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Suit une grande discussion avec Desmarets, qui prétend que bouclier, de deux syllabes, n'est pas plus difficile à prononcer que guerrier ou laurier. Cette belle assertion est imprimée dans la préface de son Clovis. Ménage cite en sa faveur l'opinion de M. de Segrais, qui, au témoignage de l'auteur, avait l'oreille fort délicate. Et il finit par faire sentir la justesse d'oreille de Corneille novateur, en proposant de remplacer ces deux vers en question, par ceux-ci :

Quoi! jamais un meurtrier en fit-il son refuge?
Quoi! jamais un meurtrier s'offrit-il à son juge?

et d'essayer de les lire d'une façon satisfaisante 'pour l'oreille.

Qu'on me pardonne d'avoir rapporté cette puérile discussion, et d'avoir encouru le blâme de Despréaux, qui reprend Saint-Amand d'avoir, dans son Moïse sauvé :

Peint le petit enfant qui va, saute, revient,

Et joyeux à sa mère offre un caillou qu'il tient.

La langue s'épurait en ce temps-là et tous les auteurs étaient philologues. On discutait un verbe, un mot, une cédille, un accent: Malherbe mettait six ans à faire une ode, et je ne suis pas de l'avis de Berthelot qui pense que c'est une chose facile (1). Certes, notre langue française a de Être six ans à faire une ode

(1)

bons et loyaux soldats à pleurer. Bien des tours originaux, bien des mots précieux et non remplacés, ont vieilli et ont suivi la loi commune. D'autres ont été tués sous de maladroits auteurs. On peut préférer la langue de Ronsard à celle de Voltaire, toutes deux écloses sous la plume des auteurs, spontanément, sans réflexion antérieure, sans discussion préalable. Mais la langue de Malherbe, de Corneille, et surtout celle de Despréaux, resteront toujours comme des monu. mens presque irréprochables et quasi-infaillibles, discutées qu'elles ont été et épiloguées jusque dans leurs dernières syllabes. Voilà l'un des secrets de la grandeur littéraire de ce siècle. C'est cet éveil continuel donné par les auteurs au moindre mot douteux employé par un confrère, cette alarme sonnée pour une syllabe incongrue, cette pruderie de phrase, en un mot, qui faisait que tout auteur regardait la langue française comme sa mère, et chaque barbarisme comme un viol. Qu'on rie tant qu'on voudra de ces susceptibilités et des niaiseries de l'hôtel de Rambouillet, en voyant notre pauvre langue française tant gaspil

Et faire des lois à sa mode,
Cela se peut facilement,

Berthelot répond à la chanson : Qu'autres que vous soient désirées, attribuée à Malherbe, et qui fut vraiment faite en collaboration par Malherbe, Racan et madame de Bellegarde, dans la chambre de cette dernière, chanson imitée d'une chanson espagnole, dont le re frain est bien puede ser, no puede ser. — Encore une imitation espagnole !

lée et tant violentée par ces éveilleurs de curiosité moderne, pour qui Lhomond même et son microscopique rudiment sont des dieux inconnus, je ne puis m'empêcher de regretter pour elle un temps où Corneille et son Cid avaient besoin de l'appui de Ménage et de Segrais, pour dispenser nos pauvres bouches françaises de l'horrible contraction usitée en ce temps pour renfermer meurtrier en deux syllabes, ce temps où Chapelain et Desmarets soutenaient énergiquement sangl-ier et peupl-ier, et où le docteur Mathanasius traitait les vers de Pierre Corneille de patois normand, pour avoir fait rimer vrai avec obéirai, et plus loin vrai avec je sçai.

On a écrit et on a imprimé que si Pierre Corneille est et sera toujours le prince des poètes tragiques, comme on l'appelait de son temps, où chaque auteur pensionnaire de la liste civile de Louis XIV avait, ou à peu d'exceptions près, sa principauté, nous le devons à un M. de Challon, ancien secrétaire de Marie de Médicis, et retiré à Rouen dans sa vieillesse, qui initia Corneille aux beautés de la langue espagnole, et lui indiqua Guilhen de Castro comme une source féconde de beautés tragiques: M. de Challon l'aurait même aidé dans sa traduction.

Si M. de Challon valut à la France cette merveille naissante de la tragi-comédie du Cid, et à la postérité les admirables caractères de dona Chimène et de dom Gormas, ce fut aussi lui qui va

lut à Pierre Corneille ces tracasseries de toute sorte dent il fut l'objet. Si l'Académie, dont la critique après tout est presque en tout point sage et modérée, ce qui dénote de la part de l'assemblée naissante un grand courage et une grande impartialité, protégée qu'elle était par le fameux cardinal, ne fût intervenue entre Corneille et ses détracteurs, de façon à lui accorder au moins quelque mérite, et à le défendre un peu contre l'accusation de plagiat et de vol à main armée qui couvait contre lui, Corneille ennuyé des cris barbares de Mairet, de Scudéry et de Claveret, se fût peut-étre retiré du theâtre et consolé avec son ami Rotrou, de l'injustice des hommes, où tous deux ils eussent formé une ligue littéraire, mais toujours espagnole, et nous eussions vu passer sur notre théâtre tout le bagage d'outrePyrénées, de Lopez de Véga, de Caldéron, de Pedro de Roxas et de Juan d'Alarcon. M. de Challon eût toujours encouragé les deux auteurs et les eût aidés de sa science et de ses conseils; tandis que, fort de son génie naissant et de l'approbation au moins tacite de tout ce qu'il y avait alors de vrais savans, Pierre Corneille se recueillit trois ans en lui-même, et nourri de la moelle du lion de ses auteurs classiques, il produisit Horace, poème original, dans lequel ses contemporains mêmes si envieux de sa gloire et si disposés à crier au voleur! ne purent reconnaître un seul trait du drame de l'Arétin, production ignorée, ni une ré

miniscence, même éloignée, de la tragédie des Horaces de Pierre de Laudun, sieur d'Aigaliers, en cinq actes et en vers, jouée en 1596.

Que dire maintenant de la critique de Voltaire sur le Cid? -ce qu'on peut dire de toutes ses critiques sur Corneille. C'est le génie passé à l'étroite filière de l'esprit, mais cette foisci de l'esprit envieux. Voltaire croyait sans doute le cardinal un mauvais prêtre, car il prit chaudement son parti; lui qui le premier avait signalé ce mot de Richelieu, qui disait que Corneille aurait bien dû avoir un esprit de suite, ne s'est pas aperçu ou n'a pas voulu s'apercevoir que la vieille rancune de la correction de la comédie des Thuileries avait ranci dans le cœur du cardinal, comme l'envie dans le cœur de poète de Mairet, et dans l'âme aristotélicienne de Scudéry. Et pourtant la vérité que voulait cacher Voltaire, se fait jour malgré lui, et après avoir cité la lettre de Bois-Robert à Mairet, où le collaborateur de Richelieu prie le poète de Besançon de cesser, au nom du cardinal, d'injurier ce pauvre M. Corneille qui n'en peut mais, et que les critiques ont laissé pour mort sur le champ de bataille, il ne peut s'empêcher de citer la lettre de Balzac, ой l'élégant auteur épistolaire défend l'auteur du Cid et le justitie si bien. Voici quelques passages de cette lettre qui, mieux que toutes les défenses modernes, montrent l'appréciation d'un homme de goût, et vengent Corneille de ses détracteurs :

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