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Fier de mes cheveux blancs et fort de ma faiblesse;
Et quand je ne pensais qu'à remplir mon devoir,
Je devenais amant sans m'en apercevoir.
Mon âme de ce feu nonchalamment saisie,
Ne l'a point reconnu que par ma jalousie.
Tout ce qui l'approchait voulait me l'enlever,
Tout ce qui lui parlait cherchait à m'en priver;
Je tremblais qu'à leurs yeux elle ne fût trop belle;
Je les haïssais tous comme plus dignes d'elle,
Et ne pouvais souffrir qu'on s'enrichît d'un bien
Que j'enviais à tous sans y prétendre rien.

Il nous semble impossible de mieux dépeindre la jalousie d'un vieillard que Corneille ne l'a fait dans ces vers. Au troisième acte, nous trouvons encore une réponse qui nous rappelle tout-à-fait le bon temps du grand Corneille.

Martian dit:

Mais vous avez promis, et la foi qui nous lie...

Pulchérie répond:

Je suis impératrice, et j'étais Pulcherie.

Si nous voulions citer tous les beaux vers de cette pièce nous n'en finirions pas; car, à notre sens, Pulchérie est une œuvre infiniment supérieure à l'Agésilas, et le style même est ici plus fort que dans Attila; mais, parmi d'autres beautés, celleci nous a semblé du premier ordre; c'est une réponse de Pulchérie au cinquième acte. Pulchérie exige de Léon le sacrifice de son amour, et lui donne Justine en mariage.

LÉON.

Ce n'est donc pas assez de vous avoir perdue,
De voir en d'autres mains la main qui m'était due,
Il faut aimer ailleurs?

PULCHERIE.

Il faut être empereur,

Et le sceptre à la main justifier mon cœur,
Montrer à l'univers dans le héros que j'aime,
Tout ce qui rend un front digne du diadême ;
Vous mettre à mon exemple au-dessus de l'amour,
Et par mon ordre enfin régner à votre tour.

Le principal défaut de la pièce, c'est d'être dans le genre de Nicomède le développement des caractères en fait le seul fond; point d'action, point de cet échafaudage moderne que l'on appelle intrigue, et pas même ce qui plaît aux amateurs de spectacles, depuis que l'Anglomanie a tout empoisonné, quelques bonnes couples d'assassinats ou d'empoisonnemens pour ravigoter la

fin.

Revenons maintenant à l'opinion avancée par Fontenelle, et dont nous avons parlé au commencement du chapitre, à savoir que Corneille se serait dépeint lui-même dans Martian. Malgré tout le respect dû aux opinions de Fontenelle, qui, comme neveu du grand homme, devait être à la source des traditions de famille, nous ne pouvons croire que le vieux Corneille sentit dans son âme ces tourmens amoureux qu'il exprime si bien. Corneille, à soixante-six ans, était toujours ce même homme qui avait écrit à Pélisson :

En matière d'amour je suis fort inégal;

J'en écris assez bien, et le fais assez mal.

Et il a fait le caractère de Martian comme il avait fait ceux du Cid, de Cinna, du Menteur. Corneille n'a point puisé les caractères dans les orages de son cœur, il les a vus avec son génie.

Le Bajazet de Racine est contemporain de la Pulchérie de Corneille. Comme, malgré les beautés de cette dernière pièce, il n'y a aucune comparaison à faire entre les deux rivaux, ce fut Thomas Corneille qui, en bon frère, se chargea de défendre l'honneur de la famille; il composa en quarante jours, à la campagne, son Ariane, qui rappela le succès de Timocrate. On commença à reprendre le chemin du Marais, et l'hôtel de Bourgogne ne jouit plus exclusivement de la vogue. Ariane est la seule tragédie de Thomas Corneille qui soit restée au répertoire.

La curiosité publique devait pourtant être encore excitée en ce temps-là d'une autre manière, et bien des gens abandonnaient Ariane et Bajazet pour courir à l'Opéra, dont l'abbé Perrin avait le privilége depuis plusieurs années. Un an avant Pulchérie, Ariane et Bajazet, il avait fait représenter l'opéra de Pomone. Les représentations de cet opéra duraient encore, puisque, ayant commencé au mois de mai 1671, elles durèrent treize mois consécutifs. La salle de l'Opéra avait été construite dans un jeu de paume de la rue Mazarine, vis-à-vis la rue Guénégaud, et l'abbé Perrin

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HISTOIRE DE P. CORNEILLE.

avait pour machiniste en chef ce même marquis de Sourdéac, que nous avons vu faire représenter dans son château de Neubourg la Toison-d'Or de Pierre Corneille, et pour musicien Cambert, avec lequel il avait déjà fait représenter une pastorale à Issy. On sait comment Voltaire raconte la fin malheureuse de cette association; comment le pauvre marquis de Soudéac fut ruiné; comment Cambert décampa en Angleterre, où il fut trouvé admirable, et comment l'abbé Perrin, dont l'indigence défiait les revers de la fortune, resta à Paris à faire des élégies. Voltaire, comme d'habitude, se moque impitoyablement de ce pauvre abbé Perrin et le traite d'homme qui croyait faire des vers. Si l'abbé Perrin n'avait composé que ses élégies et l'opéra de Pomone, long panégyrique des pommes et des artichauts, la satire de Voltaire eût été juste en tout point, et l'abbé Perrin serait éminemment digne de l'oubli profond dans lequel il est tombé: ce serait encore une victime de Boileau, dont il ne faudrait point réhabiliter la mémoire. Mais l'abbé Perrin est auteur d'une traduction de l'Énéide, traduction méprisée et ignorée, et qui, à notre sens, est de beaucoup la meilleure traduction de l'Énéide en vers qui ait été faite.

CHAPITRE XXXII.

SURÉNA.

Voici la dernière pièce du grand Corneille. On prétend généralement que, se voyant tous les jours vaincu par Racine, le vieillard ne voulait point quitter le théâtre, et que mourir sur la brèche était un de ses désirs de vieux triomphateur. Les commentateurs répètent à l'envi que le vieux soldat ne s'apercevait pas de la diminution progressive de ses forces, et ils déplorent en chœur son aveuglement.

Rien de tout cela n'est, selon nous, une appréciation véritable des choses. Pierre Corneille se voyait bien vieillir; il savait bien ses dernières

que

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