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CHAPITRE VII.

MÉDÉE. L'ILLUSION COMIQUE.

Je ne sais pourquoi le sujet de Médée, si peu fait pour intéresser au théâtre et dont les détails sont seulement propres à exciter l'horreur que paraissaient chérir les anciens et dont les Anglais sont avides, a pourtant été tant de fois traité par les auteurs dramatiques de toutes les époques. Outre Euripide chez les Grecs et Sénèque chez les Latins, Jean de la Péruse et Scévole de SainteMarthe le traitèrent en 1555, Claude Binet le remit au théâtre en 1577, et après Pierre Corneille Longepierre vint y échouer en 1694 malgré le jeu de la Champmeslé. Le tendre Quinault lui

même n'avait pas craint de le mettre en opéra. Médée est un monstre dont l'action révolte tellement la nature que l'on ne conçoit pas la prédilection des modernes pour ce sujet. Médée surpasse en horreur Lucrèce Borgia, qui du moins a des entrailles de mère; Locuste elle-même aurait reculé devant l'empoisonnement d'un de ses enfans. Quel fut donc ce motif qui porta Pierre Corneille à mettre au théâtre les jeunes amours d'un Jason divorçant et père de famille en regard des fureurs de la femme congédiée?

Comme François de Malherbe, Pierre Corneille avait une prédilection marquée pour certains poètes latins. Lucain était un auteur chéri de tous deux, et si l'on prétend que Malherbe préférait Stace à tout autre poète latin, Fontenelle assure que son oncle avait traduit en vers et même publié les deux premiers livres de la Thébaïde dont on n'a pu retrouver un seul exemplaire. Quant à Sénèque, on connaît les fleurs de Sénèque de Malherbe, et la Médée de Corneille, et celui-ci s'amusa un jour à faire lui-même du Sénèque au moyen de la première scène de Pompée qu'il traduisit en latin. La Médée de Sénèque dut donc le tenter, et c'est ainsi qu'il introduisit sur la scène cette femme furieuse qui, s'il faut en croire la tradition, fit sortir Ovide de ses préoccupations amoureuses et de son distique langoureux pour lui inspirer la plus belle des tragédies latines.

Quoi qu'il en soit, Médée, selon tous les critiques, fut le premier éclair de son génie, et Voltaire a daigné faire sur cette pièce quelques remarques fort laconiques. Le mot sublime commença pourtant d'être prononcé au sujet de Médée, et si l'on en excepte le qu'il mourût d'Horace, nul mouvement sublime n'a été plus cité, plus discuté, plus disséqué que le fameux Moi de Médée.

Boileau, dans sa réflexion dixième, se contente de citer comme un exemple de sublime ce vers:

Contre tant d'ennemis que vous reste-t-il?

-Moi.

Sans achever comme l'a fait Corneille par cet hémistiche: Moi, dis-je, et c'est assez. De là, grande rumeur et accusation contre Boileau de ne pas trouver sublime la réponse entière. Les Anglais étaient allés plus loin dans un livre latin intitulé : Miscellanea observationes in auctores veteres et recentiores ab eruditis Britannis, imprimé à Amsterdam en 1733; on lit ce passage: Boilavius in observationibus ad Longinum producit exemplum styli sublimis ex Cornelii Medeâ... Cornelius hanc dictionem à latinâ Medeâ mutuatus fuit. Sed an Cornelius monosyllabi Moi non debuisset contentus esse: an addendo Moi, dis-je, et c'est assez, omne sublime non evanuit?

Ce fut alors que la nationalité d'un critique,

grand partisan de Corneille, se révolta, et après avoir disséqué la phrase en tout sens, il ajoute :

a

Moi, je ne vois encore que Médée : Moi, dis-je, je ne vois plus que son courage et la puissance de son art; ce qu'il a d'odieux a disparu. Je commence à devenir elle-même, je réfléchis avec elle, et je conclus avec elle : c'est assez. Voilà le sublime... »

Sans entrer dans ces discussions plutôt grammaticales que littéraires et dans une analyse si froide du sentiment, disons que le Moi de Médée a tout simplement frappé les bons esprits de tous les temps, et qu'une chose seulement a été méconnue on a dit légèrement le Moi de Corneille est traduit du Medea superest de Sénèque, ce qui est assez faux la réponse de Corneille pourrait même paraître une critique de celle de Sénèque. Il suffit de comparer les deux pour en juger :

CORNEILLE.

Contre tant d'ennemis que vous reste-t-il?

Moi, dis-je, et c'est assez.

SÉNÈQUE.

Moi;

NUTRIX. Abière Colchi; conjugis nulla est fides
Nihilque superest opibus è tantis tibi.

MEDEA. Medea superest: hic mare et terras vides
Ferrumque et ignes et Deos et fulmina.

N'est-ce pas là, le Moi, dis-je, et c'est assez délayé de la plus pitoyable façon dans une énumération inutile de pouvoirs?

Je ne sais pourquoi les commentateurs, à l'ar

ticle de la Médée de Longepierre, s'empressent de déclarer que cette plate tragédie, toute défectueuse qu'elle est, est encore fort supérieure à celle de Corneille. Longepierre, tout en imitant les anciens, a copié assez maladroitement ses devanciers. N'est-ce pas ce même Longepierre qui refit si mal la jolie antithèse de Racine :

Pour réparer des ans l'irréparable outrage,

et qui, pour rajeunir le vers de Britannicus où Burrhus vante sa liberté de langage digne d'un soldat, attribue sa franchise à ces mêmes Grecs dont Virgile avait dit avec bien plus de sens :

Quidquid id est, timeo Danaos et dona ferentes.

Quant à la Médée de Quinault, bien que d'un style aussi lâche et aussi diffus que la plupart des pièces de son auteur, elle n'en a pas moins été louée outre mesure par Voltaire qui s'était constitué le défenseur de l'ennemi de Despréaux, et qui ne craint pas de dire en parlant d'un couplet chanté par Médée : « Ce seul couplet vaut mieux peut-être que toute la Médée de Sénèque, de Corneille et de Longepierre; parce qu'il est fort et naturel, harmonieux et sublime. Observons que c'est ce Quinault que Boileau affectait de mépriser, et apprenons à être justes.

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Voici, du reste, le jugement que portait Cor

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