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tenir son ami Racine, dont la Thébaïde ne fut représentée que l'année suivante, la même année qu'Othon, en 1664. Il fit donc sa Sophonisbe, non point comme on l'a pensé généralement par un reste de jalousie contre Mairet; autrement, qui l'eût empêché de composer une Mariamne et un Scévole pour écraser tous ses rivaux? Sophonisbe est peut-être le sujet le plus traité au théâtre. Le Trissino traita ce sujet en Italie en 1514. Mellin de Saint-Gelais et Marmet transportèrent cette pièce en français, l'un en l'année 1560, l'autre en l'an 1583: Montchrétien fit aussi une Sophonisbe en 1596, et vingt-huit ans avant celle de Mairet, en 1601, Nicolas de Montreux avait traité le même sujet. Toutes ces pièces avaient bien réussi. La dernière même renferme de fort beaux vers, témoin ceux-ci que dit Scipion en apprenant la mort courageuse de Sophonisbe :

J'envie à la parjure Afrique

L'honneur d'avoir nourri cet esprit si hautain,
Qui méritait de naître et de mourir Romain.

Vint en 1629 la Sophonisbe de Mairet, et tout le monde sait quel merveilleux succès cette pièce obtint. De là, grande rumeur et grande inquiétude de la part des commentateurs. On se demanda d'où avait pu venir la vogue d'une pièce qui, à tout prendre, ne valait pas beaucoup mieux que plusieurs de ses contemporaines. Alors on se souvint que Desbarreaux, l'ami de Théophile Viaud,

attribuait la Sophonisbe à son ami Théophile: on se rappela le grand succès de Pyrame et Thisbé, et l'on admira le secret de Théophile pour capter la faveur du public. D'autres plus conséquens et plus logiques, sachant qu'une autre tradition attribuait à Chapelain l'honneur d'avoir inspiré la Sophonisbe et de l'avoir soumise à la règle des vingt-quatre heures, ont vu dans ce succès la preuve du goût classique et du bon sens inné dans l'esprit français.

Nous avons déjà donné notre avis sur ce succès, et nous pensons toujours que la seule et grande cause de la réussite de la Sophonisbe est cet adroit mélange de galanterie et d'héroïsme qui plaisaient tant à la ville et à la cour au temps de la représentation de la Sophonisbe de Mairet; on applaudissait avec frénésie des vers comme ceux-ci que dit Sophonisbe au premier acte:

O sagesse, à raison, adorables lumières,
Rendez à mon esprit vos clartés coutumières,
Et ne permettez pas que mon cœur endormi
Fasse des vœux secrets pour son propre ennemi,
Ni que mes passions aujourd'hui me réduisent
A vouloir le salut de ceux qui me détruisent.
Mais je réclame en vain cette faible raison,
Puisque c'est un secours qui n'est plus de saison,
Et qu'il faut obéir à ce Dieu qui m'ordonne

De suivre les conseils que sa fareur me donne, etc.

Si tous les vers de la Sophonisbe étaient aussi bien faits que ceux-ci, la cause du succès ne serait point douteuse et il serait bien légitime. Mais on

applaudissait encore aux réflexions de Sophonisbe, veuve par la main de Massinisse et vaincue par lui, dont toute la pensée est de savoir si elle sera assez belle ou assez bien coiffée pour séduire son vainqueur; écoutons-la plutôt parler au second

acte:

Corisbe, prenez garde à l'état où je suis,
Et par là comme moi voyez ce que je puis;
Quand hier j'aurais été la plus vive peinture
Des plus rares beautés qu'on voit dans la nature,

Le

moyen que mes yeux conservent aujourd'hui

Une extrême beauté sous un extrême ennui?

Il est vrai que Sophonisbe veut se tuer; mais Corisbe lui répond :

Au reste, la douleur ne vous a point éteint
Ni la clarté des yeux, ni la beauté du teint.
Vos pleurs vous ont lavée, et vous êtes de celles

Qu'un air triste et dolent rend encore plus belles, etc.

Sophonisbe entièrement persuadée s'écrie:

Voici, puissant amour, un sujet assez ample
Pour laisser de ta force un mémorable exemple;
Entreprends ce miracle, etc.

Et personne dans ce temps n'éleva la voix pour blâmer cette Sophonisbe qui entretient dans son cœur un amour adultérin, qui, à la mort de son époux, ne saurait verser même des larmes de convenance et ne désire rien tant que d'épouser le meurtrier de son mari, tandis que sept ans

après les Claveret et les Scudéry répétaient à qui mieux mieux que Chimène était une parricide et une impudique.

Lors donc que Corneille entreprit de donner une Sophonisbe au théâtre, il compta sur cet intérêt excité par l'amour de Massinisse, et sur cette opposition de la bravoure militaire et du servage amoureux; mais le grand Corneille s'était cette fois trompé sur le goût de son siècle, et pour la première fois qu'il faisait une concession au goût du vulgaire, le choix n'était pas heureux. La Sophonisbe excita beaucoup de bruit; on en parla de diverses manières : les uns dirent comme le P. Tournemine, que Corneille avait même ôté à Mairet le peu de gloire que lui avait valu sa pièce; d'autres soutenaient que telle qu'elle était, la tragédie de Mairet était infiniment supérieure à celle de Corneille. Le fait est que l'on joua encore la Sophonisbe de Mairet après celle de Corneille, et que Voltaire seul la discredita entièrement en voulant la rajeunir et la réparer. Ces sortes de replâtrages et de vandalismes littéraires n'ont jamais réussi. Quand le public est ignorant, il siffle ces sortes de choses; quand il est instruit, il crie au scandale et fait comme le jour où Baron voulut rajeunir le Nicomède de Corneille en changeant certaines expressions. Ce jour-là le parterre indigné soufflait tout haut au maladroit acteur le texte pur, et il n'osa plus désormais rien changer aux vers du grand homme.

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HISTOIRE De p. corneille.

Une des raisons qui empêchèrent la Sophonisbe de Corneille de faire oublier entièrement celle de Mairet, fut encore le bon sens du grand homme, qui ne pouvant se complaire à la description continuelle de cet amour ridicule, a introduit dans sa pièce un certain Lélius, satire continuelle de Massinisse, et qui dit certainement les plus heureux vers de la pièce, au grand scandale de Voltaire, qui tenait quand même pour l'œuvre de Mairet.

La discussion que cette pièce souleva tomba du reste bientôt, et la Sophonisbe est l'une des pièces les plus oubliées du grand Corneille. Boileau ne la releva point encore par une épigramme, et d'Aubignac n'était point assez estimé pour qu'on fit attention à lui. On ne s'en souvient pas à l'heure qu'il est plus que de la Sophonisbe de la Grange-Chancel, représentée en 1716, et que l'auteur ne fit jamais imprimer, quoiqu'elle renfermât, certes, les quatre plus beaux vers que fit jamais le satirique frondeur (1).

(1) Voici ces vers fort remarquables, où l'on fait abstraction de la morale dangereuse de l'idée :

Songez qu'il est des temps où tout est légitime,

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