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semble la raison de sa tragédie (1). Puis il note dans le courant de la pièce les vers qu'il a tra duits de son auteur chéri, ce qui l'a fait comprendre dans le jugement de Boileau ; comme

(1) Peut-être ne sera-t-on pas fâché de lire la traduction de ce passage par Brébeuf. C'est Caton qui parle :

Enfin les cieux, dit-il, nous ravissent un homme
Sur qui roulait encor l'espérance de Rome,
Et qui, bien qu'en vertu cédant à nos aïeux,
Fut pourtant l'ornement de ce siècle odieux.
En ce temps où l'orgueil s'est rendu légitime,
Où la loi de l'honneur cède à celle du crime,
Il n'a point jusqu'au trône élevé ses projets ;
Il voulait des amis et non point des sujets.
Sous lui la liberté n'a point été blessée,
Ses grandeurs n'ont jamais révolté sa pensée.
Bien que Rome fût prête à porter ses liens,
Il n'a dans les Romains vu que ses citoyens ;
Il fut chef du sénat.: mais du sénat encore,
Et maître du couchant et maître de l'aurore,
Il ne s'établit point sur le droit des combats;
Ce qu'il put autrefois ne devoir qu'à son bras,
Qu'à ce courage grand sur les plus grands courages,
Il voulut le devoir à de libres suffrages.

Les progrès éclatans de sa jeune raison

Ont enrichi l'État bien plus que sa maison.

Il sut prendre au besoin ou mettre bas les armes :

Il adorait la Paix au milieu des alarmes,

Et d'un visage égal il a pris ou quitté

L'éclat de la puissance et de l'autorité.

On n'a vu ses trésors que dedans ses largesses,
Sa maison était chaste au milieu des richesses;
Toujours la modestie et toujours la candeur
S'y trouvèrent d'accord avecque la grandeur;
Son nom fut précieux aux nations diverses,

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pour nous d'un grand poids au fort de nos traverses.

Brébeuf, il a entassé les montagnes de morts, et si j'osais porter un jugement que Corneille lui-même eût confirmé, si l'on en croit l'anecdote qui le fait renoncer à traduire la Pharsale, après Brébeuf, je dirais que très souvent dans les vers que Corneille a traduits de Lucain, il me semble inférieur à celui-ci.

Si Brébeuf a entassé sur les rives,

De morts et de mouraus cent montagnes plaintives,

au moins n'a-t-il pas, comme l'auteur de la Mort de Pompée, abusé de l'image révoltante d'un champ de bataille et peint ces cadavres

Que la nature force à se venger d'eux-mêmes,

Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents
De quoi faire la guerre au reste des vivans.

Dans la même scène, Corneille a traduit de

Les remords de la honte et l'instinct du devoir
Ne sont plus un obstacle au souverain pouvoir;
Le bonheur des forfaits est un droit légitime,
Et la vertu gémit sous le pouvoir du crime.
Ton malheur, grand héros, te doit être bien cher,
De trouver une mort qu'il te fallait chercher,
D'assouvir ta douleur pour ne pas voir la nôtre,
Et pour ne vivre pas sous le pouvoir d'un autre
Je voudrais ne devoir ma perte qu'à mon bras.
Mais la contrainte sert qui conduit au trépas;
Si le sort n'assoupit sa haine consommée,
Je demande en Juba le cœur de Ptolomée,

Et pourvu que sans vie on me garde au vainqueur,
Je puis à mon destin pardonner sa rigueur.

Cette traduction n'a que le défaut d'être un peu longue, mais elle renfeține certés de fort beaux vers, et je n'y vois point de fatras obscur.

Lucain presque tout le discours de Photin, que l'auteur latin introduit également au huitième livre de sa Pharsale, pour répondre à Achorée. Voici le début de Corneille :

Seigneur, quand par le fer les choses sont vidées,
La justice et le droit sont de vaines idées,

Et qui veut être juste en de telles saisons,
Balance le pouvoir et non pas les raisons.

En voulant renchérir sur l'original, Corneille est devenu obscur : Brébeuf avait simplement traduit :

Quand on se rend, dit-il, l'appui des misérables,
La jactance et le droit font souvent des coupables;
Et qui veut relever ceux qu'abaissent les dieux,
Souvent sert de victime à ce zèle odieux.

Corneille avait encore ces beaux vers latins à traduire :

Nec soceri tantùm arma fugit, fugit ora senatûs
Cujus Thessalicas saturat pars magna volucres.

Et metuit gentes quas uno in sanguine mixtas
Deseruit, regesque timet quorum omnia mersit.

En voulant encore cette fois dépasser l'original, il l'a affaibli; il a mis :

César n'est pas le seul qu'il fuie en cet état,
11 fuit et le reproche et les yeux du sénat,
Dont plus de la moitié piteusement étale
Unc indigne curée aux vautours de Pharsale.

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Il fuit Rome perdue, il fuit tous les Romains,
A qui par sa défaite il mit les fers aux mains.
Il fuit le désespoir des peuples et des princes,
Qui vengeraient sur lui le sang de leurs provinces,
Leurs états et d'argent et d'hommes épuisés,

Leurs trônes mis en cendre et leurs sceptres brisés.

Brébeuf avait dit :

César est en tous lieux pour cette âme tremblante,
Le présent l'intéresse, l'avenir l'épouvante.
Il craint ceux dont la mort assouvit les vautours,
Il craint ceux dont le fer n'a pas tranché les jours,
11 craint et le murmure et la plainte importune
De ces rois dont Pharsale a détruit la fortune.

Corneille a montré plus de goût dans le récit de la mort de Pompée que fait au second acte Achorée à Cléopâtre. Ce récit tout entier, pris dans Lucain, est plein d'interminables détails que l'auteur français a retranchés avec raison. Ainsi Corneille a beaucoup abrégé le discours que Pompée adresse à sa femme pour l'engager à ne pas l'accompagner, et il a surtout fait preuve de discernement en retranchant toutes ces pensées intérieures de Pompée pendant qu'il meurt, sorte d'effort stoïque du patient, et de bavardage du poète, qui nuisent beaucoup à l'intérêt; mais nous ne saurions nous empêcher de regretter l'original latin au moment de la mort, et la traduction de Brébeuf nous semble encore ici supérieure. Corneille écrit :

Il se lève, et soudain pour signal, Achillas

Derrière ce héros tirant son coutelas,

Septime et trois des siens, lâches enfans de Rome,
Percent à coups pressés les flancs de ce grand homme,
Tandis qu'Achillas même, épouvanté d'horreur,
De ces quatre enragés aðmire la furenr.

.....

D'un des pans de sa robe il couvre son visage,
A son mauvais destin en aveugle obéit,

Et dédaigne de voir le ciel qui le trahit,

De peur que d'un coup d'œil contre une telle offense
Il ne semble implorer son aide ou sa vengeance.
Aucun gémissement à son cœur échappé

Ne se montre en mourant digne d'être frappé...

Sa vertu dans leur crime augmente ainsi son lustre,
Et son dernier soupir est un soupir illustre.

Voici le passage de Brébeuf :

Sous un pan de sa robe il voile son visage;
Honteux de s'exposer à cet indigne effort,
11 cache à ses regards l'appareil de la mort:
Il se possède en paix au milieu des alarmes,
Et son cœur à ses yeux ne permet point les larmes,
Le barbare Achillas, ce monstre audacieux,
Commençant à verser un sang si précieux,

Il semble consentir à cet assaut farouche.
Aucuns gémissemens n'échappent à sa bouche;
Il se met au-dessus d'un outrage si grand,

Il se tient immobile et s'éprouve en mourant.

Quant à la narration d'Achorée au troisième acte, que Corneille déclare la plus belle de son poème, elle est presque tout entière de lui, et la forme: vive et pressée, la joie mal dissimulée de César à la vue de la tête de son rival, sont des coups de pinceau bien supérieurs à l'original, et ces

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