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lui-même, se rencontrer avec le campagnard de la satire du repas, qui, pour faire valoir son jugement, s'avise de dire:

A mon gré, le Corneille est joli quelquefois.

on pourra juger si le campagnard n'avait pas raison, et si René-le-Pays eut tort de se trouver loué dans un des vers produits qui dit :

Le Pays, sans mentir, est un bouffon plaisant.

Voici comment Corneille, dans Mélite, dépeint mignardement le visage de son héroïne: C'est Eraste qui parle à la scène première de l'acte premier :

Le jour qu'elle naquit, Vénus, bien qu'immortelle,
Pensa mourir de honte en la voyant si belle;

Les Grâces à l'envi descendirent des cieux
Pour se donner l'honneur d'accompagner ses yeux,
Et l'Amour, qui ne put entrer dans son courage,
Voulut obstinément loger sur son visage.

Toute cette mignardise est peut-être traduite du cavalier Marin; mais, à coup sûr, elle n'est pas mal traduite, et, à défaut d'autre mérite, le Corneille est ici véritablement joli.

Si la Galerie du Palais n'a pas le méme mérite de style que la Veuve, elle en a un autre dont Corneille lui-même se félicite dans son examen: c'est d'avoir montré au lieu de ces affreux personnages de nour

rices joués sous un masque par des hommes à la taille épaisse, la taille svelte et le minois effronté d'une soubrette qui, tout aussi bien et plus décemment que l'entremetteuse antique, peut nouer les intrigues et protéger les jeunes amours. Que seraient devenues Marinette et Dorine, si Molière, sacrifiant à l'exigence de la mode, en avait fait d'horribles vieilles, dignes tout au plus d'habiter le mauvais gîte de Mathurin Regnier? Et ne faut-il pas encore savoir gré à Pierre Corneille d'avoir introduit sur la scène française ces bonnes filles, peut-être un peu fortes en gueule, mais au demeurant fort honnêtes et vivant bien, protégeant les amours légitimes et rangeant à la raison ces fripons de valets, en consentant à s'appeler madame Mascarille ou madame GrosRené?

Corneille fit encore représenter la même année une comédie en cinq actes, intitulée la Suivante. Quel que soit le génie d'un auteur, il ne faut point qu'il produise avec une telle håte. Les vers de la Suivante sont sans doute fort coulans et l'intrigue n'a rien que de fort clair. La comédie se laisse lire sans aucune espèce de fatigue, mais les caractères sont à peine indiqués, et le défaut général des comédies du temps s'y fait sentir : c'est qu'elle ne prouve rien du tout, et que l'intérêt ne se porte nullement sur la pauvre suivante, qui se trouve déboutée de ses prétentions amoureuses sans qu'on puisse en vérité la plaindre de son malheur.

On Y trouve bien l'intention de peindre un vieillard amoureux et un poltron; mais les deux vers que cite Corneille, dans son examen, ne participent en rien à l'énergie presque brutale du texte de Quintilien, qu'il invoque pour se justifier. Une seule scène où Géronte le père veut contraindre l'amour de sa fille Daphnis pourrait bien être le canevas de la belle scène du Tartuffe entre Orgon et Marianne. Ces vers :

La pitié me gagnait : il m'était impossible

De voir encor ses pleurs et n'être pas sensible...

... N'importe.....

pourraient bien avoir donné à Molière l'idée de cet admirable à-parte.

Allons, ferme, mon cœur, point de faiblesse humaine.

Mais, comme nous l'avons dit, les deux dernières pièces se ressentent de la précipitation avec la. quelle Pierre Corneille, alors aux gages du cardinal, fut obligé de travailler à ses ouvrages; et cependant ces comédies étaient tellement au-dessus de celles que l'on représentait alors, que la jalousie commença à s'éveiller; aussi fut-ce vers ce temps, comme nous le verrons au chapitre suivant, que commença la persécution jalouse de Claveret, ce poète de bas étage, qui prit une si grande part aux attaques contre le Cid.

CHAPITRE VI.

LA PLACE ROYALE.

-LES CINQ AUTEURS.

<< Vous eussiez aussi bien appelé votre place Royale la place Dauphine ou autrement, si vous eussiez pu perdre l'envie de me choquer; puisque vous résolûtes de le faire, dès que vous sùtes que j'y travaillais, ou pour satisfaire votre passion jalouse, ou pour contenter celui des comédiens que vous serviez. Cela n'a pas empêché que je n'en aie recu tout le contentement que j'en pouvais légitimement attendre, et que les honnêtes gens qui se rendirent en foule à ses représentations n'aient honoré de quelques louanges l'invention de mon esprit. J'ajouterai même qu'elle

eut la gloire et le bonheur de plaire au roi, étant à Forges, plus qu'aucune des pièces qui parurent lors sur son théâtre. »

Voilà ce que Claveret eut l'audace d'écrire au grand Corneille au sujet de la Place Royale, sujet que tous deux traitèrent la même année. La place Royale de Claveret fut représentée devant le roi à Forges, et, s'il faut en croire l'auteur, sujet à caution, elle eut, comme nous venons de le voir, le plus grand succès. Mais nous avons toutes les raisons du monde pour croire que cette méchante rapsodie tomba, et d'ailleurs elle n'avait aucun point de ressemblance avec la pièce de Corneille, l'auteur s'étant bien gardé de la faire imprimer.

Selon sa noble habitude, Corneille, dans l'examen de sa pièce, ne parla nullement de cette aventure, bien que Claveret l'accusât de plagiat, pas plus qu'il ne parla, au temps de sa Rodogune, du vol qu'avait commis Gilbert à son préjudice, quoique cette fois il pût être l'accusateur. Il laisse seulement la comparaison à faire à la postérité, et la modestie avec laquelle il parle de sa propre pièce, fait aussi bien ressortir la différence qu'il y avait entre lui et Claveret, que la plus pompeuse apologie du monde. Voici comment commence cet examen : « Je ne puis dire autant de bien de cette pièce que de la précédente; les vers sont plus forts, mais il y a manifestement duplicité d'action. >>

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