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Et ces canaux ouverts sont autant de fontaines
Par où l'âme et le sang se pressent de sortir
Pour terminer sa rage et nous en garantir.

Sa vie à longs ruisseaux se répand sur le sable (1),
Chaque instant l'affaiblit et chaque effort l'accable,
Chaque pas rend justice au sang qu'il a versé,
Et fait grâce à celui qu'il avait menacé.

Ce n'est plus qu'en sanglots qu'il dit ce qu'il croit dire,
Il frissonne, il chancelle, il trébuche, il expire,
Et sa fureur dernière épuisant tant d'horreurs,
Venge enfin l'univers de toutes ses fureurs.

Nous avons choisi ce morceau et nous l'avons donné tout entier parce qu'il nous semble résumer en lui la tragédie d'Attila: le faux brillant, les vers choquans, des longueurs s'y remarquent; mais de temps à autre des éclairs de génie. Le défaut de la pièce est celui de la mort de Pompée : la pompe exagérée des vers; son mérite, la noblesse et la force des sentimens poussés aussi à l'extrême. Aussi la pièce ne dut-elle point tomber; elle dut même faire une forte impression surtout sur le vulgaire, et Boileau portait encore un faux jugement quand il dit :

Un clerc, pour quinze sous, sans craindre le hola,
Peut aller au parterre attaquer Attila,

Et si le roi des Huns ne lui charme l'oreille,
Traiter de Visigoths tous les vers de Corneille.

(1) Ce beau vers ne rachète-t-il pas la faiblesse de ce qui précède et n'est-il pas une magnifique traduction du fameux hémistiche de Virgile:

Purpuream vomere animam.

Les clercs devaient fort applaudir La Thorillière et mademoiselle Molière. L'exagération d'un sentiment ne fait que le dévoiler au peuple.

CHAPITRE XXIX.

TITE ET BÉRÉNICE.

Un caprice de Henriette d'Angleterre, qui se souvenait de ses sentimens pour son beau-frère Louis XIV, fut, selon tous les auteurs, la cause de ce duel littéraire entre Racine et Corneille, entre le génie naissant et le génie à son couchant, entre Entelle et Darès, comme les nomme luiméme Voltaire dans sa préface de l'examen des deux pièces, Certes il fallait de l'adresse pour mener à bien ce caprice féminin; si l'un des deux rivaux eùt su à quel péril on l'exposait, le tout à la plus grande satisfaction des critiques et des neutralités hypocrites, le combat n'eût pas eu

lieu. Louis XIV eût pu sans doute ordonner, et l'on aurait obéi. Le vieux Corneille avait un trop grand respect pour celui dont il avait prédit la gloire dans le prologue de la Toison-d'Or, et Racine était trop bon courtisan pour qu'il en fût autrement. Mais alors, adieu la surprise, adieu les souvenirs intimes; plus de cette joie secrète de savoir qu'un événement est imminent, qu'on l'a prévu, qu'on l'a désiré, qu'on l'a occasionné, A ces causes, Henriette d'Angleterre ne crut pas devoir s'adresser à quelque courtisan moins habile, à quelque entremetteur moins cauteleux que le fameux marquis de Dangeau. Nul autre que lui ne pouvait en effet ménager si bien l'entreprise de cette affaire diplomatique que l'adroit Racine n'en sût rien.

Quant au vieux Corneille, simple comme il était et sans cesse prêt à fournir carrière, le nom seul de tragédie désirée par une haute et puissante princesse devait ranimer son courage attiédi. Dangeau qui, comme on le sait, gagnait si lestement la partie d'échecs la plus compliquée, tout en se tournant vers la muraille et en composant quelques centaines de vers, ajouta à ses préoccupations habituelles et au dépôt des secrets de cour dont il avait à faire un inventaire si long, le soin de cette affaire délicate, et il la mena à bien. Son ami Boileau même ne dut pas en être instruit, à moins que contrairement à l'opinion reçue, on ne suppose Racine instruit de la riva

lité. Il sentait assez la magie musicale de son style et la rare ingratitude du sujet, pour ne pas redouter d'entrer en lice avec le rude auteur d'Attila. Que s'agissait-il en effet d'exprimer en tragédie ? Uniquement cette phrase de Suétone: Titus reginam Berenicen, cui etiam nuptias pollicitus ferebatur statim ab urbe dimisit invitus invitam. Il s'agissait de farcir une action nulle, roulant uniquement sur une séparation sans grand intérêt, de vers faciles et musqués, arrangés et parés pour l'oreille d'une grande dame. Il fallait sauproudrer tout cela d'allusions fines et élégantes, ce nec plus ultrà de la joie des spectateurs, s'il faut en croire Voltaire. Racine était par la nature de son génie fort propre à tout cela. Il s'agissait d'orner avec complaisance et mignardise un hochet royal. La main féminine de Racine se tira à merveille de cette ciselure délicate. Au premier coup d'essai, le bijou se cassa sous le poignet athlétique et sous les rudes doigts de Corneille. Il se prit alors à le charger d'ornemens sans nombre et sans goût. Avec de tels élémens, la lutte n'était point possible, et pour rendre les armes égales, on avait mis le champ clos en un terrain qui donnait tout l'avantage d'un côté. Puisque les deux grands adversaires sont en présence, c'est ici, ce me semble, le lieu de dessiner leur position respective dans le grand siècle littéraire. Bien des parallèles ont été faits faits entre Corneille et Racine; les leçons de lit

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