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la grandeur se connaît par elle-même; les figures qu'il emploie sont dignes d'elle, quand il veut la parer de quelques ornemens; mais d'ordinaire, il néglige certains dehors, et ne va point chercher dans les cieux de quoi faire valoir ce qui est assez considérable sur la terre; il lui suffit de bien entrer dans les choses, et la pleine image qu'il en donne fait la véritable impression qu'aiment à recevoir les personnes de bon sens; » et encore: « S'il se contente de connaître les personnes par leurs actions, Corneille a cru que ce n'était pas assez de les faire agir; il est allé au fond de leur âme chercher le principe de leurs actions, il est descendu dans leur cœur pour y voir former les passions, et y découvrir ce qu'il y a de plus caché dans leurs mouvemens. ›

La gloire littéraire de Corneille était donc à son comble et personne ne songeait à lui disputer la victoire, surtout si l'on songe aux misères qui se jouèrent dans ce temps-là, comme nous l'avons vu au chapitre d'Horace. La flatterie sonnait si haut à ses oreilles et cherchait si traîtreusement le chemin de son cœur, que tout autre que lui n'eût pu résister à tant d'encens; mais Corneille était de ces héros complets à qui les louanges semblent l'accomplissement d'une dette. Le génie étant un don de Dieu, une étincelle échappée à ce foyer de toute lumière, on peut comparer en quelque sorte les éloges qu'on lui donne à l'encens offert à la Divinité, encens qui ne peut

l'enivrer puisqu'il n'est que le tribut d'un juste hommage. C'est encore là une des vraies marques du génie que de pouvoir dire comme Corneille par la bouche d'Auguste :

Je suis maître de moi comme de l'univers.

Aussi supporta-t-il victorieusement cette épreuve; il se souvint de la satire sixième de Perse et ne s'amusa point à faire gros dos sous l'éloge, mais il mit en pratique le beau précepte de la fin : Tecum habita, et au lieu d'y trouver cette Curta supellex dont parle le poète latin, il trouva la demeure splendide et résolut d'y habiter en roi. C'est ce noble empire sur lui-même qui nous valut cette franchise sublime qui lui faisait dire d'un côté que, pour trouver sa plus belle pièce, il fallait choisir entre Rodogune et Cinna; puis plus tard, en défendant ses derniers enfans, qu'Othon et Suréna n'étaient point des cadets indignes de Cinna; et d'un autre côté il nous valut encore ces examens sévères, et cette impartialité qui lui fit si souvent considérer ses ouvrages comme les œuvres d'autrui.

Pour n'en citer que des exemples relatifs au sujet qui nous occupe, on connaît son examen de Cinna, que nous avons vu être si sévère, que Voltaire le contredit; et lorsque dans ses discours sur le poème dramatique et les trois unités, lorsque Corneille vient à parler de ses pièces, il

les dissèque, les examine, les blâme et les admire, ni plus ni moins que si elles étaient les œuvres d'un étranger. Ainsi, quand il tâche au premier de ses discours d'expliquer ces paroles d'Aristote Pour que l'action du poème soit d'une juste grandeur, elle doit avoir un commencement, un milieu et une fin, ne dit-il pas : ⚫ Ces termes sont si généraux, qu'ils semblent ne signifier rien; mais à les bien entendre ils excluent les actions momentanées qui n'ont point les trois parties telle est peut-être la mort de la sœur d'Horace..., et je m'assure que si Cinna attendait au cinquième acte à conspirer contre Auguste et qu'il consumât les quatre autres en protestations d'amour à Emilie, ou en jalousie contre Maxime, cette conspiration surprenante ferait bien des révoltes dans les esprits à qui les quatre premiers auraient fait attendre toute autre chose.... Cinna conspire contre Auguste et rend compte de sa conspiration à Emilie, voilà le commencement; Maxime en fait avertir Auguste, voilà le milieu; Auguste lui pardonne, voilà la fin. »

Et dans son discours des trois unités ne dit-il pas avec la même franchise: Une des raisons qui donne tant d'illustres suffrages à Cinna, pour le mettre au-dessus de ce que j'ai fait, c'est qu'il n'y a aucune narration du passé, etc. ›

Au reste, Corneille avait fait lui-même, dans le premier discours, sa profession de foi et il

avait dit: J'ajoute à ces trois discours généraux l'examen de chacun de mes poèmes en particulier afin de voir en quoi ils s'écartent ou se conforment aux règles que j'établis. Je n'en dissimulerai point les défauts, et en revanche je me donnerai la liberté d'y remarquer ce que j'y trouverai de moins imparfait. Balzac accorde ce privilége à une certaine espèce de gens et soutient qu'ils peuvent dire d'eux-mêmes par franchisse ce que d'autres diraient par vanité. Je ne sais si j'en suis. Mais je veux avoir assez bonne opinion de moi pour n'en désespérer pas. ›

Ce fut en cette même année 1639 que naquit à la Ferté-Milon, d'un contrôleur du Grenier à Sel, Jean Racine, le seul rival du grand Corneille. Déjà grandissait une génération qui devait dignement continuer le grand siècle sur lequel Corneille rayonnait de tout son éclat. Molière avait dix-sept ans, Pascal seize, Bossuet douze, et la même année où le Cid, malgré le cardinal de Richelieu, jeta les fondemens d'une des plus. grandes gloires qui fut jamais, en 1636, était né le onzième des enfants de Gilles Boileau, le greffier, Nicolas Boileau-Despréaux, ce vaillant don Quichotte de la littérature, cet intrépide redresseur de torts, qui ne manqua jamais de rompre une lance pour le bon droit, toutes les fois qu'il le put, et qui, aveuglé par l'amitié, fut, comme nous le verrons, si souvent injuste envers le grand Corneille.

CHAPITRE XI.

POLYEULTE.

Le temps des mystères était passé. La barbarie, qui les avait fait éclore, avait aussi sa naïveté et son orgueil. Pour oser s'attaquer à des sujets aussi grands et aussi sévères que la Passion de Jésus-Christ ou le martyre d'un saint, il faut avoir une confiance bien absolue en son talent, ou une naïveté de procédé admirable. Corneille avait habitué les spectateurs au jeu des passions humaines, au développement des caractères, à l'harmonie et à la pompe des vers, en un mot à la logique théâtrale. Il avait pris la peine, comme Scudéry, Sarrasin et les beaux esprits du temps, de lire Aristote et de le méditer; il n'en était

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