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et pourtant dans ce coin du tableau de MichelAnge, traduit en vers magnifiques, ce premier

vers:

Dans un profond sommeil la paresse enfoncée,

et surtout les vers de la fin, dans lesquels Corneille dit que l'austérité l'emportera sans peine

Sur la douce mollesse où flotte vagabonde

Une âme qui s'endort dans les plaisirs du monde,

ne rappellent-ils pas ce tableau où Boileau nous montre la mollesse si profondément endormie sur de riches courtines, et le dernier vers cité n'est-il pas une onomatopée aussi langoureuse que l'adroit mélange de dactyles et de spondées:

Soupire, étend les bras, ferme l'œil et s'endort.

Je ne puis m'empêcher de citer dans le second livre le portrait du brouillon qui se trouve au chapitre troisième, et dont Corneille dit :

Il n'a point de repos et n'en laisse à personne,
Il ne sait ce qu'il veut, ni même ce qu'il est.
Il tait ce qu'il doit dire, il dit ce qu'il doit taire,
Il va quand il doit s'arrêter,

Et son esprit troublé quitte ce qu'il faut faire
Pour faire avec chaleur ce qu'il doit éviter.

S'il fallait citer tous les beaux vers et toutes les admirables pensées fidèlement traduites, on

en trouverait à tous les chapitres. Corneille, dans la traduction de l'Imitation, se rencontre avec tous les auteurs, et ce serait vraiment chose curieuse de le comparer avec eux: Malherbe, Boileau, Racine, Lafontaine, Brébeuf et même Molière, ce grand observateur des travers humains, à qui l'auteur de l'Imitation n'était certes point inconnu. Ces vers des chapitres VII et VIII ne rappellent-ils point la naïveté et la grâce du Fablier:

Ne mets point ton espoir sur un frêle roseau,

Qui penche au gré du vent, qui flotte au gré de l'eau,
Sur le monde en un mot, ni sur sa flatterie.

A la fin de la strophe, Corneille redevient Malherbien et il dit :

Sa gloire n'est qu'un songe, et ce qu'il en fait voir
Pour surprendre un moment de folle rêverie,

Comme la fleur de la prairie,

Tombera du matin au soir.

Mais il redevient Lafontaine dans ceux-ci :

Et songe qu'au printemps l'hiver sert de passage,
Qu'un profond calme suit l'orage,

Et que la nuit fait place au jour.

L'homme juste est si pénétré de cette vérité, qu'un pas de plus et nous avons cette déduction appliquée à la mort du juste:

C'est le soir d'un beau jour.

Il est impossible de rendre en plus beaux vers une noble pensée que l'a fait Corneille dans le chapitre IV du livre III; c'est Dieu qui parle :

D'autres parlent de moi si magnifiquement,
Avec tant de chaleur, avec tant d'ornement,
Qu'il semble qu'en effet mon service les touche ;
Mais souvent leur discours n'est qu'un discours moqueur;
Et s'ils ont mon nom à la bouche,

Ce n'est pas pour m'ouvrir les portes de leur cœur.

N'est-ce pas cette pensée que Fénelon exprime dans son premier Dialogue sur l'Eloquence, où il fait la critique de ces beaux prêcheurs antithétiques qui introduisaient avec finesse le trait et la pointe, qui savaient comment on met dans un sermon Artémise et David, la Bible et les Maximes de la Rochefoucault, et n'est-ce pas de ces gens qu'il faut dire avec lui: J'aimerais bien mieux un discours qui eût plus de corps et moins d'esprit, il ferait une forte impression: on retiendrait mieux les choses. Pourquoi parle-t-on, sinon pour persuader, pour instruire et pour faire en sorte que l'auditeur retienne? ›

Au chapitre X se trouve la fin de cette strophe sur la douceur de servir Dieu :

Ah! ces ravissemens sans bornes et sans exemple,
S'augmentent d'autant plus que plus on te contemple,
Nous n'avons rien en nous qui les puisse exprimer.
Le cœur les goûte bien, et l'âme les admire,
Tout l'homme les sent croître à force de t'aimer,
Mais la bouche ne les peut dire.

Brébeuf avait dit dans ses Entretiens solitaires, chapitre VII, livre III :

C'est un transport, Seigneur, bien solide et bien doux,
De vous aimer sans cesse et d'être aimé de vous;
Au prix de cette joie, au prix de ces délices,
Tous les autres plaisirs ne sont que des supplices,
Et qui d'un feu si pur a goûté les appas,
Ferme bientôt son âme à tous ceux d'ici-bas.
L'aise surabondant que cet amour fait naître,

Ne peut pas s'exprimer comme il peut se connaître.

Un auteur contemporain (1), à qui nous devons d'avoir tenté la résurrection de la traduction de l'Imitation de Jésus-Christ, s'est déjà plaint de l'oubli profond dans lequel est tombé Brébeuf, ce poète si remarquable, qui, malgré trente ans de fièvre et de souffrances, travailla de sa plume à traduire Lucain et à honorer Dieu, et, de son argent et de ses peines, à lui ramener des Huguenots. On veut bien croire, sur la foi de Boileau, que,

Malgré son fatras obscur

Souvent Brébeuf étincelle.

Mais on enveloppe le traducteur de la Pharsale dans le mépris que l'on fait du goût du grand Corneille, et toujours sur la foi du satirique on rejette un auteur

Qui jamais de Lucain n'a distingué Virgile.

(1) M. Onésime Leroy.

pourtant sa traduction de la Pharsale sembla si bonne à Corneille, que celui-ci interrompit le même travail commencé, et ses Entretiens solitaires sont presque d'un bout à l'autre un chef-d'œuvre. Si la traduction de l'Imitation est dédiée au Pape, les Entretiens solitaires sont dédiés au cardinal Mazarin si Corneille proteste dans sa préface avoir travaillé pour la plus grande gloire de Dieu et pour lui payer la dîme de son génie, Brébeuf entend soumettre son ouvrage et lui-même au jugement de l'Église. Au chapitre IV du livre second on trouve des strophes comme celles-ci sur les inquiétudes d'une mauvaise conscience :

:

L'homme qui hors de vous a cru trouver sa joie,
Qui de ses passions est devenu la proie,

Y trouve seulement sa honte et son ennui;
Des remords assassins, de noires épouvantes,
Des terreurs pénétrantes,
Qui vous vengent de lui.

Se voyant l'ennemi de son juge suprême,
L'esprit plein de son crime et se craignant soi-même,
A soi-même à toute heure il devient odieux,
Voyant souvent qu'en lui, tout contre lui s'irrite,
En tous lieux il s'évite,

Et se trouve en tous lieux.

Aussi les vicaires-généraux de l'archevêque de Rouen, en donnant l'approbation à cet ouvrage, joignirent à la formule ordinaire cette phrase louangeuse : Et si le mérite de l'auteur n'était connu par les excellens ouvrages qu'il a donnés au public, celui-ci mériterait un éloge particulier

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