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s'il dit à propos de la scène sept de l'acte deux :

J'ai cherché dans tous les anciens et dans tous les théâtres étrangers une situation pareille, un pareil mélange d'âme, de douleur, de bienséance, et je ne l'ai point trouvé, il avait déjà dit au sujet de ces vers de la scène première du second

acte:

Albe vous a nommé, je ne vous connais plus.

Je vous connais encore, et c'est ce qui me tue,

à ces mots : Je ne vous connais plus, — je vous connais encore, on se récria d'admiration; on n'avait jamais rien vu de si sublime. Il n'y a pas dans Longin un seul exemple d'une pareille grandeur. › Nous savons d'autre part que le commencement de cette méme scène avait transporté le public d'admiration, et que l'on allait répétant partout ces deux vers admirables de Curiace, devenus proverbe :

Je rends grâces aux dieux de n'être pas Romain,
Pour conserver encor quelque chose d'humain.

Déjà dès les premiers vers de la pièce le début était si imposant, les vers se déroulaient en si beau langage, que les spectateurs avaient été saisis de respect comme s'ils eussent assisté à la revue d'une légion romaine; cet admirable cri de Sabine :

Rome, si tu te plains que c'est là te trahir,
Fais-toi des ennemis que je puisse haïr,

leur avait arraché des cris d'enthousiasme, le qu'il mourût avait fait couler les larmes du prince de Condé, et les imprécations de Camille étaient trop dans le goût du siècle pour ne pas ravir la foule (1). Aussi Corneille, qui avait mis trois ans de réflexion et d'étude à composer ce chef-d'œuvre, était sûr de ce qu'il appelait le peuple, et pas un Scudéry ou un Saumaise du temps ne s'était aperçu de la triplicité d'action et de quelques autres défauts, malgré la connaissance profonde que tout criti

(1) Presque tous les poètes dramatiques d'alors introduisaient dans leurs pièces des fureurs ou des imprécations: on connaît les fureurs d'Hérode que disait si bien Bois-Robert et dont mourut Mondory. Voici les imprécations de la Sophonisbe de Mairet; on peut ici comparer le grand Corneille et celui qui se disait son rival, tout en se faisant son détracteur. C'est Massinisse qui parle :

Un poignard malgré toi, trompant ta tyrannie,
M'accorde le repos que ta rigueur me nie :
Cependant, en mourant, ô peuple ambitieux,
J'appellerai sur toi la colère des cieux.

Puisses-tu rencontrer, soit en paix, soit en guerre,
Toute chose contraire et sur mer et sur terre ;
Que le Tage et le Pô contre toi rebellés,
Te reprennent les biens que tu leur a volés;
Que Mars faisant de Rome une seconde Troie,
Donne aux Carthaginois tes richesses en proie,

Et que

dans peu de temps le dernier des Romains
En finisse la rage avec ses propres mains.
Mais consumer le temps en des plaintes frivoles,
Et flatter sa douleur avecque des paroles,
C'est à ces lâches coeurs que l'espoir de guérir
Persuade plutôt que l'ardeur de mourir.

Meurs, misérable prince, et d'une main hardie,
Ferme l'acte sanglant de cette tragédie.

(Il tire le poignard caché sous sa robe.)

que, petit ou grand, avait alors d'Aristote, et il fallut que le grand Corneille vînt les dévoiler luimême à l'admiration de ses contemporains. II fallut qu'il leur dît que le personnage de Sabine, quoique heureusement inventé, ne sert pas plus à l'action que celui de l'Infante dans le Cid, pour qu'ils s'en aperçussent. Puis, comme il avait eu le bon goût de ne point finir par les imprécations de Camille une pièce dont, à tout prendre, le titre est Horace, héros principal dont un trait caractéristique est justement le meurtre de sa sœur, et qu'il ne fallait point laisser le spectateur sur la fâcheuse impression que devait produire une action aussi brutale de la part d'un héros intéressant, l'auteur de la pièce nous apprend lui-même que le cinquième acte étant tout en plaidoyers, est une des causes du peu de satisfaction que laisse cette tragédie.

Cet acharnement du grand Corneille à trouver les défauts d'un chef-d'œuvre et à rappeler sans cesse les règles d'Aristote à propos d'une pièce qui s'en écarte parfois, pourrait sembler extraordinaire, surtout quand on songe à la persistance qu'il mit à défendre des ouvrages moins heureux, tels que Pertharite ou Attila. Mais tout étonnement cesse quand on réfléchit que la pièce était jugée et avait obtenu un immense succès. Corneille était sûr du public, et de pareilles observations ne pouvaient pas lui ôter un applaudissement. D'ailleurs n'était-ce pas dans cette même année 1639,

où avait été représenté Horace, que fut imprimé l'Amour Tyrannique de Scudéry, cette pièce si admirable, si l'on en croit Sarrasin, et surtout si conforme à tous les préceptes d'Aristote? L'Amour Tyrannique avait fait une chute digne de sa froideur et de l'ennuyeux galimatias qui en remplissait les hémistiches. Aristote avait eu tort et Corneille tenait à démontrer qu'Horace n'était point selon les règles d'Aristote. Aussi fit-il cet examen rigoureux dont nous avons parlé, et pour comble de fierté, dédia-t-il sa pièce au cardinal, son persécuteur.

le

Voltaire s'étonne du style de cette dédicace, et en voyant une humilité apparente avec des paroles comme celles-ci : j'ai l'honneur d'être à Votre Éminence, etc.; il cherche d'abord à l'expliquer à l'aide des cinq cents écus que cardinal lui faisait accepter tous les ans sur sa cassette, et finit en disant : « Cette page est assez remarquable; ou elle est une ironie, ou elle est une flatterie qui semble contredire le caractère que l'on attribue à Corneille. Il est évident qu'il ne croyait pas que l'ennemi du Cid et le protecteur de ses ennemis eût un goût si sûr. »

Les mêmes raisons que nous venons de donner tout à l'heure pour expliquer la conduite de Corneille, nous semblent encore justifier merveilleusement cette dédicace. Le cardinal était désormais un ennemi vaincu, et ses haines littéraires ne pouvaient porter atteinte à la gloire de Corneille.

Je ne sais quel mélange de fierté satisfaite et d'ironie de bon goût déterminèrent le vainqueur à faire hommage au vaincu de son arme victorieuse. Et puis n'était-ce pas un coup de maître que cette courtoisie faite si à propos, et le cardinal n'étaitil pas assez puissant pour étouffer la gloire de son rival autrement qu'en suscitant contre lui les critiques subalternes? Cette dédicace le désarma, et la meute des Mairet, des Claveret et autres, prête à aboyer contre lui, se tut faute de recevoir le signal du maître. Scudéry seul rompit le silence, encore ne fut-ce point pour blâmer Horace, mais pour faire de sa pièce de l'Amour Tyrannique l'éloge le plus pompeux. Ne serait-ce pas une chose éminemment curieuse que de comparer les examens que Corneille fit de ses propres pièces avec les appréciations du même genre faites par quelques auteurs? Nous venons de voir l'examen que Corneille fit de la tragédie d'Horace, et nous n'avons eu qu'à louer sa trop grande modestie. Nous l'avons vu découvrant lui-même à ses contemporains les défauts si cachés sous les beautés, qu'on ne les apercevait pas. Scudéry eut la même prétention que Corneille. Seulement, comme personne n'apercevait les beautés de ses œuvres, il entreprit de les mettre lui-même au jour : c'est pour cela qu'il dit sa pièce de l'Amour Tyrannique si parfaite et si achevée, que sans doute Aristote aurait réglé sa poétique sur cet excellent poème, assez riche d'ailleurs pour lui fournir d'aussi beaux

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