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CHAPITRE XXII.

TRADUCTION DE L'IMITATION de Jésus-Christ,

Le peu d'accueil que le public, cet ingrat bourreau de tous ceux qui travaillent pour lui, fit à Pertharite, fut, selon les uns, l'unique cause qui détermina Pierre Corneille à quitter le théâtre et à traduire en vers l'admirable livre de l'Imitation de Jésus-Christ; les curieux ou plutôt cette classe d'hommes fureteurs de causes qui cherchent toujours aux événemens connus les occasions déterminantes les plus vulgaires et les plus petites, prétendent que Pierre Corneille, qui ne se cacha jamais, même quand il fit Clitandre, ayant composé une comédie intitulée L'occasion perdue

et retrouvée, plate rapsodie qu'il faut décidément laisser au sieur de Cantenac, en fut réprimandé par le chancelier Séguier, qui lui dit que cette pièce ayant porté scandale dans le public et lui donnant la réputation d'un homme débauché, il fallait détromper le peuple en allant publiquement à confesse avec lui. Un père Paulin, du tiersordre de Saint-François, aurait confessé le grand homme, et la pénitence aurait été de traduire vingt chapitres de l'Imitation. Charpentier avait imaginé cette fable, et comme les choses les plus absurdes trouvent facilement crédit, surtout si elles sont empreintes de calomnie, il ne manqua pas de gens qui doutèrent de la religion de Corneille, et peu s'en fallut même qu'ils ne le traitassent d'athée. Corneille ne répondit point à ces attaques, comme c'était son ordinaire en ces sortes d'occasions. Nous avons déjà eu occasion de remarquer, au chapitre de Rodogune, combien ce silence décidait peu en faveur de l'opinion de Voltaire. On a dit qu'il n'y avait pas de grand homme pour son valet-de-chambre. Aussi le public a-t-il voulu de tout temps se faire le valet-de-chambre des hommes marquans: partout on a donné aux effets les plus simples, les causes les plus absurdes, et les scènes d'intérieur les plus grotesques ont trouvé créance à proportion qu'elles étaient plus mensongères (1).

(1) « Dans le Bulletin de l'Europe, du 20 nivôse, » écrivait Lalande, on me reproche d'être athée, d'être aussi laid que Socrate,

S'il était besoin de prouver que l'influence de Séguier et d'un père de Nazareth ne furent point la cause forcée de la traduction de l'Imitation, et que Corneille était nourri dès son enfance des admirables préceptes que renferme ce livre, les preuves seraient nombreuses, soit qu'on les tirât du caractère de l'auteur, soit qu'on remontât aux autorités. Il en est une seule dont nous voulons nous occuper, plus frappante peut-être que toutes les autres qu'on lise attentivement les œuvres de Corneille, et il sera facile, dans ses tragédies, dans ses préceptes mis le plus souvent dans la bouche de païens, de rencontrer des réminiscences de cette admirable Imitation de Jésus-Christ. Pour n'en citer qu'un seul exemple, prenons la traduction du chapitre VIII du livre premier, qui recommande d'éviter la compagnie trop familière des femmes; comparons les préceptes traduits et le discours du vieil Horace sur le même sujet :

Non sis familiaris alicui mulieri, dit le texte latin. Le vieil Horace est païen, voici ce qu'il dit :

Perdez-vous encor le temps avec les femmes !

Prêts à verser du sang, regardez-vous des pleurs?
Fuyez et laissez-les déplorer leurs malheurs.

de manger des araignées, d'appeler la duchesse de Gotha mon intime amie, de dire que Newton savait passablement la géométrie, d'avoir prédit une comète qui n'est point arrivée, d'avoir fait ma cour au pape, d'avoir servi la messe d'un jésuite; tout cela ne vaut pas la peine d'y répondre, etc. »

Leurs plaintes ont pour vous trop d'art et de tendresse,
Elles vous feraient part enfin de leur faiblesse,

Et ce n'est qu'en fuyant qu'on pare de tels coups.

Écoutons maintenant le traducteur de l'Imitation:

Évite avec grand soin la pratique des femmes,
Ton ennemi par là peut savoir ton défaut.

Mais le texte latin ajoute: Sed in communi omnes bonas mulieres Deo commenda: le poète chrétien achève la pensée en l'embellissant:

:

Recommande en commun aux bontés du Très-Haut
Celles dont les vertus embellissent les âmes,

Et, sans en voir jamais qu'avec un prompt adieu,
Aime-les toutes, mais en Dieu.

A tout prendre, si le fait inventé par Charpentier pouvait être vrai, il ne prouverait qu'une chose c'est que le grand Corneille allait à confesse et s'acquittait fidèlement de ses pénitences ; et si nous devions la traduction de l'Imitation de Jésus-Christ à la réparation d'une faute, ce serait une faute bien heureuse que celle qui aurait occasionné un chef-d'œuvre.

Nous disons un chef-d'œuvre et nous ne craignons pas en cela de contredire la plupart des jugemens littéraires portés sur cet ouvrage par des gens qui ne l'ont probablement pas lu; car, bien qu'un auteur moderne (1) ait entrepris de venger

(1) M. Onésime Leroy. Corneille et Gerson dans l'Imitation de Jésus-Christ. Paris. 1842, chez Adrien Leclere,

le traducteur de l'Imitation, c'est un ouvrage à peu près entièrement ignoré. L'anathème porté par les ignorans et les curieux sur les premières et sur les dernières pièces de Corneille, a rejailli sur la traduction de l'Imitation, et peu de personnes en soupçonnent les beautés.

Que ce soit Gerson ou Gersen, ou même A-Kempis, qui semble n'avoir plus pour lui que la possession d'état, à qui l'on doive l'Imitation de Jésus-Christ, c'est une discussion dans laquelle nous ne voulons point entrer. Nous aimons à croire avec les yeux de la foi et l'orgueil national, que Jean Gerson en est l'auteur; mais aussi nous ne pouvons nous empécher de penser que cette question restera toujours irrésolue, celui-là ayant été exaucé qui disait à Dieu : Da mihi nesciri, et pour finir avec Corneille : Que ce soit Jean Gerson, que ce soit Thomas A-Kempis, ou quelque autre qu'on n'ait pas encore mis sur les rangs, tâchons de suivre ses instructions, puisqu'elles sont bonnes, sans examiner de quelle main elles viennent (1).

Corneille dédia sa traduction de l'Imitation au pape Alexandre VII, et cette dédicace est un chefd'œuvre de respect sans servilité et de dignité polie. Ceux qui, malgré la défense du P. Tournemine, prétendent encore que Corneille ne regardait qu'à l'argent dans ces sortes de choses, et qui

(1) Préface de la première édition.

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