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« de juger de l'Attila de Corneille par une épigramme assez fade du poète satirique, et par une note où le commentateur a prononcé que la décadence de l'esprit de Corneille se fait sentir dans cette pièce. Qu'on la lise, on y reconnaîtra l'auteur d'Héraclius et de Nicomède: on y reconnaîtra le féroce Attila, on y admirera cette force de poli❤ tique et de raisonnement qui distingue toujours Corneille. On y trouvera des caractères nouveaux, grands, soutenus : le déclin de l'empire romain, les commencemens de l'empire français, peints d'une grande manière et mis en contraste; une intrigue conduite avec art, des situations intéressantes, des vers aussi heureux et plus travaillés que dans les plus belles pièces de Corneille : on apprendra enfin à se défier de la critique de Boileau. »

• L'Agésilas, enveloppé dans la même épigramme, n'est pas comparable aux chefs-d'oeuvre de Corneille, ni même à son Attila; mais c'est se jouer du public que de traiter de pièce misérable une tragédie où, parmi des personnages d'un caractère singulier, Agésilas et Lysander paraissent tels que l'histoire nous les fait connaître : une pièce dont le dénoûment est un effort héroïque d'Agésilas, qui triomphe en même temps de l'amour et de la vengeance: une pièce où l'on retrouve le grand Corneille dans plus d'un endroit.»>

Plus tard, le P. Tournemine, qui fut de ceux qui élevèrent Voltaire, emporté par son zèle et

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son amour pour Corneille, faisait remarquer son élève un passage d'Agésilas qu'il préférait, disait-il, à toutes les pièces de Racine, ce que le philosophe ne lui pardonna jamais, non plus que d'être jésuite, qualité qui, selon lui, lui faisait nécessairement porter de faux jugemens sur le janséniste Racine.

Sans partager tout-à-fait l'enthousiasme du P. Tournemine, nous aimons à reconnaître avec lui de beaux passages dans l'Agésilas, et nous nous rangeons tout-à-fait à l'avis de ceux que combat Votaire et qui prétendaient, selon lui, que le non-succès d'Agésilas était dû à la coupe des vers. Une tragédie en vers mêlés est selon nous une faute de goût très grossière peut-être la routine y est-elle pour quelque chose. Mais la tragédie étant destinée à représenter les héros et lés actions héroïques, la solennité des alexandrins nous semble tout-à-fait aller à leur taille et à leur majesté. L'exemple des Grecs et des Latins ne nous semble d'aucun poids dans la matière qui nous occupe. Les vers mêlés sont de la prose ou à peu près, et l'on sait de quel succès furent suivis les essais impuissans de Puget de la Serre et de Lamotte.

Nous verrons au chapitre des poésies légères de Corneille, comment le grand homme, qui ne pouvait croire à l'épigramme, entendait le mot satirique de Despréaux, et la supériorité de l'Attila sur l'Agésilas, malgré l'injuste critique qui

les confondait dans le même mépris, semble justifier l'interprétation de Corneille.

L'Agésilas avait été représenté par les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, et la pièce était tombée; Corneille alla s'adresser à la troupe du Palais-Royal que quittait en ce moment le jeune Racine. Molière qui en était directeur et qui avait sans doute connu le grand Corneille chez le surintendant Fouquet, accepta la pièce du vieillard avec le plus grand empressement. Une espèce de petite ligue tacite se forma entre le créateur de la tragédie et l'auteur du Misanthrope; il accueillit Corneille exilé, et c'est ainsi qu'après l'Attila il représenta encore Tite et Bérénice. Nous verrons combien fut noble en cette occasion la conduite de Molière, et nous aurons à admirer cette amitié passagère qui finit par la collaboration de Psyché, et qui sans doute ne se fût jamais altérée, quand la mort vint frapper le détracteur des médecins au milieu du Malade imaginaire. Qu'il nous suffise de dire que c'était alors l'époque de la grande gloire de Molière. En 1666, époque de la représentation d'Agésilas, il avait fait représenter le Misanthrope et le Médecin malgré lui. Mélicerte et la Pastorale ne comptent pas. Peutêtre l'affluence tardive, mais certaine, qui se pressait au Palais-Royal avait-elle fait tort à la tragédie de l'hôtel de Bourgogne, et Molière en acceptant Corneille à son théâtre voulait-il en quelque sorte réparer le dommage involontaire

qu'il lui avait causé : en tout cas cette espèce de rivalité établie dans sa propre maison ne paralysa point son génie; car c'est depuis qu'il fit représenter Tartufe, Amphitryon, l'Avare, le Bourgeois Gentilhomme et les Femmes Savantes.

La pièce d'Attila fut montée chez Molière avec soin. Mauvais tragédien qu'il était et ayant enfin acquis la conscience de sa médiocrité tragique, il n'y prit point lui-même de rôle : mais La Thorillière, alors fort renommé dans les rôles de roi et de père, fut chargé du rôle d'Attila. Mademoiselle Molière, dans tout l'éclat de sa beauté, fut chargée de représenter Flavie. Nous ignorons si Baron avait un rôle dans la pièce. Nous ne le pensons pas. La maturité des héros de la pièce et la jeunesse de l'auteur ne peuvent guère le laisser supposer.

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Avec de tels auxiliaires et de si renommés interprètes, la pièce ne pouvait guère tomber. Aussi réussit-elle parfaitement : la pompe des vers, la majesté de l'action qui mettait en scène trois rois, le caractère d'Attila, prévenaient le public en faveur de l'ouvrage n'était-ce pas d'ailleurs un sujet national que cet Attila, qu'un mot de sainte Geneviève détourna de Paris, et qu'un excès tua, comme Alexandre au milieu de ses conquêtes dévastatrices. Othon était un cours d'histoire romaine. Attila peut passer pour un chapitre de l'invasion des Barbares. C'est une pièce sans monologue, comme Corneille les aimait et savait

les faire. Sans doute les récits sont un peu longs, mais toujours dignes et terribles; un exemple peut apprendre au lecteur ce que c'était qu'Attila, pièce entièrement ignorée aujourd'hui: voici le récit de la mort d'Attila; c'est Valamir qui parle :

Écoutez

Comme enfin l'ont puni ses propres cruautés,

Et comme heureusement le ciel vient de souscrire
A ce que nos malheurs vous ont fait lui prédire.
A peine sortions-nous, pleins de trouble et d'horreur,
Qu'Attila recommence à saigner de fureur,
Mais avec abondance, et le sang qui bouillonne,
Forme un si gros torrent que lui-même il s'étonne.
Tout surpris qu'il en est : s'il ne veut s'arrêter,
Dit-il, on me paîra ce qu'il va m'en coûter.
Il demeure à ces mots sans parole, sans force,
Tous ses sens d'avec lui font un soudain divorce;
Sa gorge enfle, et du sang, dont le cours s'épaissit,
Le passage se ferme ou du moins s'étrécit.

De ce sang renfermé la vapeur en furie
Semble avoir étouffé sa colère et sa vie.
Et déjà de son front la funeste pâleur
N'opposait à la mort qu'un reste de chaleur,
Lorsqu'unc illusion lui présente son frère,
Et lui rend tout d'un coup la vie et la colère;
Il croit le voir suivi des ombres de six rois,
Qu'il se fait immoler une seconde fois.
Mais ce retour si prompt de sa plus noire audace
N'est qu'un dernier effort de la nature lasse,
Qui, prête à succomber sous la mort qui l'atteint,
Jette un plus vif éclat et tout d'un coup s'éteint.
C'est en vain qu'il fulmine à cette affreuse vue,
Sa rage qui renaît en même temps le tue;
L'impétueuse ardeur de ces transports nouveaux,
A son sang prisonnier ouvre tous les canaux,
Son élancement perce ou rompt toutes les veines,

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