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Marais, elle gagna cette fois la faveur du public, et les représentations en furent fort suivies.

Cette froideur du public vient-elle de l'ignorance de ceux qui ne connaissent pas le Menteur; les défauts de la pièce furent-ils la cause de sa chute, ou faut-il dire avec Voltaire que la suite du Menteur vaut mieux que le Menteur même, et le public se serait-il mépris grossièrement sur cet ouvrage auquel il suffirait de faire quelques changemens pour avoir un chef-d'œuvre?

Dans aucune de ces hypothèses n'est pour nous la solution du problème. Sans doute le Menteur est une admirable comédie; et, habitué que l'on était aux héros de Corneille et à la pompe de ses vers, une comédie de lui fut une révélation nouvelle. Mais, une fois la première comédie faite, il fallait peut-être la seconde fois s'élever beau.coup plus haut que la première : il fallait surtout

changer de sujet et ne pas paraître guetter un succès nouveau qui fût le corollaire d'un succès passé; il fallait produire une comédie qui fût au Menteur ce qu'Horace est au Cid. Au lieu de cela, Corneille, peut-être fâché de n'avoir imité que Juan d'Alarcon, quand il croyait traduire Lopez de Véga, et aussi trop amoureux du sujet qu'il avait trouvé, mit tranquillement en vers français la suite du Menteur, qui appartient à Lopez de Véga, sans conteste. Sans doute il embellit le sujet, et, en passant par ses mains, le cuivre espagnol devint or; sans doute la suite du Menteur est

pleine de vers charmans, et la première scène de l'acte quatrième est une préface de certains endroits de Rodogune. Mais toutes ces qualités s'étaient déjà trouvées réunies dans le Menteur, et le public savait de quoi Corneille était capable. De tout autre, si favori qu'il eût été, il eût attendu moins, et la pièce eût été accueillie avec enthousiasme; mais de Corneille il attendait mieux, et la pièce tomba. Quand, plus tard, cette impression fut détruite, que l'on fut plus loin du Menteur et que Corneille fut entièrement revenu aux sujets tragiques, la pièce réussit. C'était alors une nouveauté. Après le Menteur, on croyait enfin voir éclore une comédie française; Mélite était le premier degré; le Menteur le second : le troisième eût pu être le Misanthrope ou les Femmes savantes.

Ce besoin d'une vraie comédie française était tellement dans tous les esprits, que voici ce que disait Saint-Evremond, l'un des plus chauds admirateurs de notre héros :

« Pour la comédie, qui doit être la représentation de la vie ordinaire, nous l'avons tournée toutà-fait sur la galanterie à l'exemple des Espagnols, sans considérer que les anciens s'étaient attachés à représenter la vie humaine selon la diversité des humeurs, et que les Espagnols, pour suivre leur propre génie, n'avaient dépeint que la seule vie de Madrid dans leurs intrigues et leurs aventures........... Pour la régularité et la vraisemblance, il ne faut pas s'étonner qu'elles se trouvent moins

chez les Espagnols que chez les Français : comme toute la galanterie des Espagnols est venue des Maures, il y reste je ne sais quel goût d'Afrique étranger aux autres nations, et trop extraordinaire pour pouvoir s'accommoder à la justesse des règles, etc. ›

Lorsque Saint-Evremond écrivait ces choses, Molière avait déjà donné ses Précieuses ridicules, et les doléances de l'épicurien sur la manie espagnole des faiseurs de comédies, est comme le corollaire de cette parole du bourgeois du parterre: Bravo, Molière, voilà de la bonne comédie! SaintEvremond, d'ailleurs, n'estimait pas tant le Corneille espagnol que le Corneille romain, témoin ce passage de sa réponse au maréchal de Créqui: • Ce grand maître du théâtre à qui les Romains sont plus redevables de la beauté de leurs sentimens qu'à leur esprit et à leur vertu, Corneille, qui se faisait assez entendre sans le nommer, vient un homme assez commun, lorsqu'il s'exprime pour lui-même. Il ose tout penser pour un Grec ou pour un Romain: un Français ou un Espagnol diminue sa confiance, et quand il parle pour lui, elle se trouve tout-à-fait ruinée. Il prête à ses vieux héros tout ce qu'il a de noble dans l'imagination, et vous diriez qu'il se défend l'usage de son propre bien, comme s'il n'était pas digne de

s'en servir.

de

Je ne sais si parler pour un Français, ou parler pour lui-même, eût ruiné la confiance du grand

Corneille, mais il renonça à la comédie; et, voulant s'affranchir de toute espèce d'imitation, il chercha un sujet nouveau, et Rodogune parut, Rodogune, sa pièce de prédilection, dont l'envie alla jusqu'à lui refuser l'invention, comme nous verrons au chapitre suivant.

Après le Cid, Corneille s'était reposé trois ans avant de donner au monde sa tragédie d'Horace. Ainsi fit-il après la suite du Menteur: il se tint trois ans éloigné du théâtre, composant et retouchant sa Rodogune avec tout l'amour que l'on a pour une production entièrement originale.

ses

Quelle devait être alors la vie de notre héros? Agé de près de quarante ans, demeurant habituellement à Rouen, sauvage de sa nature, rapports devaient être des plus choisis. Pauvre, malgré son opulence passagère et l'argent qu'il devait gagner parfois, je doute qu'il menât grand train de maison; d'ailleurs son goût n'était pas là, et la négligence avec laquelle il s'habillait, ne dénotait point le moindre amour du monde. Marié comme nous l'avons vu, et père de famille, il devait trouver dans les joies domestiques le délassement intermittent que nécessitaient ses travaux, et encore est-il douteux qu'il prît quelque repos. Les hommes de la trempe de Corneille semblent être venus sur la terre pour produire et émerveiller; aussi ces hommes-là travaillent-ils toujours avec une égalité d'âme parfaite; l'homine de génie n'attend point l'heure de l'inspiration,

et n'a que faire de l'attendre. Il n'a qu'à écrire : selon une belle comparaison moderne, le génie est ce coursier au galop parcourant prairies, steppes et bois d'une allure désordonnée; il marche, il marche sans fin, et l'homme, lié sur son dos, ne saurait s'en détacher: ses pensées ont beau vouloir faire les vagabondes et s'égarer, le cheval est là qui galope et qui l'emporte. L'homme de génie n'a jamais eu besoin de hâter le pas de sa monture ou de l'exciter pour la mettre au galop.

Je ne sais si je ne me trompe, mais je crois que l'on pourrait porter ce jugement sur la fille du lieutenant-général des Andelys qu'épousa Cor

neille.

D'une famille plus élevée que celle de Corneille, puisque le père la lui refusait, fort jolie, puisqu'elle avait tourné la tête de notre héros jusqu'à le distraire de ses travaux, elle devait avoir en partage toutes les qualités du cœur et de l'esprit; autrement, Corneille qui, malgré sa rudesse, était choyé des plus grandes dames de la cour, et qui d'ailleurs à l'hôtel de Rambouillet pouvait voir et entendre tout ce que l'esprit avait de plus raffiné et la galanterie de plus gracieux, aurait fait un fâcheux parallèle une fois arrivé dans son ménage. Par vertu et par amour du devoir, Corneille, malgré des défauts contraires aux qualités que nous venons de signaler, eût pu sans doute rester le meilleur des maris; mais, à coup

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