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CHAPITRE XXIII,

CDIPE.

Cependant la solitude et l'inaction pesaient au grand Corneille : le succès de diverses pièces de théâtre l'électrisait, et si le Timocrate n'eût été de son frère bien-aimé, l'enthousiasme excité par cette pièce l'eût empêché de dormir. Six ans s'étaient écoulés depuis la chute de Pertharite, et cet échec était oublié; rajeunir sa vieille audace était le désir incessant de l'auteur du Cid, et il cherchait une occasion de rentrer dans la lice, malgré ses cinquante ans passés. D'un autre côté, la tentative n'était pas sans péril, et la crainte

d'une chute arrêtait encore le susceptible et malheureux auteur de Pertharite. Il allait donc quétant des approbations et des conseils, peut-être même des sujets, lorsque la tentation qu'il cherchait s'offrit à lui le plus séduisamment du monde. Le surintendant Fouquet était alors dans toute sa gloire, et, soit amour-propre, soit ignorance, soit véritable estime des gens de lettres, le financier aimait à faire le Mécène. On connaît son amitié pour La Fontaine et Pélisson, amitié qui coûta si cher à ce dernier. Pélisson était l'ami de Corneille, c'était une gloire assez belle et assez respectable pour provoquer les cajoleries du protecteur. Aussi Corneille et son frère furent-ils bientôt, comme La Fontaine, des fêtes de Vaux; et, comme c'est assez l'ordinaire des poètes en pareille circonstance, la reconnaissance ranima la muse du grand Corneille, et le surintendant fut célébré par lui. Dans une pièce de vers imprimée à la tête de l'OEdipe, voici comment le poète exprime sa reconnaissance et ce besoin de travailler pour le théâtre dont nous parlions tout-à-l'heure :

Oui, généreux appui de tout notre Parnasse,

Tu me rends ma vigueur lorsque tu me fais grâce,
Et je veux bien apprendre à tout notre avenir
Que tes regards bénins ont su me rajeunir.
Je m'élève sans crainte avec de si bons guides;
Depuis que je t'ai vu, je ne vois plus mes rides ;
Et plein d'une plus claire et noble vision,
Je prends mes cheveux gris pour une illusion.
Je sens le même feu, je sens la même audace,

Qui St plaindre le Cid, qui fit combattre Horace,
Et je me trouve encor la main qni crayonna

L'âme du grand Pompée et l'esprit de Cinna.
Choisis-moi seulement quelque nom dans l'histoire
Pour qui tu veuilles place au temple de la gloire,
Quelque nom favori qu'il te plaise arracher

A la nuit de la tombe, aux cendres du bûcher.

Ainsi interpellé directement, le surintendant ne put s'empêcher de trouver un sujet et de l'indiquer à Corneille. Soit que Fouquet ait effectivement, en interrogeant ses souvenirs classiques, déterré le grand sujet d'OEdipe et la tragédie de Sophocle, soit qu'il ait pris d'avance l'avis de quelques gens de lettres éclairés, comme le prouve le choix qu'il laissa entre OEdipe et Camma, femme forte qu'avait mise à la mode le Père le Moine, il envoya à Corneille trois sujets parmi lesquels il le pria d'en choisir un et de le traiter. OEdipe plut à Pierre Corneille, et il le prit. Pour ne point laisser perdre les conseils tombant d'une main aussi illustre et aussi bienfaisante que celle du surintendant, Thomas Corneille s'empressa de traiter Camma; on ignore quel était le troisième sujet.

Corneille, toujours juste, s'empressa de reconnaître à qui il devait l'idée d'OEdipe. ‹ Si le public,» dit-il, » dit-il, « a reçu quelque satisfaction de ce poème, et s'il en reçoit encore de ceux de cette nature et de ma façon qui pourront suivre, c'est à lui qu'il doit imputer le tout, puisque, sans ses commandemens, je n'aurais jamais fait l'OEdipe.›

On voit par ces paroles que l'OEdipe avait obtenu un plein succès, puisque Corneille parle déjà de ses pièces futures, Le théâtre français à la vérité ne pouvait souffrir les développemens de Sophocle, et l'on ne pouvait représenter OEdipe les yeux arrachés, se plaignant du destin et ensanglantant ses blessures; on ne pouvait même faire le récit de cette horrible barbarie. Corneille lui-même en convient, et malgré le développement qu'ont pris nos salles de spectacle, le soin des décorations et les ornemens que comportent ces sortes de choses, nous ne saurions être de l'avis de Voltaire, qui semble affirmer que ce serait un beau et touchant spectacle à donner que celui d'OEdipe aveuglé dans le fond du théâtre, le tout accompagné des cris de Jocaste et du trouble de tous les acteurs. Une telle chose ne pourrait d'ailleurs être représentée que sous le masque par le principal personnage, et notre théâtre ne comporte point cette manière d'être.

A quoi donc tint la réussite d'OEdipe et comment se fait-il que ce même public, si sévère envers Pertharite, ait applaudi avec chaleur à une œuvre sinon inférieure, du moins de mérite à peu près égal? Doit-on en savoir gré à la politesse du public, charmé de réengager dans la carrière un vieux triomphateur, ou doit-on dire qu'ayant perdu l'habitude du sublime depuis la retraite de Corneille, la pompe des vers, la noblesse des idées accoutumées de notre auteur le surprit et

l'enthousiasma? Nous croyons que le succès fut en partie dû à l'annonce qui en fut faite; annonce immédiatement suivie de la représentation. Deux mois après l'avis donné par Fouquet, on représentait OEdipe. La curiosité publique n'avait eu le temps de s'éveiller que convenablement; la renommée ne faisait que porter le bruit de l'événement lorsqu'il arriva. Le temps de la discussion et de la réflexion ne fut point donné aux amis des lettres, et nulle attente ne fut trompée.

D'ailleurs, en ce temps encore, une belle narration se déroulant convenablement en alexandrins taillés de toutes pièces, était de nature à faire impression sur le public lettré et à faire merveilleusement réussir une pièce. Qu'est-ce en effet que la mort de Pompée, sinon une suite de narrations, comme nous l'avons fait voir en son lieu? OEdipe en renferme de ce genre, et l'on n'écouta point, sans les admirer et les applaudir, ces beaux vers d'OEdipe racontant au premier acte l'histoire du Sphinx et de l'énigme :

Ce monstre à voix humaine, aigle, femme et lion,
Se campait fièrement sur le mont Cytheron,
D'où chaque jour ici devait fondre sa rage,
A moins qu'on n'éclairât un si sombre nuage.
Ne porter qu'un faux jour dans son obscurité,
C'était de ce prodige enfler la cruauté,

Et les membres épars des mauvais interprètes
Ne laissaient dans ces murs que des bouches muettes...

J'arrive, je l'apprends: j'y hasarde ma vie.
Au pied du roc affreux semé d'os blanchissans

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