" tiennent pour la dédicace à Montauron, n'ont qu'à la lire pour apprécier Corneille et ses préfaces. C'est ordinairement là, ainsi que dans ses examens de pièces, que l'on doit chercher la raison des choses et l'explication de sa conduite qu'il expose souvent avec la naïveté la plus noble. Aussi, si l'on veut savoir quel motif porta Corneille à traduire l'Imitation, indépendamment de toute recherche, de toute comparaison, nous le trouvons exposé avec simplicité; il parle au pape d'un recueil de poésies latines, ouvrage de Sa Sainteté, et le loue en tout point. « Mais,» ajoutet-il, << entre tant de choses excellentes, rien ne fit alors et ne fait encore tous les jours une si forte impression sur mon âme que ces rares pensées de la mort que vous y avez semées si abondamment. Elles me plongèrent dans une réflexion sérieuse qu'il fallait comparaître devant Dieu et lui rendre compte du talent dont il m'avait favorisé. Je considérai ensuite que ce n'était pas assez de l'avoir si heureusement réduit à purger notre théâtre des ordures que les premiers siècles y avaient comme incorporées, et des licences que les derniers y avaient souffertes; qu'il ne me devait pas suffire d'y avoir fait régner en leur place les vertus morales et politiques, et quelques unes même des chrétiennes; qu'il fallait porter ma reconnaissance plus loin et appliquer toute l'ardeur du génie à quelque nouvel essai de ses forces qui n'eût point d'autre but que le service de ce grand maître et l'utilité du prochain. C'est ce qui m'a fait choisir cette sainte morale qui, par la simplicité de son style, ferme la porte aux plus beaux ornemens de la poésie; et, bien loin d'augmenter ma réputation, semble sacrifier à la gloire du souverain auteur tout ce que j'en ai pu acquérir en ce genre d'écrire. "> Corneille avait tant de complaisance pour sa traduction, et il voulait la faire pour la gloire de Dieu avec tant de soin, qu'il mit trente ans à la revoir et à la corriger. Comment donc a-t-on pu confondre sa traduction avec les méchans vers de Desmarets et l'Imitation mise en cantiques de l'abbé Pellegrin? La traduction de Corneille est autant au-dessus des autres versions que son génie est au-dessus de celui de ses traducteurs rivaux. Les vers magnifiques et les strophes Malherbiennes y fourmillent, qu'on me pardonne d'en citer quelques passages. Et d'abord au chapitre premier cette antithèse superbe: Dieu ne s'abaisse point vers des âmes si hautes. Et ces deux vers que j'ai déjà cités ailleurs : Si tu veux vers le ciel marcher en sûreté, Si ces vers semblent empruntés à la paraphrase de Malherbe, le chapitre II semble un chapitre échappé aux sages quatrains de Pibrac; on y trouve ce quatrain : Un paysan stupide et sans expérience, Et ces deux vers, proverbes empreints de grâce et de simplicité: Quiconque en sait beaucoup, en ignore encor plus... Je citerai encore ces vers du chapitre XII : Si de tant d'embarras l'âme purifiée, Elle pourrait alors, comme libre des sens Mais ce qu'il faut remarquer et lire avec attention, c'est le chapitre XXIII, le chapitre affectionné de Corneille et le motif de sa traduction, s'il faut l'en croire, puisqu'il traite de la mort Il est longuement paraphrasé et écrit avec la conscience d'un vieillard quasi arrivé au terme de son voyage, et puis les vérités et les préceptes exprimés de cette manière n'ont-ils pas quelque chose de fier qui leur sied et leur va bien : Loin d'en troubler la fermeté, Et ces strophes, traduites fidèlement du latin, et dont les expressions sont prises dans l'Impurissima puritas de Pétrone, s'il faut en croire Desforges-Maillard : Combien de fois entends-tu dire: Cet autre dans les feux expire : Sous les débris d'un bâtiment, A fini ses jours et ses vices; Combien de fois entends-tu dire: Des mortels retranchant le nombre, Les odes si vantées de Jean-Baptiste Rousseau valent-elles mieux que cette simple, fière et quelquefois brutale traduction? Si l'on peut retrouver Jean-Baptiste Rousseau dans la traduction du chapitre XXIII, on ne s'at tendrait guèré à retrouver les traits d'une des peintures les plus complaisamment molles et satiriques de Despréaux dans le terrible chapitre XXIV, qui traite du jugement et des peines du péché. On croirait plutôt trouver un tableau empreint de la terrible couleur du Dante dans cette description des châtimens réservés aux sept péchés capitaux : Dans un profond sommeil la paresse enfoncée, L'ivrogne et le gourmand recevront leurs supplices L'amant des voluptés, dans le milieu d'un gouffre, Et l'orgueilleux enfin se verra confondu. (1) Corneille n'a point fait ici de l'horrible et du dégoûtant à plaisir le latin porte : Luxuriosi et voluptatum amatores ardenti pice et foetido sulfure perfundentur. (2) Encore un endroit où Corneille et Racine se sont rencontrés. On se rappelle ce vers d'Iphigénie et le verbe tant discuté du grammairien : Chatouillaient de mon cœur l'orgueilleuse faiblesse. |