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térature et les cours de thêmes ont eu à enregistrér bien des caractères et portraits de ces deux grands hommes, mais peut-être n'ont-ils jamais été mis à la place qui leur est due.

Nos vieux littérateurs, peu délicats sur les moyens d'échauffer leur verve poétique, avaient un lieu où leur poésie s'élaborait et se faisait voir en déshabillé. Si tous, comme l'abbé Régnier et Gérard de Saint-Amand, n'excitaient pas leur muse par une débauche de bas étage, tous du moins allaient au cabaret. Qui ne connaît la fameuse Pomme de Pin qu'ont célébrée trois générations, Rabelais, Mathurin Régnier et BoileauDespréaux? Un autre cabaret littéraire partage avec l'habitation décriée sous Crenet, le privilége d'avoir vu les gens de lettres s'assembler autour de ses tables et composer le verre en main. Sur la place du Cimetière Saint-Jean, à l'enseigne du Mouton, logeait un traiteur fameux chez qui se rendaient régulièrement tous les jours les beaux esprits de la ville et de la cour. Une salle leur était réservée et au beau milieu de la table était en permanence au pilori la Pucelle de Chapelain. A cette épigramme vivante, autant qu'à l'air dont il regardait le volume en entrant (1), on recon

(1)

Ne cherchez point comment s'appelle

L'écrivain peint dans ce tableau,

A l'air dont il regarde et montre la Pucelle,
Qui ne reconnaîtrait Boileau?

(Boileau, ép. XLIX, édit, de St. Marc.)

naissait que Boileau devait être de la bande joyeuse et cauponizante, comme eût parlé Rabelais. A côté du satirique venaient régulièrement s'asseoir La Fontaine, dont on se moquait tous les jours et qui ne s'en vengeait jamais; Furetière, cette terreur caustique de l'Académie; Chapelle, le grand ivrogne du Marais; Brilhac, conseiller au Parlement, principal collaborateur des Plaideurs; puis enfin l'élégant Racine, qui laissait là couler en paix les flots de sa bile et les traits de son esprit caustique, véritables emportepièces devant la malignité desquels Boileau luimême, le grand aristarque, baissait pavillon. On se préparait dans cette coterie à rendre œil pour œil, dent pour dent, satire pour satire, et cela était si avéré que le duc de Nevers et la voix publique ne manquèrent pas de mettre sur le compte de Boileau et de Racine le fameux sonnet si grossier et si virulent qui fut riposté rime pour rime à l'ineptie improvisée chez Mme Deshoulières, le soir de la première représentation de la Phèdre de Pradon.

En regard de cette boutique d'esprit, si nous examinons la vie du grand Corneille, rien de pareil; une solitude profonde, une pauvreté majestueuse, la compagnie d'un frère aimé, un ménage si uni qu'on ne sut jamais distinguer le tien et le mien, une force d'âme et de génie dont seul peut-être avec Corneille, Pierre du Ryer partage la gloire. Racine devait avoir ses heures d'inspi

ration et ses moments d'impuissance : Corneille travaillait toujours; il fallait à Racine les conseils et la poétique de Boileau : Corneille marchait, confiant dans sa force, et n'avait d'autre secret pour vaincre la rime que la demander à son frère par une cheminée souvent veuve de feu. Comme Michel-Ange, Corneille vivait seul; et quand Racine, vaincu par une piété sincère et des scrupules respectables, se retira du monde, la solitude lui pesa comme à toute âme faible et passionnée.

On ne raconte rien des amours de Corneille, si ce n'est qu'un jour voulant se marier, il s'adressa au cardinal pour vaincre la résistance du père de sa bien-aimée et que le mariage se fit. L'histoire a laissé un voile sur l'histoire de Mélite, et tout porte à croire que l'intrigue finit par une comédie. La preuve en est dans la tradition qui fait marier avantageusement la jeune personne qui donnelieu à la pièce et qui lui attribue le surnom de Mélite, appliqué glorieusement par ses compatriotes, cela sans diminution d'amour ou de respect de leur part.

Il en est autrement de l'intrigue de Racine avec la Champmêlé, témoin la croustilleuse épigramme de Boileau et ces mauvais vers qui furent faits à l'occasion de sa rupture avec Racine et de sa liaison avec le comte de Clermont-Tonnerre. Mélite et la Champmêlé ont été toutes deux les causes occasionnelles qui ont développé, l'une le

génie de Corneille, l'autre le génie de Racine, mais d'une façon différente. Qu'on n'objecte point que Mélite était honnéte fille et que Marie Desmarets était une comédienne : Corneille n'était point né pour marcher heureusement entre les fils d'une intrigue, et, pour caractériser d'un mot ma pensée, avec tout le respect que je dois aux exemples admirables de vertu et à la parfaite régularité de la vie privée de nos deux grands auteurs classiques, Corneille aurait pu être débauché, Racine libertin.

A force de goût, Racine a pu s'élever jusqu'au génie: à force de génie, Corneille a fait oublier qu'il n'eut quelquefois pas de goût. Corneille, architecte ou sculpteur, eut admirablement bâti une cathédrale ou taillé une montagne : Racine eût délicieusement vivifié le marbre d'une statue ou agencé merveilleusement les festons d'un bénitier. Les doigts de géant de Corneille eussent brisé le marbre et maladroitement saccadé les ornements; mais Racine eût gâté le mont Athos et plutôt fait un temple grec qu'une cathédrale.

Corneille et Racine étaient tous deux remplis de piété, et, comme presque tous les hommes marquans de leur époque, accomplissaient rigoureusement leurs devoirs religieux; mais ils n'avaient point puisé leurs principes aux mêmes sources et ils avaient été formés à une école différente. Corneille était élève des Jésuites et Racine sortait de Port-Royal. C'est peut-être là

l'unique cause de la partialité de Boileau. On sait la liaison de ce dernier avec les Arnauld et les Nicole. Un seul homme peut-être était dans PortRoyal que l'on pût opposer à Corneille, c'était Pascal. Boileau lui opposa Racine, qui n'avait point encore fait Athalie. Toute la vie de Despréaux est là ses querelles avec les loyolistes, comme il appelait les Jésuites, ses épigrammes sur les journalistes de Trévoux, ses défenses du livre des Flagellans, son épitaphe d'Arnauld, l'ont fait connaître à la postérité comme un des plus fougueux adversaires de l'ordre de saint Ignace qui aient jamais écrit. D'un autre côté, Corneille et son frère élevés chez les Jésuites, la traduction de l'Imitation de Jésus-Christ, les vers latins du P. de La Rue, les paroles mêmes de Corneille, attestent sa profonde vénération pour ses maîtres et sa noble partialité pour le camp dans lequel il avait été élevé. Peut-être est-ce aussi là le secret de la haine de Voltaire.

Partagé entre deux écrivains également pieux et pleins de respect pour une religion qu'il voulait écraser et qu'il affectait de mépriser, il préféra le traducteur de Théagène et Chariclée à l'auteur de la traduction de l'Imitation de Jésus-Christ, et Port-Royal aux Jésuites.

Au milieu de ce temps de divisions littéraires, un homme existait qui garda une admirable contenance, c'était Molière. Admis à la Société du Cimetière Saint-Jean, qu'il transportait souvent

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