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point arrivé comme Sarrasin à démontrer victorieusement que le chef-d'œuvre le plus accompli, la merveille la plus rare qui se soit jamais produite au théâtre, est l'Amour Tyrannique de Scudéry, et d'ailleurs nulle aveugle amitié n'a jamais dirigé sa plume; mais cette étude intelligente le conduisit à faire ses trois admirables discours sur le poème dramatique et les unités; et, au même temps que paraissait l'Amour Tyrannique, chef-d'œuvre de glace et d'ennui, le théâtre se régénérait, et Cinna et Horace marquaient une nouvelle époque dans son histoire.

La vaste science de Corneille et son esprit d'investigation l'avaient aussi conduit à la lecture de ces savans rhéteurs et commentateurs, grands donneurs de règles poétiques, les La Harpe et les Le Batteux de ce temps-là; aussi, quand l'étude de l'histoire romaine l'eut amené à l'ère des martyrs et à la persécution de l'empereur Décius, et que, fort de son génie et de ses essais victorieux, Corneille eut conçu le projet d'une tragédie chrétienne, il se mit à consulter Heinsius, Minturnus, Grotius et Buchanan, et il a bien soin de les citer dans son examen de Polyeucte.

Toutes ces précautions et ces excuses nous semblent bien futiles, et nous nous demandons s'il était besoin de tant de circonlocutions et de prolégomènes, pour faire une bonne tragédie et une sainte action, pour faire Polyeucte enfin, qui amena au théatre les gens les plus scrupuleux,

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et qui fit rendre à Louis XIII cet arrêt, le 16 avril 1641 En cas que lesdits comédiens règlent tellement les actions du théâtre qu'elles soient du tout exemptes d'impureté, nous voulons que leur exercice, qui peut innocemment divertir nos peuples de diverses occupations mauvaises, ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public. ›

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Si Polyeucte se présentait à notre théâtre moderne, j'ai assez bonne opinion du tribunal appelé à juger ces sortes de choses, pour penser que l'ouvrage attendrait paisiblement sous la poussière d'un carton, son tour de représentation, et qu'il finirait peut-être par être écouté silencieusement après avoir été préalablement bien et dûment rogné par les ciseaux de la censure; mais en l'an de grâce 1640, il en était autrement : un tribunal suprême existait en ce temps-là, sorte d'officine grammaticale où se faisait à grands renforts de discussions, de pointes, de phrases précieuses, de périodes alambiquées, la mixtion convenable des substantifs, des verbes et des prépositions : on y pesait dans la balance de la justice les consonnes et les voyelles, les diphthongues et les syllabes. Tous les jours on y étendait la grammaire sur le lit de Procuste, et les plus beaux esprits du temps venaient s'y faire juger; c'était

l'hôtel de Rambouillet.

Le grand Corneille s'y rendait assidument, comme il le fit plus tard à l'Académie, et il y li

sait ordinairement ses pièces avant de les porter aux comédiens.

Donc, après s'être bien affermi dans la croyance qu'il avait fait une bonne pièce, il alla, confiant, la lire à l'hôtel de Rambouillet. Cette tragédie sainte étonna les esprits inaccoutumés à ce genre d'ouvrage. On applaudit les vers; mais on envoya le lendemain Voiture faire des représentations à Corneille sur le christianisme de la pièce qui avait blessé la susceptibilité des précieuses et qui ne devait pas réussir devant un public éclairé.

L'hôtel de Rambouillet, à ce que nous apprend l'abbé d'Aubignac, qui paraît pour la première fois sur la scène dans la vie de Corneille, le même qui s'acharna plus tard contre notre héros, et fit Faristotélicien à la façon de Scudéry, ne put souffrir Saint Polyeucte, lui qui avait assisté à la chute de Sainte Catherine (1), tragédie en cinq actes et en prose de Jean Puget de la Serre, historiographe de France. Comment cette société éclairée ne vit-elle pas que la prose de la Serre ne pouvait entrer en parallèle avec les vers immortels de Corneille?

Il condamnait en outre le songe de Pauline au premier acte, disant que ce songe venant de Dieu devait être un songe véritable, tandis qu'il

(1) Et non Sainte Agnès, comme le prétend Voltaire. Il n'y a jamais cu de tragédie de Sainte Agnès autre que celle de Troterel, sieur d'Aves, dont nous avons parlé dans notre chapitre second.

ne présente que des faits invraisemblables et inaccomplis depuis.

Il condamnait encore la scène seconde de l'acte II, et ne pouvait souffrir cette entrevue de Sévère et Pauline qui s'aiment et devraient s'éviter, comme si au contraire cette scène où la passion et le devoir se combattent n'était pas du plus bel effet

Mais ce que condamnait en masse cette assemblée d'Aristarques, et en particulier Godeau, évêque de Vence, que nous verrons tout-à-l'heure s'être rencontré avee Corneille pour la traduction d'une pensée latine, c'était la scène sixième de ce même acte où Polyeucte, animé d'un saint zèle, déclare qu'il va renverser les idoles des faux dieux. On traitait son zèle d'imprudent, on allait même jusqu'à excommunier ce pauvre Polyeucte, en s'appuyant sur des exemples; on invoquait plu sicurs synodes qui devaient avoir défendu ces fureurs intempestives en les traitant d'attentats contre l'ordre et les lois. Nous ne prétendons pas cider cette question devant une aussi grave autorité que l'hôtel de Rambouillet; mais certes les Actes des martyrs et la Vie des saints ne nous feraient pas faute d'exemples de ce saint emportement.

Déjà, dit-on, il avait présenté, dix-huit mois avant cette lecture et cette critique, sa pièce aux comédiens qui, peu rassurés sur le succès de l'ouvrage, avaient laissé le manuscrit à l'un d'eux qui, soit dédain, soit oubli, l'avait jeté sur un lit, d'où

le coup de balai hasardé d'un' valet put le tirer. On raconte encore qu'après ces observations de Voiture, le grand Corneille, qui avait résisté à Richelieu, et qui ne voulait pas contredire l'hôtel de Rambouillet, alla redemander sa pièce aux comédiens qui la répétaient. Ceux-ci abandonnaient volontiers une si méchante rapsodie, quand l'un d'entre eux, brave comparse, dont on ne nous a point conservé le nom, fit à Corneille des représentations qui le déterminèrent à laisser sa pièce en répétition (1).

Que cette dernière anecdote ait été ou non inventée pour servir de parallèle à la Servante Laforêt, ce qui reste prouvé, c'est la répugnance des gens lettrés pour cette pièce de Polyeucte.

C'est qu'on se souvenait encore des anciens mystères. Juste cent ans auparavant, en 1540, ils étaient dans toute leur vogue. En cette année-là, s'il faut en croire de Rubis, dans son histoire de Lyon, un théâtre public fut dressé dans cette ville, « et là, » dit-il, dit-il, par l'espace de trois ou quatre ans, les jours de dimanche et les fêtes, après le dîner, furent représentées la plupart des

(1) Cette anecdote me paraît dénuée de toute vraisemblance. Quelques historiens mettent, il est vrai, la représentation de Polyeucte en 1641; mais, même en supposant cette date vraie, dix-huit mois auparavant on devait être en 1639 et bien voisin de la première rcprésentation de Ciuna, si tant est que ce chef-d'œuvre fût encore représenté. Comment donc Corneille eût-il représenté Polyeucte alors, et- comment, si Ciuna était dans sa vogue, quelqu'un eût-il hasardé un pareil oubli?

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