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Va rendre Grimoald à son premier objet ;
Et s'il traite ce prince en héros magnanime,
N'ayant plus de tyran, je n'ai plus de victime.
Je n'ai rien à venger et ne puis le trahir,

S'il m'ôte les moyens de le faire haïr.

Dans la scène deuxième du cinquième acte Eduige dit ces vers:

Tu crois donc qu'à ce point la couronne m'est chère,
Que j'ose mépriser un comte généreux,

Pour m'attacher au sort d'un tyran trop heureux?
Aime-moi, si tu veux, mais crois-moi magnanime,
Avec tout cet amour garde-moi ton estime.

Certes, ce ne sont point là des vers médiocres et indignes de tout examen, et Voltaire a eu tort de dire à la fin des quelques remarques faites sur les trois premiers actes: Je ne ferai plus de remar ques sur cette malheureuse Pertharite. On n'a besoin de commentaire que sur les ouvrages où le bon est mêlé continuellement avec le mauvais.. Certes s'il est une pièce où le bon et le mauvais se coudoient continuellement, c'est Pertharite, et par cela même la pièce était digne qu'on y fit quelque attention. Si, comme nous l'avons vu, la pièce tomba pour ne plus se relever, quelles furent donc les causes de sa chute? Corneille luimême prend soin de nous l'apprendre dans son examen de Pertharite: « Ce qui l'a fait avorter au théâtre, dit-il, a été l'événement extraordinaire qui me l'avait fait choisir. On n'y a pu supporter qu'un roi dépouillé de son royaume, après avoir

fait tout son possible pour y rentrer, se voyant sans forces et sans amis, en cède à son vainqueur les droits inutiles, afin de retirer sa femme prisonnière de ses mains, tant les vertus de bon mari sont peu à la mode. On n'y a pas aimé la surprise avec laquelle Pertharite se présente au troisième acte, quoique le bruit de son retour soit répandu dès le premier, ni que Grimoald reporte toutes ses affections à Eduige, sitôt qu'il a reconnu que la vie de Pertharite, qu'il avait cru mort jusque-là, le mettait dans l'impossibilité de réussir auprès de Rodelinde. J'ai parlé ailleurs de l'inégalité de l'emploi des personnages qui donne à Rodelinde le premier rang dans les trois premiers actes, et la réduit au second ou au troisième dans les deux derniers. »

Voilà en effet les principales causes de la chute de Pertharite; ajoutons qu'elle était peu dans les mœurs du temps, et qu'on y vit avec déplaisir un tyran débonnaire n'ayant d'autre tort que d'étre usurpateur, tort qui fait toujours tache dans la vie la plus glorieuse, mais que souvent la gloire pardonne à ses amans. Mais ce qui aurait dû faire excuser ces choses, c'est le caractère de Rodelinde, caractère de femme dont Corneille a seul eu le secret, et dont Pulchérie, dans Héraclius, est le modèle. Rodelinde est une femme jeune, enthousiaste, passionnée, mais appliquant sa passion à ses devoirs, aimant son mari avec passion, sa patrie plus que son mari, et prête à sacrifier ses plus chères

affections, si le bien public semble murmurer à son oreille le mot devoir. C'est là le beau côté de la femme, comme la passion mesquine et criarde en est le mauvais côté : celle-ci mène aux spasmes, aux attaques de nerfs et à l'adultère; celle-là, au contraire, fait triompher l'esprit de la chair, conquiert souvent des royaumes et meurt quelquefois martyre de son devoir. D'un côté, c'est la femme forte de l'Ecriture ou la Jeanne-d'Arc de notre France; de l'autre, c'est une coquette luttant sans énergie contre une passion de boudoir, Depuis Corneille, nul n'a eu le secret de ces caractères de femmes, si grandioses, si entiers, si emphatiques même, dont l'histoire nous a pourtant conservé tant de si nobles modèles, et nul n'a compris que les héroïnes de notre poète étaient plus véritablement femmes que ces longues figures amaigries, blondes ou brunes, saules pleureurs ou colporteurs de vengeances mesquines que termine le lâche poignard ou l'infâme poison. Mais encore une fois, les marquis et les précieuses du temps savaient trop bien leur carte de tendre pour applaudir à ces grands sentimens. Le beau sujet, en effet, à mettre devant les yeux de prétendans à la vert-galanterie que Henri IV, en train de conquérir son royaume et jetant toutà-coup son épée de victorieux aux pieds du duc de Mayenne, à condition que celui-ci lui rendrait sa femme qu'il tient captive. Tel est pourtant à peu près le sujet de Pertharite. Corneille ne consultait

pas aveuglément le goût de son siècle, il voulait lui imposer ses productions; mais le public est un tyran capricieux qui veut être incessamment flatté par ses favoris, et nous avons vu que c'est là tout le secret de la Sophonisbe de Mairet, cette production que Voltaire a complaisamment critiquée et louée en mainte occasion outre mesure, pour dénigrer à son aise la production de Corneille, malgré la supériorité incontestable de celle-ci, au moins quant à l'ordonnance et aux caractères de la pièce, comme nous le verrons en son lieu.

Quant à cette assertion de Voltaire, que Racine aurait pris l'idée de son Andromaque dans Pertharite, le commentateur de Corneille, en voulant feindre l'impartialité et donner à Corneille la priorité d'idées, a fait cette fois à Racine une sorte d'affront gratuit. Racine, qui était certainement un esprit supérieur, et, pour me servir d'une expression du temps, un homme d'une vaste lecture, connaissait, à n'en pas douter, et avait lu avec plus d'attention que Voltaire les vers d'un homme qu'il admirait et dont il recommandait la lecture à son fils. Thémistocle pouvait se croire aussi vaillant et aussi grand que Miltiade, mais ses lauriers l'empêchaient de dormir. Mais de là jusqu'à supposer que Racine ait fait du grand Corneille ce que Virgile fit d'Ennius et Molière de Cyrano-Bergerac et de Scarron, il y a loin. Racine, épris de la littérature grecque, Racine, qui avait à Port-Royal traduit Théagène

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HISTOIRE DE P. CORNEILLE.

et Chariclée, prit Andromaque où il prit Iphigénie, dans Homère et dans les tragiques grecs; en un mot, il eut cette fois la prétention de surpasser Euripide, mais nullement celle de balancer Corneille.

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