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vieux temps, s'il a besoin d'embellissement ou d'appui. Aux endroits où Rome est de brique, vous la rebâtissez de marbre : quand vous trouvez du vide, vous le remplissez d'un chef-d'œeuvre, et je prends garde que ce que vous prêtez à l'histoire est toujours meilleur que ce que vous empruntez d'elle.

La femme d'Horace et la maîtresse de Cinna, qui font vos deux véritables enfantemens, et les deux pures créatures de votre esprit, ne sontelles pas aussi les principaux ornemens de vos deux poèmes ? Et qu'est-ce que la saine antiquité a produit de vigoureux et de ferme dans le sexe faible, qui soit comparable à ces nouvelles héroïnes que vous avez mises au monde, à ces Romaines de votre façon? Je ne m'ennuie point depuis quinze jours, de considérer celle que j'ai reçue la dernière.

« Je l'ai fait admirer à tous les habiles de notre province : nos orateurs et nos poètes en disent merveille. Mais un docteur de mes voisins, qui se met d'ordinaire sur le haut style, en parle certes d'une étrange sorte, et il n'y a point de mal que vous sachiez jusqu'où vous avez porté son esprit. Il se contentait le premier jour de dire que votre Émilie était la rivale de Caton et de Brutus, dans la passion de la liberté. A cette heure il va bien plus loin. Tantôt il la nomme la possédée du démon de la république, et quelquefois la belle, la raisonnable, la sainte et l'ad

mirable furie. Voilà d'étranges paroles sur le sujet de votre Romaine, mais elles ne sont pas sans fondement. Elle inspire, en effet, toute la conjuration, et donne chaleur au parti, par le feu qu'elle jette dans l'âme du chef. Elle entreprend, en se vengeant, de venger toute la terre elle veut sacrifier à son père une victime, qui serait trop grande pour Jupiter même. C'est à mon gré une personne si excellente, que je pense dire peu à son avantage, de dire que vous étes beaucoup plus heureux en votre race que Pompée n'a été en la sienne, et que votre fille Émilie vaut sans comparaison davantage que Cinna, son petit-fils. Si celui-ci même a plus de vertu que n'a cru Sénèque, c'est pour être tombé entre vos mains, et à cause que vous avez pris soin de lui. Il vous est obligé de son mérite, comme à Auguste de sa dignité. L'empereur le fit consul, et vous l'avez fait honnéte homme; mais vous l'avez pu faire par les lois d'un art, qui polit et orne la vérité, qui permet de favoriser en imitant; qui quelquefois se propose le semblable, et quelquefois le meilleur. J'en dirais trop, si j'en disais davantage. Je ne veux pas commencer une dissertation, je veux finir une lettre, et conclure par les protestations ordinaires, mais très sincères et très véritables, que je suis,

. Monsieur,

Votre très humble serviteur,
< BALZAC. ›

Cette lettre démontre plusieurs choses: d'abord, c'est que le plus sévère critique de Corneille était Corneille lui-même dans l'examen de sa pièce; ensuite, comme le remarque Voltaire, qu'Émilie était regardée comme le principal personnage de la pièce, et que Cinna passait pour l'honnête homme de la tragédie.

Personne, pendant les représentations de la tragédie de Cinna, ne s'imagina de trouver le langage de Corneille emphatique, et cependant, dans ce temps encore, la vérité des costumes était inconnue au théâtre. Au témoignage de Voltaire, Auguste dans Cinna arrivait campé sur la hanche avec des airs de tambour-major en ville conquise; quant à son costume, il était affublé d'une énorme perruque qui descendait par devant jusqu'à la ceinture. Cette perruque était agréablement farcie de feuilles de laurier, ce qui faisait ressembler assez l'entrée d'Auguste à celle du jambon dans la satire du repas. Le tout était coiffé d'un énorme chapeau chargé de deux étages de plumes rouges. Ajoutez que cette caricature s'agitait dans l'espace, et du haut de son trône, qui n'était autre qu'un fauteuil à deux gradins, déclamait d'une façon ampoulée et inintelligente. Voilà ce que c'était qu'un rôle de roi dans l'ancien théâtre. Quand on songe que c'est sur une telle scène, avec de pareils costumes, et peut-être avec tous ces défauts que Baron a charmé le public de son temps pendant cinquante ans, et que

Molière était réputé mauvais dans les rôles tragiques!

pas

Il résultait de tout cela que les gens de la ville et de la cour, enthousiasmés de la pièce de Corneille dont les vers avaient dominé par leur magnificence toutes ces misères, en récitaient des tirades, en imitant les auteurs, ce qui ne devait aider à leur inhabileté naturelle. Toutes ces choses choquèrent le goùt si pur et si simple de Fénelon; c'est ce qui lui fait dire dans sa lettre à l'Académie sur l'Éloquence: Il me semble qu'on a donné souvent aux Romains un discours trop fastueux. Je ne trouve point de proportion entre l'emphase avec laquelle Auguste parle dans la tragédie de Cinna, et la modestie avec laquelle Suétone l'a peint. » Peut-être un Auguste modeste est-il plus dans la nature; mais mieux vaut un Auguste un peu emphatique en dépit de Suétone, quand il parle la langue de Corneille dans

Cinna.

L'enthousiasme dont je viens de parler était si général, et Corneille devint tant à la mode, que les défauts de Cinna échappèrent au public comme les défauts d'Horace. Ce fut encore Corneille luimême qui, dans son examen de la pièce, se chargea de les découvrir au public. Encore ne voulut-il pas y croire, et l'impression produite par sa pièce fut si forte que Voltaire, cette fois vaincu par le génie, s'écrie à propos de l'examen de cette pièce : Quoique j'aie osé y trouver des défauts,

:

j'oserais dire ici à Corneille je souscris à l'avis de ceux qui mettent cette pièce au-dessus de tous vos autres ouvrages; je suis frappé de la noblesse, des sentimens vrais, de la force, de l'éloquence, des grands traits de cette tragédie....... quand je vous compare surtout aux contemporains qui osaient alors produire leurs ouvrages à côté des vôtres, je lève les épaules et je vous admire comme un être à part....... C'est au milieu de cette foule que vous vous éleviez au-delà des bornes connues de l'art. Vous deviez avoir autant d'ennemis qu'il y avait de mauvais écrivains, et tous les bons esprits devaient être vos admirateurs. Si j'ai trouvé des taches dans Cinna, ces défauts même auraient été de très grandes beautés dans les écrits de vos pitoyables adversai

res, etc.)

Et si nous ne voulions point nous en rapporter au jugement de la postérité, et que Balzac, si estimé de ses contemporains, ne nous semblât point une autorité suffisante, écoutons l'épicurien SaintEvremond, devenu cette fois-ci sérieux, et défendant mieux que Perrault les modernes contre les anciens par le seul exemple de Corneille : « J'avoue, dit-il, « que nous excellons au théâtre, et je ne croirai point flatter Corneille quand je donnerai l'avantage à beaucoup de ses tragédies sur celles de l'antiquité. Saint-Evremond ne songeait point à reprocher à Corneille son emphase; car il ajoute plus loin : « Chez Corneille,

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