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souvenir que ce même homme ne partagea point les biens patrimoniaux, que sa vie intime avec son frère Thomas fut le modèle du plus touchant accord, et qu'enfin il ne mourut point riche. Et puis n'oublions point que Corneille vivait dans un siècle où Charles-Maurice Le Tellier, archevêque de Reims, ne pouvait concevoir qu'on vécût à moins d'avoir cent mille écus de rente; où Chapelain, que l'on avait proclamé le prince des poètes, entassait au prix des privations les plus pénibles cinquante mille écus dans son coffre; où le président Tardieu, neveu de Gillot, l'un des auteurs de la Menippée, fournissait à Despréaux une de ses plus poignantes satires, et où Malherbe enfin, le prince des poètes et le poète des princes, estimait à prix d'or le sang de son fils bienaimé.

En ce temps-là vivait un certain Claveret (1),

suis fou de gloire et affamé d'argent. (OEuvres de Boileau Despréaux, édit. de Saint-Marc. Amsterdam, Changuion, M DCC LXXV, t. II, p. 426.)

(1) Ce Claveret que nous avons déjà vu composer une Place Royale, fit en outre trois pièces de théâtre la première l'année même de la représentation du Cid, en 1636, comédie intitulée : l'Esprit Fort; la seconde intitulée: l'Ecuyer ou les faux Nobles mis au billon, comédie du temps, dédiée aux vrais nobles de France par le sieur de Claveret, Paris, 1666.- La troisième est une tragi-comédie intitulée: l'Enlèvement de Proserpine, sujet qui avait déjà été traité par Hardy. On peut juger du mérite dramatique de Claveret par l'admirable invention qu'il fit afin de conserver l'unité de lieu dans cette dernière. Comme la scène se passe à la fois au ciel, en Sicile et aux enfers, le spectateur doit se figurer que le lieu de la scène est une ligne per

ami de Corneille ou du moins qu'il avait toujours cru compter au nombre de ses amis. Pendant que la littérature se scindait en deux camps, le camp de l'auteur du Cid et celui du cardinal, et que la l'amitié de Corneille devenait un vrai courage, ce Claveret se sépara tout d'un coup de Corneille, et voulant donner des gages au parti le plus fort qu'il embrassait en grande hâte, il publia un pitoyable libelle en vers, intitulé: L'auteur du vrai Cid Espagnol à son traducteur français, dans lequel on

trouve ces vers:

Donc, fier de mon plumage, en Corneille d'Horace,
Ne prétends plus voler plus haut que le Parnasse :
Ingrat, rends-moi mon Cid, jusques au dernier mot;
Ainsi tu connaîtras, corneille déplumée,

Que l'esprit le plus vain est aussi le plus sot,

Et qu'enfin tu me dois toute ta renommée.

Tout cela n'était pas de l'esprit de fort bon aloi, et le pitoyable jeu de mots sur le nom de famille de notre héros, faisait à peu près tous les frais de l'invention; mais le gant de Corneille était relevé et le fameux vers :

Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée,

parodié misérablement. Ces aboiements réitérés excitèrent la bile de Corneille, et cette fois-ci il

pendiculaire, espèce de balançoire dont un bout est dans les cieux, l'autre dans les enfers, la Sicile étant le point d'appui par où cette barre touche à la terre.

confia à la prose le soin de le venger. C'est alors que parut la lettre apologétique du sieur P. Corneille, en réponse aux observations du sieur Scudéry sur le Cid. Il y prend fort spirituellement et fort convenablement le parti de cette pauvre Chimène, si méchamment traitée de prostituée et d'infâme; il raille plaisamment Scudéry sur sa tragi-comédie de l'Amant libéral, et quant aux accusations de vantardise et d'air de matamore adressées au noble comte de Gormas, il le renvoie à son Lygdamon et à l'A qui lit, prologue chevaleresque et rodomont mis par Scudéry au-devant de sa comédie. Quant au duel que lui propose Scudéry, Corneille, toujours courtois, lui propose sérieusement une réconciliation, ce qui sent sa courte noblesse, comme dit Brichanteau dans Marion Delorme, en parlant de notre auteur. Mais il trouve moyen de se venger en passant de l'insolent Claveret, et ce seul coup de la griffe du lion suffit pour l'anéantir.

Scudéry ne se tint pas pour battu et répondit par une lettre où il prétendait prouver ses prémisses toujours par Heinsius, Aristote et Joseph Scaliger, puis par une autre lettre à l'Académie, où le vers parodié par Claveret se trouve répété, et où le prestige de la représentation et le jeu de Mondory et de la Villiers sont désignés comme seuls comptables du succès de la pièce du Cid.

Enfin, vint le jugement de l'Académie : si ce

Jugement ne mérite pas entièrement l'éloge qu'en faisait la Bruyère, qui disait : « Le Cid est un des plus beaux poèmes qu'on puisse faire; et l'une des meilleures critiques qui aient été faites sur aucun sujet est celle du Cid; cette critique est sage, modérée, minutieuse, comme la critique de Scudéry, mais donnant la plupart du temps tort à ce dernier.

Scudéry était allé jusqu'à compter les répétitions et les manques de repos en l'hémistiche: Chapelain le suivit dans ce dédale de détails, et puisque nous sommes sur ce sujet, il ne sera pas hors de propos de parler d'une petite discussion, futile à la vérité, mais à laquelle les savans tout grammaticaux de cette époque attachaient quelque importance.

On lit dans les sentimens de l'Académie sur les vers du Cid, cette remarque sur cet hémistiche d'un vers de la fin du second acte.

Qu'un meurtrier périsse.

Cette réflexion : « Ce mot de meurtrier que l'auteur répète souvent, le faisant de trois syllan'est que de deux. >

bes,

En effet, l'usage de prononcer certains ié comme une diphthongue, et de ne la compter que pour une seule syllabe, était alors général. La Fontaine lui-même a fait sanglier de deux syllabes.

Voici à cet égard la dissertation de Ménage, dans son commentaire sur les poésies de Malherbe (1).

Après avoir cité dans ce poète plusieurs exemples de diphthongues de cette nature, comme voudriez, de deux syllabes, quatrième, de trois, etc., il ajoute :

En cela, il (Malherbe) a été suivi par tous les plus grands poètes qui lui ont succédé; je veux dire par les Gombaud, les Racan, les Chapelain, les Desmarets, les Scudéry et les Le Moine. Mais aujourd'hui, cet i précédé d'une mute et d'une liquide et suivi de la voyelle e, est constamment de deux syllabes. Notre poésie a cette obligation, avec plusieurs autres, à M. Corneille, que sa tragi-comédie du Cid a osé le premier faire meurtrier de trois syllabes :

Jamais un meurtrier en fit-il son refuge?

Jamais un meurtrier s'offrit-il à son juge?

Je sais bien qu'il en a été repris par Messieurs de l'Académie dans leurs sentimens sur cette tragi-comédie. Mais le temps a fait voir que c'a été injustement et qu'on devait le louer de cette nouveauté, au lieu de l'en blamer...; car, comme je viens de dire, son opinion a prévalu; et tous les nouveaux poètes généralement en usent de la

sorte. >

(1) Les poésies de Malherbe avec les observations de Ménage, Paris, Claude Barbin, M DC LXXXIX, p. 249 ct suiv.

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