût italien, et dont quelques unes sont empruntées à ce fameux cavalier Marin que Malherbe lui-même imita trois fois, selon les remarques de Ménage, et d'ailleurs ce vers: Ce fut son coup d'essai que cette comédie. dénoncerait assez évidemment Mélite, si l'on ne trouvait ce trait final : Qu'il a de mignardise à décrire un visage ! et si dans la scène vIII Dorimant ne confirmait cette opinion en répondant à Lysandre, qui lui dit: Beaucoup font bien les vers, mais pen la comédie. - Ton goût, je m'en assure, est pour la Normandie: Il est assez étrange de voir Corneille se jugeant |