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casions solennelles, sa grandeur d'âme reprit-elle le dessus; ce qui fit que la postérité lui pardonna sa passion du jeu, pour se rappeler seulement que seul contre tous il protégea le grand Corneille, et que, lorsque son honneur le commanda, il sut mourir à quarante ans, martyr de son dévouement à ses concitoyens, et que personne au monde ne songe à reprocher la Laure persécutée, ou les Occasions perdues, à l'auteur de Venceslas et de Cosroès. Mais en ce temps-là, Rotrou n'était encore que l'homme aux gages du cardinal, qu'un revers de fortune mettait tous les jours à la merci de Son Éminence.

Guillaume Colletet était un pauvre avocat, d'un médiocre génie, d'une conduite irrégulière et d'une gueuserie insigne. Bien que ses passions ne le portassent point vers des objets bien relevés, et qu'il ait eu la naïveté d'épouser successivement trois de ses servantes, la fortune l'avait si maltraité qu'il ne laissa pas de quoi se faire enterrer. La pauvreté était héréditaire comme la manie des vers dans la famille Colletet. On sait les invectives de Boileau contre François Colletet, son fils, cet héritier crotté du renom paternel. II était donc encore tout acquis au cardinal, qui s'était fait un mérite d'une heure de condescendance dans un jour de belle humeur. Le jour où les Thuileries furent partagées entre les cinq auteurs, quand on en vint à la description du bassin qui fait le principal ornement du jardin, Col

letet, pris d'un bel amour de description, fit six vers sur les amours des volailles aquatiques où l'on trouve ce trait agréable. On y voit, dit-il :

La cane s'humecter de la bourbe de l'eau,
D'une voix enrouée et d'un battement d'aile
Animer le canard qui languit auprès d'elle.

Le cardinal fut si content des six vers en question, qu'il s'empressa d'envoyer à l'auteur cinquante pistoles de gratification, lui disant qu'il les lui envoyait pour récompenser des vers qu'il trouvait si beaux : Colletet, à ce sujet, sentant la vérité et la naïveté poindre au milieu de sa belle humeur, lui répondit par le distique :

Armand, qui pour six vers me donnes six cents livres,
Que ne puis-je à ce prix te vendre tous mes livres !

Voilà quels étaient les hommes qui composaient la petite cour du cardinal. Quant aux règles de l'association, les plans devaient être fournis par le cardinal; les poètes devaient s'y conformer en tout point, et se mettre à versifier selon le bon plaisir de leur maître : l'heure de l'inspiration devait sonner pour eux au moment où la volonté toute-puissante leur disait : Rimez. Ils étaient exactement dans la position d'un peintre à qui l'on dirait : Voici tant d'aunes de toile que je vous délivre; remplissez-les, mais ni plus ni moins, surtout je ne veux point perdre mon cadre. Aussi les pièces que firent ensemble nos

cinq auteurs, portent-elles uniformément le cachet de la plus désolante médiocrité. Il est impossible d'y reconnaître la main du grand Corneille. Dans l'Aveugle de Smyrne, comme dans les Thuileries, le Bois-Robert, le l'Étoile, le Rotrou, le Colletet et le Corneille, sont tellement de niveau, et tout cela sent si bien la commande et l'impatience de se livrer, qu'on ne peut les distinguer les uns des autres.

Cette manière de vivre ne pouvait donc aller au génie indépendant du grand Corneille, qui se mit d'abord à tailler en plein cardinal, et à changer le plan du troisième acte des Thuileries, qui lui avait été confié. Ce fut la cause de cette guerre furieuse qui éclata contre le Cid. Le cardinal dit cette fameuse parole à Corneille, « qu'il fallait avoir un esprit de suite; et comme pour continuer son système politique, il s'avisa de vouloir faire le Tarquin en littérature et d'abattre cette haute tête du Cid. Mais heureusement les bourreaux littéraires furent les plus faibles. Corneille et Rotrou gagnèrent tellement les esprits et la faveur du public que, comme nous le verrons, le cardinal fut obligé d'imposer silence à Mairet, par le ministère de Bois-Robert, et que Jean-Louis de Balzac, malgré la pension de 2,000 livres que lui avait fait avoir le cardinal, se mit hautement à défendre Corneille.

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Mais pourquoi Pierre Corneille, ce génie si hautain et à allures si indépendantes, eut-il

une si longue patience et ne brisa-t-il pas tout d'un coup cette chaîne qu'il s'était mise au cou et dont le cardinal lui faisait si violemment sentir le poids? Il devait donc exister entre eux un autre lien que celui de l'ascendant et de la force? Le cardinal avait bien accueilli le jeune Corneille, et en résumé c'était à lui que Corneille devait les connaissances qu'il avait faites et qui l'avaient mis à même de continuer la carrière que la comédie de Mélite lui avait si brillamment ouverte; et puis un autre lien de reconnaissance l'attachait encore au cardinal de Richelieu. Voici en effet comment on raconte le mariage de Corneille :

Depuis quelque temps, le jeune auteur était soucieux et rêveur. La rêverie, la distraction et les soucis apparens ont fait de tout temps partie du signalement des poètes; aussi ne prenait-on point attention à cette disposition d'esprit. Pourtant un jour, pour paraître s'intéresser à l'un de ses faiseurs ordinaires, le cardinal laissa tomber cette question: Travaillez-vous toujours? Le jeune homme, que la nouveauté du sentiment qu'il éprouvait avait d'abord étonné, finit par lui avouer qu'il ne pouvait plus composer tant il avait la téte occupée et le cœur pris. Une explication s'ensuivit, et Corneille confessa qu'il aimait éperdument une des filles du lieutenant-général d'Andely, dont il était aimé, mais que le père, bien éloigné de la condescendance de ceux qu'il avait

accoutumé de mettre en ses comédies, refusait obstinément de marier sa fille à un pauvre poète sans avenir et sans position. C'était le cas de s'attacher le jeune auteur; et, en homme habile, le cardinal s'empressa de profiter de la position; il mande sur-le-champ le père à Paris; celui-ci, tremblant déjà d'avoir encouru la disgrâce de Son Éminence, arrive en grande hâte. Alors le cardinal lui demande la main de sa fille pour son protégé. Le bonhomme de père, ébahi de la demande, s'empresse de l'accorder et s'en retourne tout fier d'avoir donné sa fille à un homme qui avait tant de crédit.

Aussi la reconnaissance d'un si grand bienfait enchaîna-t-elle quelque temps Corneille, et ne crut-il pas pouvoir se séparer d'un homme auquel il devait son bonheur; c'est encore le souvenir de cette protection qui dut influencer son esprit quand il écrivit ce fameux vers:

Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal.

Mais malgré les ménagemens, malgré les gratifications, malgré les honneurs du banc réservé, le génie se fit jour et se débarrassa des fils d'araignée dans lesquels Richelieu voulait le contenir : un seul homme eût pu étouffer le génie de Corneille naissant; c'est Napoléon qui disait : « Si Corneille eût vécu sous mon règne, je l'aurais fait prince.

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