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productions ne plaisaient point à l'égal des premières, mais le génie qui le poussait et le besoin de travail le faisaient encore produire. Il ne s'arrêta qu'à la fin de sa course, quand, chargé de lauriers et d'années, il ne put plus que se reposer dans sa gloire et vivre de la contemplation de ses glorieux souvenirs.

La conception de Suréna est étrange: Corneille la tira de Plutarque dans son histoire de Crassus. Tel qu'il est, ce caractère se développe comme tous les caractères que Corneille met sur la scène, et tout le monde connaît le magnifique vers de la fin.

Non, je ne pleure point, madame, mais je meurs.

Une chose assez remarquable, c'est qu'au milieu d'une époque où l'échafaud entrait dans les probabilités quotidiennes, à cette époque où chacun regardait si bien sa vie comme un drame dont il prévoyait le dénouement, que plusieurs forgeaient à loisir ce mot final, ce vers de Corneille fut copié ou à peu de chose près : nous en empruntons le récit à un auteur contemporain (1): Dufriche-Valazé tombe défaillant.-As-tu done peur? lui dit un des condamnés. Moi! je meurs!... Il s'était enfoncé un stylet dans le cœur. On conserva son cadavre pour la guillo tine.

(1) M. Delandine de Saint-Esprit, Histoire de la Terreur.

Suréna, tel qu'il est, moins fort de versification qu'Attila et Pulchérie, fut encore assez bien accueilli des bons esprits du temps, et Gaillard, que nous avons déjà cité, s'exprime ainsi dans son éloge de Corneille : Disons que Suréna est un caractère plein de noblesse, que celui d'Eurydice est grand jusqu'au sublime, qu'une très belle scène entre Pacorus et Eurydice paraft avoir été le modèle d'une scène semblable entre Mithridate et Monime; que l'art du raisonnement est poussé si loin entre Pacorus et Suréna, que le lecteur, qui sait pourtant que Suréna ne peut avoir tort, serait fort embarrassé de répondre à sa place, et voit avec étonnement que Suréna trouve à répondre; remarquons enfin que la pièce finit par un mot plus que sublime d'Eurydice, et que ce mot fut le dernier de Corneille : c'est ainsi que le grand homme termina une carrière de soixante ans de travaux. ›

En ce temps-là, Racine faisait représenter son Iphigénie. La Champmêlé, si l'on en croit les vers de Boileau, faisait couler force larmes aux spectateurs dans le rôle de la fille d'Agamemnon. Racine, en ce temps-là, n'était encore qu'un jeune homme avec tous les défauts et toutes les passions de la jeunesse, Dix ans plus tard, Racine remplaçait Corneille à la direction de l'Académie, et répondant à Thomas Corneille, il disait :

« En quel état se trouvait la scène française lorsque Corneille commença à travailler! Quel

désordre! quelle irrégularité! Nul goût, nulle connaissance des véritables beautés du théâtre ; les acteurs aussi ignorans que les spectateurs; la plupart des sujets extravagans et dénués de vraisemblance. Point de mœurs, point de caractère; la diction encore plus vicieuse que l'action, et dont les pointes et de misérables jeux de mots faisaient le principal ornement; en un mot, toutes les règles de l'art, celles même de l'honnêté et de la bienséance partout violées.

« Dans cette enfance, ou, pour mieux dire, dans ce chaos du poème dramatique parmi nous, Corneille, après avoir quelque temps cherché le bon chemin, et lutté, si j'ose ainsi dire, contre le mauvais goût de son siècle, enfin, inspiré d'un génie extraordinaire et aidé de la lecture des anciens, fit voir sur la scène la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornemens dont notre langue est capable, accorda heureusement la vraisemblance et le merveilleux, et laissa bien loin derrière lui tout ce qu'il avait de rivaux, dont la plupart désespérèrent de l'atteindre. Alors, n'osant plus entreprendre de lui disputer le prix, ils se bornèrent à combattre la voix publique déclarée pour lui et essayèrent en vain par leurs discours et par leurs frivoles critiques de rabaisser un mérite qu'ils ne pouvaient égaler.

« La scène retentit encore des acclamations qu'excitèrent à leur naissance le Cid, Horace,

Cinna, Pompée, tous ces chefs-d'œuvre représentés depuis sur tant de théâtres, traduits en tant de langues, et qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. A dire le vrai, où trouvera-t-on un poète qui eût possédé à la fois tant de grands talens, tant d'excellentes parties, l'art, la force, le jugement, l'esprit? Quelle noblesse! quelle économie dans les sujets! quelle véhémence dans les passions! quelle gravité dans les sentimens! quelle dignité et en même temps quelle prodigieuse variété dans les caractères! Combien de rois, de princes, de héros de toute nation nous a-t-il représentés toujours tels qu'ils doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant les uns aux autres! Parmi tout cela, une magnificence d'expressions proportionnée aux maîtres du monde qu'il fait souvent parler, capable néanmoins de s'abaisser quand il veut, et de descendre jusqu'aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable. Enfin, ce qui lui est surtout particulier, c'est une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève et qui rend jusqu'à ses défauts, si on peut lui en reprocher quelques uns, plus estimables que les vertus des autres. Personnage véritablement né pour la gloire de son pays, comparable, je ne dis pas à tout ce que l'ancienne Rome a eu d'excellens tragiques, puisqu'elle confesse elle-même qu'en ce genre elle n'a pas été

fort heureuse, mais aux Eschyle, aux Sophocle, aux Euripide dont la fameuse Athènes ne s'honore pas moins que des Thémistocle, des Périclès, des Alcibiade, qui vivaient en même temps qu'eux.

« Que l'ignorance rabaisse tant qu'elle voudra l'éloquence et la poésie, et traite les habiles écrivains de gens inutiles dans les États, nous ne craindrons point de dire, à l'avantage des lettres, que du moment que des esprits sublimes passent de bien loin les bornes communes, se distinguent, s'immortalisent par des chefs-d'oeuvre, quelque inégalité que durant leur vie la fortune mette entre eux et les plus grands héros, après leur mort cette différence cesse. La postérité, qui se plaît, qui s'instruit dans les ouvrages qu'ils lui ont laissés, ne fait point de difficulté de les égaler à tout ce qu'il y a de plus considérable parmi les hommes, et fait marcher de pair l'excellent poète et le grand capitaine. Le siècle qui se glorifie aujourd'hui d'avoir produit Auguste, ne se glorifie guère moins d'avoir produit Horace et Virgile. Ainsi, lorsque dans les âges suivans on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l'admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n'en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles. La France se souviendra avec plaisir que, sous le

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