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• Considérez néanmoins, Monsieur, › écrivait Balzac, que toute la France est en cause avec lui, et que peut-être il n'y a pas un des juges dont vous êtes convenus ensemble, qui n'ait loué ce que vous désirez qu'il condamne, de sorte que quand vos argumens seraient invincibles et que votre adversaire y acquiescerait, il aurait toujours de quoi se consoler glorieusement de la perte de son procès, et vous dire que c'est quelque chose de plus d'avoir satisfait tout un royaume que d'avoir fait une pièce régulière. Il n'y a point d'architecte d'Italie qui ne trouve des défauts à la structure de Fontainebleau, et qui ne l'appelle un monstre de pierre : ce monstre, néanmoins, est la belle demeure des rois, et la cour y loge commodément..... ›

« Aristote blâme la Fleur d'Agathon, quoiqu'il dit qu'elle soit agréable, et l'OEdipe peut-être n'agréait pas, quoique Aristote l'approuve. Or, s'il est vrai que la satisfaction des spectateurs soit la fin que se proposent les spectacles, et que les maîtres mêmes du métier aient quelquefois appelé de César au peuple, le Cid du poète français ayant plu aussi bien que la Fleur du poète grec, ne serait-il point vrai qu'il a obtenu la fin de la représentation et qu'il est arrivé à son but, encore que ce ne soit pas par le chemin d'Aristote, ni par les adresses de sa poétique? Mais vous dites, monsieur, qu'il a ébloui les yeux du monde et vous l'accusez de charme et d'enchantement;

je connais beaucoup de gens qui feraient vanité d'une telle accusation, et vous me confesserez vous-même que si la magie était une chose permise ce serait une chose excellente. Ce serait, à vrai dire, une belle chose, de pouvoir faire des prodiges innocemment, de faire voir le soleil quand il est nuit, d'apprêter des festins sans viandes ni officiers, de changer en pistoles les feuilles de chêne, et le verre en diamans. C'est ce que vous reprochez à l'auteur du Cid......... vous l'emportez dans le cabinet, et il a gagné au théâtre. Si le Cid est coupable, c'est d'un crime qui a eu récompense; s'il est puni, ce sera après avoir triomphé......... Ne vous attachez point avec tant de scrupule à la souveraine raison; qui vou. drait la contenter et satisfaire à sa régularité serait obligé de lui bâtir un plus beau monde que celui-ci; il faudrait lui faire une nouvelle nature des choses, et lui aller chercher des idées audessus du ciel.........

L'applaudissement et le bláme du Cid n'est qu'entre les doctes et les ignorans,» avait écrit le cardinal en marge du travail de Chapelain. Si le jugement du cardinal était de quelque poids dans la balance, ce serait bien le cas de dire: Maudits ceux qui ont goûté aux fruits funestes de l'arbre de la science, et bienheureux les ignorans qui peuvent en paix admirer le Cid sans s'inquiéter des Aristotes et des géomètres littéraires!

L'année 1636 fut fertile en pièces de théâtre.

Outre l'Esprit fort de Claveret, pièce mort-née comme toutes celles de son auteur, la Célimène et les Ménechmes de Rotrou que Tristan et Regnard se chargèrent plus tard de rajeunir et de faire applaudir, Voltaire cite de la même année la Mort de César de Scudéry, la Cléopâtre de Benserade, l'Hercule mourant de Rotrou, le Cléomédon de Du Ryer, et la fameuse Mariamne de Tristan.

Quand on compare toutes ces pièces au Cid de Corneille, on est étonné de la différence et de la supériorité de Corneille, et l'on comprend les clameurs qui s'élevèrent à cette révélation subite d'un génie si supérieur. On ne trouve dans l'Hercule qu'une seule scène où le style soit tolérable; la Cléopâtre n'est qu'une faible imitation de la pièce de Garnier; quant à la fameuse Mariamne, on ne saurait en vérité comprendre l'apoplexie de Mondory, et l'enthousiasme de l'abbé de BoisRobert; seule, cette belle prière de Mariamne, au moment de périr, peut trouver grâce devant la critique: elle recommande ses enfans à Dieu et dit ces beaux vers:

Il restent sans appui; mais, ô mon Dieu, j'espère
Que tu leur serviras de support et de père,

Et que pour les conduire en ces temps dangereux,
Ta haute providence ouvrira l'œil sur eux.
Imprime dans leur cœur ton amour et sa crainte ;
Fais qu'ils brulent toujours d'une ardeur toute sainte,
Qu'ils portent dans leurs cœurs le résolu penser
De mourir mille fois plutôt que t'offenser;

Que jamais nul excès de tristesse ou de joie
Ne détourne leurs pas de la céleste voie;
Et s'ils sont opprimés en observant ta loi,

Que, vivant sans reproche, ils meurent comme moi.

Voltaire trouve mauvaise la Mort de César, probablement parce que, comme pour la Sophonisbe et la Mariamne, il se trouve ici en rivalité avec les auteurs; le style de Scudéry est pourtant assez élevé dans cette tragédie, et vaut incomparablement mieux que celui de la Mariamne en général. Brute dit au commencement :

Ma main, résolvons-nous, l'honneur vous le commande,
Montrons le même cœur qu'ont montré nos parens,

Et que le nom de Brute est fatal aux tyrans.

Porcie s'exprime ainsi en la scène cinquième du quatrième acte :

On verra que je suis, quoi que l'on exécute,
La fille de Caton et la femme de Brute;
Que l'univers entier s'assemble contre toi,
Aussi bien que ton cœur subsistera ma foi.

Je trouverai la gloire au milieu des supplices,
Et toute leur puissance et toute leur rigueur
N'ébranleront jamais son âme ni mon cœur.

Quant au Cléomédon de Du Ryer, dont Voltaire ne daigne parler ni en bien ni en mal, il renferme des vers dignes de Corneille lui-même, et du Cid, leur contemporain. Je parlerai plus tard de Du Ryer à l'occasion de son Scévole représenté en l'année 1646, mais qu'on me pardonne une citation de Cléomédon : on ne verra pas, j'espère,

sans intérêt ces quelques vers arrachés à l'oubli auquel Corneille condamna tous ses rivaux : voici d'abord un vers du premier acte :

Il me vit, il m'aima; je le vis, je l'aimai.

Au second acte Timante, qui désapprouve son maître de promettre sa fille à un aventurier, s'exprime ainsi :

Pour vivre sans révolte, un peuple qui murmure,
Veut des rois de naissance et non pas d'aventure.
Tant que le char du jour fut conduit du soleil,
Il remplit l'univers d'un lustre sans pareil;
De ce char lumineux, les chevaux sans audace,
Ne quittèrent jamais leur route ni leur trace;
Mais lorsqu'un Phaeton les tint dessous sa main,
Devenus orgueilleux ils rompirent leur frein,
Dans le monde troublé leurs flammes s'épandirent,
Et perdant le cocher, eux-mêmes se perdirent.
Le peuple en est de même : il s'émeut aisément
Lorsqu'un maître inconnu prend son gouvernement.
Mais sans peine et sans force il adore des maîtres
Dont il a respecté les illustres ancêtres. »

Voilà certes de beaux et nobles vers: aussi, pauvre et honnête comme Corneille, Du Ryer ne se mêla-t-il point aux intrigues mesquines de Claveret et du cardinal, il continua bravement et tranquillement sa route à travers la misère et les écueils sans nombre, et quand une fois en sa vie il se trouva le rival et le rival heureux de Corneille aux portes de l'Académie, il n'est point dit qu'entre les futurs confrères se soient

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