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avantage, au dire des biographes. Son mérite pouvait y être pour quelque chose, car ce n'était point un homme médiocre que du Ryer, et contre tout autre que Corneille, il eût certes mérité la préférence. Aussi gueux que Rutebœuf, son celèbre compatriote et devancier, du Ryer n'en montrait pas moins une égalité d'àme parfaite. Il se maria pauvrement et il se mit à raboter des vers et des traductions pour les libraires : raboter est le mot; il se fit ouvrier en vers; on lui avait coté le cent d'Alexandrins à quatre francs et le cent de petits vers à quarante sous. Son libraire lui payait ses traductions un écu la feuille. Il vivait de ces ressources dans un petit village aux environs de Paris, et je ne sais rien. au monde de plus touchant que le récit d'une yisite que lui fit Vigneul de Marville (1). Voici comme il la raconte :

Un beau jour d'été nous allâmes plusieurs ensemble lui rendre visite. Il nous reçut avec joie, nous parla de ses desseins, et nous montra ses ouvrages; mais ce qui nous toucha, c'est que, ne craignant pas de nous laisser voir sa pauvreté, il voulut nous donner la collation. Nous nous rangeâmes sous un arbre; on étendit une nappe sur l'herbe sa femme nous apporta du lait et lui des cerises, de l'eau fraîche et du pain bis. Quoique ce régal nous parût très bon, nous ne

(1) Dom Bonaventure d'Argonne.

pûmes dire adieu à cet excellent homme sans pleurer de le voir si maltraité de la fortune. »

Scévole, sans contredit la meilleure de ses tragédies, eut un succès prodigieux en 1646; elle fut jouée à l'hôtel de Bourgogne; Bellerose remplissait le rôle de Scévole, une comédienne nommée Duclos jouait Junie. Les autres principaux rôles étaient confiés à des comédiens nommés Bellefleur, Bandimare et Beausoleil (1). En 1731, cette pièce fut reprise et Baron joua le rôle de Scévole.

Cette tragédie, pour sa versification, ne serait pas indigne de Corneille. Des récits un peu longs, mais magnifiques, des vers tels que celui-ci, en parlant de Coclés :

Il emplit tout le pont de sa seule personne,

justifient le succès qu'eut cette tragédie, même aux dépens de Théodore, dont les dehors n'étaient pas aussi séduisants. Cependant, si la pudeur française reprocha à Théodore les objets qu'elle faisait imaginer au lecteur, on reprocha à du Ryer d'avoir pris pour sujet un héros dont l'action d'éclat consiste dans un assassinat.

Ce qui paraîtrait confirmer ce que nous avançons au sujet de Scévole et de Théodore, c'est que ce fut en cette même année 1646 que Pierre

(1) Ne sont-ce pas là d'admirables noms de comédiens ? Rapprochez-les de Destin, la Rancune et la Caverne, et vous aurez une idée de la bizarrerie des pseudonymes des comédiens du temps.

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HISTOIRE DE P. CORNEILLE.

du Ryer et Pierre Corneille se présentérent à l'Académie. Pierre du Ryer, comme nous l'avons dit, fut reçu en sa qualité de Parisien; mais la comparaison de Scévole et de Théodore dut aussi être d'un grand poids dans la balance et influencer certains votes. Héraclius répara tout aux yeux de ces gens-là, et Corneille fut académicien en 1647, comme nous le verrons au chapitre suivant.

CHAPITRE XVII.

HÉRACLIUS.

Qui des deux a imité l'autre, Pierre Corneille ou don Diego Caldéron de la Barca? - Héraclius est-il antérieur à la famosa comedia du poète espagnol, ou devons-nous notre tragédie à l'imbroglio espagnol intitulé: en esta vida todo es verdad y todo mentira? C'est là une question oiseuse qui pourtant partagea long-temps les esprits et engendra de vives disputes, si nous en croyons Vol

taire.

Laissons à Caldéron l'honneur d'avoir mis le premier Héraclius en scène et d'avoir fourni à Corneille l'idée d'une admirable scène. Caldéron

n'a jamais imité les auteurs étrangers, et pour cela il y avait de bonnes raisons. En fait de littérature ancienne comme d'histoire, Caldéron était le plus ignorant des hommes, et comment trouver dans sa vie, si occupée à confectionner des poèmes de toute espèce, le temps nécessaire pour lire les littérateurs contemporains? Caldéron, comme Lopez de Véga, était de ces grands ramasseurs d'idées qui s'inspirent de la richesse de leur imagination et qui glanent sans choix tout autour d'eux les pensées et les phrases. Aux jours d'inspiration, ils produisent d'admirables choses. C'est la récolte du génie. Aux jours d'impuissance et de marasme, leurs œuvres sont. plus que diocres. C'est le fumier où les Virgile et les Corneille sont obligés d'aller déterrer les perles.

Le nombre des comédies de Caldéron est immense. Lopez de Véga en a composé plus de mille, sans compter les pièces fugitives, entremets proportionnés aux pièces de résistance, et qui contiennent souvent un nombre de stances capable de défrayer une demi-douzaine d'odes de notre siècle dégénéré. Tous deux composaient pour le public et se souciaient peu de la postérité. Écoutons plutôt Lopez de Véga, dans son épître intitulée : nouvel art de faire des comédies en ce temps. J'en emprunte la traduction à l'abbé de Charmes :

J'avoue que j'ai travaillé quelquefois selon les règles de l'art; mais quand j'ai vu des mons

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