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dont Corneille n'a point donné l'exemple. Andromède est intitulée simplement tragédie, et les stances, les airs chantés de temps en temps, les machines décrites avec un si grand soin par le poète lui-même n'empêchent point l'action de marcher à travers les récits des différens auteurs.

L'art des machines et des décorations, poussé si loin aujourd'hui, ne paraît pas avoir fait de grands progrès, si on compare Andromède à nos féeries modernes. Nous voyons tous les jours d'habiles changemens à vue, des ascensions aériennes; on nous montre même le spectacle d'une mer irritée, de vaisseaux s'engloutissant dans les ondes ou ballottés par les flots; mais, si nous en croyons les éloges non suspects de Corneille lui-même, l'habileté du sieur Torelli triompha sans peine de cinq changemens à vue énormes, d'une décoration représentant la mer et son rivage, d'entrées de dieux et d'enlèvemens aériens, de la nécessité d'un cheval ailé pour transporter Persée, et la troupe royale, qui représenta la pièce au petit Bourbon, fit preuve d'intelligence et de hardiesse, puisque Andromède elle-même est enlevée dans les airs et transportée sur le rocher où elle doit être exposée.

Tous les amateurs savent Phèdre par cœur et presque personne ne lit Andromède, dit Voltaire dans l'examen de cette pièce, à propos d'un vers où il croit trouver l'origine du fameux vers:

Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Rien n'est plus vrai, malheureusement encore de nos jours: on a tant jeté de discrédit sur certaines pièces du grand Corneille que, hormis ce qu'on est convenu d'appeler ses chefs-d'œuvre, ses ouvrages sont peu connus. Nul n'a plus souffert que ce grand homme de la mutilation qu'on appelle œuvres choisies, et les admirables paroles que l'on trouve plus tard dans ce qu'on avait accoutumé de regarder comme du fumier, ont le charme de l'imprévu, presque de la découverte.

Certes aucun ouvrage n'est plus connu et plus généralement admiré qu'Athalie. Avec les satires de Boileau c'est le canevas forcé sur lequel vous devez appliquer votre intelligence classique. De Corneille il n'en est nullement question dans l'enseignement que comme un génie inconnu, et si quelques âmes d'élite le soupçonnent en secret, ils rendent leurs hommages Deo ignoto. Aussi quiconque ne serait pas en état de faire un petit cours de littérature, ce que les faiseurs du genre appellent un modèle d'exercice sur le songe d'Athalie ou la prophétie de Joad, serait accusé d'avoir été fort médiocre humaniste et très piètre rhétoricien. Et pourtant dans la pièce qui nous occupe, dans Andromède, au prologue, Corneille a placé aussi une prophétie, non pas cette fois une prophétie sainte, une lueur d'inspiration céleste, mais une prophétie fort belle et peutêtre plus intéressante que celle de Joad. L'esprit ne peut s'empêcher, à la lecture d'Athalie, de se

reporter sur l'ingratitude de Joas et sur la funeste issue qu'eut cette révolution, si péniblement élaborée par Joad. Corneille, au contraire, dans son prologue, fait prédire à Louis XIV, enfant, les splendeurs de son règne; c'est le soleil qui parle à Melpomène :

Calliope, ta sœur, déjà d'un œil avide

Cherche dans l'avenir les faits de ce grand roi,
Dont les hautes vertus lui donneront emploi,
Pour plus d'une Iliade et plus d'une Énéide.

Melpomène avait déjà demandé au soleil d'arrêter son cours pour prolonger les plaisirs du monarque naissant.

C'est Melpomène qui parle :

Le ciel n'a fait que miracles en lui,

Lui voudrais-tu refuser un miracle?

Le soleil répond :

Non : mais je le réserve à ces bienheureux jours
Qu'ennoblira sa première victoire.

Quand on songe à la gloire du monarque et du siècle què prédisait ainsi Corneille, n'est-il pas permis de croire que le génie a aussi ses révélations?

Le prologue d'Andromède est en tout point une œuvre fort remarquable: il commence par un air chanté à la louange du roi, comme dit Corneille lui-même :

Cieux, écoutez; écoutez, mers profondes,

Et vous, antres et bois,

Affreux déserts, rochers battus des ondes,
Redites après nous d'une commune voix:

Louis est le plus jeune et le plus grand des rois.

Ce dernier vers est le refrain : le second couplet finit ainsi :

le

Et quand même le ciel l'aurait mise à leur choix,
Il serait le plus jeune et le plus grand des rois.

Voltaire, en examinant ces deux vers, y trouve germe de ce passage de la Bérénice de Racine :

Parle, peut-on le voir, sans penser comme moi
Qu'en quelque obscurité que le ciel l'eût fait naître,
Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître.

Comme d'ordinaire, Voltaire donne ici l'avantage à Racine, et dit: C'est là qu'on voit l'homme de goût et l'écrivain aussi délicat qu'élégant. Voltaire n'a pas pris garde à la rocailleuse et épouvantable chute du second des vers de Racine, et près duquel le m'a la pla de Malherbe et le parabla ma fla de des Yveteaux sont des euphonismes (1).

(1)

Enfin cette beauté m'a la place rendue.

M. des Yveteaux se moquait de ce vers à cause de ce m'a la pla. Ce qui ayant été rapporté à Malherbe, Malherbe dit plaisamment que c'était bien à M. des Yveteaux à trouver le m'a la pla mauvais, lui qui avait dit parablamafla. M. des Yveteaux avait fait des vers où il y avait : Comparable à ma flamme. (Ménage, Observations sur les poésies de Malherbe, Ire observation sur les stances intitulées: Victoire de la Constance.)

Voltaire, qui protége Quinault, ne manque pas d'exalter celui-ci aux dépens de Corneille, à propos d'Andromède et de l'opéra de Persée. Il cite même un passage de cet auteur, trop rabaissé peut-être par Boileau, et dans lequel sans doute on ne trouve pas, comme Voltaire l'assure, un seul pêché contre la langue, mais qui, à mon sens, est le modèle le plus parfait de vulgarité et d'ennui qui soit au monde. Quinault, malgré son maître Tristan et son collaborateur Lulli, m'a toujours rappelé ces édifices d'architecture italienne ou ces plagiats des temples grecs, constructions parfaitement régulières où tout a un air blanc et propret, le triomphe du crépissement et du recrépissement qu'on ne peut habiter ni voir sans un bâillement perpétuel, qui peuvent évoquer une admiration de commande ou de système, mais jamais une critique sérieuse.

Pourtant quand il s'agit de la narration où Persée pétrifie ses ennemis avec la tête de Méduse, Voltaire convient que Corneille et Ovide avaient surpassé Quinault, et même exprimé beaucoup de choses dont le faiseur d'opéras ne s'était point douté; mais, ajoute-t-il, c'est presque le seul morceau où l'on retrouve Corneille. Le désespoir de Phinée, ses imprécations et ses blasphèmes, malgré la foudre qui le menace et les stances répandues dans l'ouvrage, sont pourtant des morceaux dignes de remarque. A propos de ces stances et généralement de toutes les stances qui

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