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Certes, l'esprit du grand Corneille, après qu'il eut fait le Cid, Horace et Cinna, Polyeucte et Pompée, devait être bien éloigné de la comédie; et si, comme nous l'avons dit, le dom Quichotte de Guérin de Bouscal n'était venu réveiller ses souvenirs espagnols, on peut supposer que sa première production eût été quelque sujet romain bien bourré de héros et bien nourri d'assassinats politiques. Mais en lisant Lopez de Véga, sa verve comique, assoupie pendant quelques années, se réveilla tout d'un coup. Il se mit à traduire une comédie qu'il trouva dans les œuvres de ce

poète. Peu à peu sa verve s'échauffant, il refit l'original et produisit la charmante comédie du Menteur.

Il estimait tant ce sujet, que voici ce qu'il en dit dans son avertissement au lecteur: « S'il m'est permis de dire mon sentiment touchant une chose à laquelle j'ai si peu de part, je vous avouerai en même temps que l'invention de celle-ci me charme tellement que je ne trouve rien à mon gré qui lui soit comparable en ce genre, ni parmi les anciens, ni parmi les modernes. Elle est toute spirituelle depuis le commencement jusqu'à la fin, et les incidents sont si justes et si gracieux, qu'il faut être à mon avis de bien mauvaise humeur pour n'en approuver pas la conduite et n'en aimer pas la représentation. » Et dans son examen de la pièce : « Le sujet m'en semble si spirituel et si bien tourné, que je voudrais avoir donné les deux plus belles que j'aie faites et qu'il fût de mon invention. >> Ila même ce sujet tant à cœur qu'il cherche à se justifier d'une prédilection aussi grande en rapportant deux épigrammes fort mauvaises et fort louangeuses que lui adressa au sujet de sa comédie un certain de Zuylichem, secrétaire des commandements de Mgr le prince d'Orange, homme fort savant, que Balzac et Heinsius avaient pris pour arbitre dans je ne sais quelle querelle littéraire. On sait d'autre part que le cardinal de Richelieu, malade et sans jalousie cette fois, avait avait pour le

Menteur une estime si particulière qu'il fournit des costumes aux comédiens et quitta Thomas Morus qui le faisait pleurer, comme nous l'avons vu, pour le Menteur qui le faisait rire. Si Corneille, dans son avertissement et son examen de la pièce, ne cite point le cardinal comme une autorité au moins aussi bonne que M. de Zuylichem, c'est qu'il gardait encore une vieille rancune à son ancien protecteur pour la manière dont il avait persécuté le Cid, et qu'il avait d'abord mis dans ce même Menteur :

J'en voyais là beaucoup passer pour gens d'esprit,
Et faire encore état de Chimène et du Cid,

Et nier de tous deux la vertu sans seconde,
Qui passeraient ici pour gens de l'autre monde,
Et se feraient siffler, si dans un entretien
Ils étaient si grossiers que d'en dire du bien.

Plus tard, il supprima ces vers : sans doute il avait pitié de ce pauvre cardinal malade, qui riait de si bon cœur et qui cherchait si bien à protéger la comédie espagnole après avoir voulu étouffer la tragédie espagnole (1).

(1) Corneille crut même devoir consoler le cardinal par ce vers de la scène V de l'aete II:

Aux superbes dehors du palais-cardinal.

Le cardinal de Richelieu faisait alors bâtir son palais, aujourd'hui le Palais-Royal. Tout ce quartier était alors des prairies entourées de fossés, et la petite vanité du cardinal dut être singulièrement flattée de ce qu'on traitât de superbes les dehors de son palais, à deux pas du Louvre et des Tuileries.

:

Corneille alla plus loin dans ses discours sur le poème dramatique, il prend avec complaisance ses histoires du Menteur. « Il est hors de doute, dit-il à ce sujet, que c'est une habitude vicieuse que de mentir. Mais Dorante débite ses menteries avec une telle présence d'esprit et tant de vivacité que cette imperfection a bonne grâce en sa personne, et fait confesser aux spectateurs que talent de mentir ainsi est un vice dont les sots ne sont point capables.

le

Une telle prédilection ne reçut point de démenti de la part du public. Le Menteur eut un succès prodigieux. Nulle relation du temps ne nous apprend si on y tua cinq portiers en un jour comme le demandait Puget de la Serre; mais Thomas Morus disparut bientôt de la scène pour n'y jamais remonter, et le Menteur est encore au répertoire.

L'amour paternel de Corneille, la faveur du cardinal et celle du public éclairé se comprennent parfaitement. Le Menteur était pour eux une révélation dont ils ne se rendaient pas compte. La comédie de moeurs était créée, et Molière avait un précurseur. Déjà l'obscurité et la basse trivialité du discours avaient disparu de la scène avec Mélite, et le langage de la comédie française n'était plus celui des halles ou de Gauthier-Garguille. Mais un pas restait encore à faire. Corneille le fit dans sa comédie du Menteur : Aristophane, Térence, Plaute chez les anciens, et

nos faiseurs de comédies n'avaient introduit sur la scène que des gens du peuple, et si quelques uns, comme Térence, avaient voulu s'élever davantage, ils n'avaient osé mettre en scène que des marchands ou tout au plus des bourgeois de seconde classe. En cela ils s'étaient conformés au sentiment d'Aristote qui définit la comédie une imitation de personnes basses et fourbes. Cette définition ne pouvait satisfaire Corneille, qui dit à son propos, dans son premier discours du Poème dramatique : « Je ne puis m'empêcher de dire que cette définition ne me satisfait point, et puisque beaucoup de savans tiennent que son Traité de la Poétique n'est pas parvenu tout entierjusqu'à nous, je veux croire que dans ce que le temps nous en a dérobé, il s'en rencontrait une plus achevée. » Aussi, dans le Menteur, ce ne sont plus des bourgeois et des marchands qui parlent: il ne s'agit point de l'intrigue basse de quelque chambrière; Dorante est gentilhomme comme dans Rodrigue, et si Géronte avait reçu un soufflet comme le vieux comte, nul doute qu'il ne s'adressât à son fils pour le venger. Comme le remarque fort bien Voltaire, à qui il faut aussi rendre justice quand il le mérite, la scène III de l'acte V fait quitter au génie mâle de Corneille le ton familier de la comédie. C'est un père espagnol et par conséquent noble comme le roi, il est justement irrité :

Iratusque Chremes tumido delitigat ore.

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