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Je demande l'énigme et j'en cherche le sens;
Et ce qu'aucun mortel n'avait encor pu faire,
J'en dévoile l'image et perce le mystère, etc.

C'était l'époque des querelles sur le libre arbitre, et certes nul sujet au monde plus que le grand exemple de la fatalité antique ne prêtait à des déclamations philosophiques. Voltaire les eût désirées en cet endroit; aussi Corneille se garda-t-il bien de les y mettre. Corneille n'était point un philosophe, c'était un excellent chrétien, et d'ailleurs il venait de traduire l'Imitation de JésusChrist; aussi voici les vers qu'il met dans la bouche de Thésée, vers admirables, que l'on apprit alors par cœur, et que l'on employa souvent dans la discussion à la mode pour tout argument:

Quoi! la nécessité des vertus et des vices,
D'un astre impérieux doit suivre les caprices,
Et Delphes malgré nous conduit nos actions
Au plus bizarre effet de ses prédictions.
L'âme est donc tout esclave? Une loi souveraine
Vers le bien ou le mal incessamment l'entraîne,
Et nous ne recevons ni crainte ni désir

De cette liberté qui n'a rien à choisir.
Attachés sans relâche à cet ordre sublime,
Vertueux sans mérite et vicieux sans crime;
Qu'on massacre les rois, qu'on brise les autels,
C'est la faute des dieux et non pas des mortels.
De toute la vertu sur la terre épandue,

Tout le prix à ces dieux, toute la gloire est due.
Ils agissent en nous quand nous pouvons agir.
Alors qu'on délibère on ne fait qu'obéir;
Et notre volonté n'aime, haït, cherche, évite,
Que suivant que d'en haut leur bras la précipite.
D'un tel aveuglement daignez me dispenser.

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Le ciel juste à punir, juste à récompenser,
Pour rendre aux actions leur peine et leur salaire,
Doit nous offrir son aide et puis nous laisser faire.
N'enfonçons toutefois ni votre œil ni le mien
Dans ce profond abîme où nous ne voyons rien.

Mettez à la place de ce raisonnement sublime de creuses maximes sur la fatalité et des lieux communs bien platement variés, vous aurez fait une tirade selon le cœur de Voltaire, mais à coup sûr vous n'aurez point l'honneur d'être cité par les théologiens et les savans, à propos des questions les plus graves. Si, au lieu de la politique de Sertorius et de Cinna, de la passion du Cid et de la fougue du Menteur, nous ne trouvions dans Corneille que des idées rebattues et à peine rehaussées par des hémistiches d'une sonorité équivoque, le poète normand ne serait point le premier de nos tragiques, et sa place dans la postérité serait la même que celle qu'il occupait parmi les cinq auteurs, entre Bois-Robert et Colletet, lors des représentations du Palais-Cardinal.

Nous n'entrerons point plus avant dans les critiques de Voltaire. Cette fois, il était sur le même. terrain que son rival. Il avait aussi son OEdipe; aussi nous ne chercherons point à prouver l'utilité ou le ridicule d'une intrigue amoureuse dans le sujet d'OEdipe. Nous ne discuterons point la convenance, l'intérêt ou l'opportunité du sujet. Nous mentionnerons seulement le libelle de l'abbé d'Aubignac, qui commença dès lors à être le

plus chaud adversaire de Corneille. Nous le verrons au chapitre de Sertorius, et nous apprécierons son caractère et sa critique: qu'il nous suffise de dire que, critique sottisier et sans bon sens, d'Aubignac est plus loin de Scudéry que l'OEdipe ne l'est du Cid: aussi Corneille ne répondit-il point à ces attaques sans portée. Constatons encore que d'Aubignac trouvait le sujet froid et peu intéressant, et qu'il ne demandait à Corneille que la permission de faire quelques corrections pour rendre la pièce bonne; ce qui fait que dès lors il s'attira la haine de Voltaire, qui trouvait le sujet excellent et la pièce de Corneille détestable.

Nous voici arrivés à la seconde période de la vie du grand Corneille. Ses détracteurs, depuis Pertharite, ne lui pardonnent que quelques scènes de Sertorius et d'Othon. A peine s'ils connaissent une scène d'Attila et une tirade d'Agésilas. Nous avons déjà montré combien, dans ses premières comédies, Corneille est supérieur à l'idée que l'on s'en fait généralement; nous avons vu combien Théodose, Pertharite, OEdipe et la traduction de l'Imitation étaient des œuvres supérieures à la réputation qu'on leur a faites: il nous reste à montrer les dernières pièces de notre poète. Là, malgré des défauts évidens et des faiblesses de style, nous retrouvons toujours le grand Corneille, et nous disons avec Saint-Évremond Corneille, dans la chaleur de l'âge,

exprimait les mouvemens de la nature dans sa vieillesse, il en découvre les ressorts. Autrefois, il donnait tout au sentiment: il donne plus aujourd'hui à la connaissance; il ouvre le cœur avec tout son secret; il le produisait avec tout son trouble. »

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Déjà, dix ans auparavant, Pierre Corneille avait, comme nous l'avons vu, fait représenter Andromède, espèce d'opéra avec un prologue, des machines et des chants. En 1659, on avait représenté à Issy, chez le cardinal, une sorte de pastorale en musique. En ce temps-là, vivait un certain marquis de Sourdéac, propriétaire du château de Neubourg, en Normandie, et grand amateur du spectacle. Il résolut donc de monter à ses frais un théâtre dans son château et d'y faire jouer une pièce dont les machines seraient de sa composition. Mécanicien fort habile, rien

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