Le poème traduit est assez long, les idées et les figures n'ont pas une suite et une liaison bien intimes; mais de temps à autre on y remarque des strophes empreintes d'une véritable poésie. On pourra juger de l'original et de la traduction par quelques exemples. Comme dans toutes les hymnes, le commencement est un salut; puis s'adressant à la vierge Marie, saint Bonaventure dit : Matrem natum, patrem nata Stella solem genuisti Increatum res creata Per te nobis, Mater Christi Toutes ces antithèses ne semblent-elles pas la source où Coffin et Santeuil ont puisé leurs plus belles hymnes parisiennes ? Qu'on se rappelle le stupete gentes de ce dernier, et que l'on compare. Voici la version de Corneille : Prodige qui renverse et confond la nature! Et toujours vierge et mère, un accord éternel, Plus loin on lit cette strophe pleine de fraî cheur : Rosa decens, rosa munda, Rosa recens sine spinâ, Rosa florens et fecunda Rosa, gratiâ divinâ, Non est nec erit secunda Tibi, rei medicina Nostris cœptis obsecunda. Rose sans flétrissuré et sans aucune épine, Rose enfin toute belle et tout-à-fait divine, Versa tous ses trésors sur ta fécondité, N'a fait et ne fera jamais rien de semblable. Et seconde l'effort de nos meilleurs desseins. Ces strophes et leur traduction sont sans doute fort belles mais en voici une dont la traduction sent surtout son Corneille : : Arbor et lignum vitale Lignum ità commodale. Durant les premiers jours qu'admirait la nature, Remplit tout l'univers de sainte volupté, Et s'offre chaque jour pour nourriture aux âmes; Ces citations suffiront pour donner une idée du poème et de la traduction; seulement, à partir de la dix-septième strophe, saint Bonaventure compare la Vierge à un arc, et à cet arc qu'il fait rayonner dans les nues il donne trois couleurs: le bleu, type de la virginité; le rouge, figure de la charité, et le blanc, symbole de la pureté. Certes, saint Bonaventure et Corneille, qui le traduisait, ne se doutaient guères que ces trois couleurs devaient un jour rayonner sur le drapeau de la déesse de la Raison. Parmi les psaumes qu'a traduits Pierre Corneille, s'en trouvent deux dont Malherbe a également fait la paraphrase. Ce sont les psaumes 8 et 128. Corneille, dans sa traduction, est toujours ce même homme qui, comme il le dit lui-même, sent le besoin d'un guide dans les affaires de dévotion: sa traduction est vraiment remarquable comme exactitude. Malherbe, au contraire, se prélasse avec ampleur dans les idées du Psalmiste. Il garde pour la fin de ses strophes les vers et les pensées à effet. Quant aux vers, ils sont également beaux de part et d'autre. Le Psalmiste dit : Domine Deus noster, quàm admirabile est nomen tuum in universå terrâ. Traduction de Corneille : Dieu, notre souverain, tout-puissant et tout bon, Que la gloire de ton saint nom Est rendue admirable aux deux bouts de la terre! Traduction de Malherbe : O sagesse éternelle, à qui cet univers Que ta magnificence étonne tout le monde, Le Psalmiste avait dit dans le second verset: Quàm elevata est magnificentia tua, super cœlos. Sixième verset: Minuisti eum paulo minùs ab angelis, gloriâ et honore coronasti eum et contituisti eum super opera manuum tuarum. Traduction de Corneille : Un peu moindre que l'ange, il t'a plu le former, De gloire et de grandeur tu combles sa naissance, Et ce qu'il te plut d'animer, Fut aussitôt par toi soumis à sa puissance. Traduction de Malherbe : Il n'est faiblesse égale à nos infirmités ; Nos plus sages discours ne sont que vanités; Nous te sommes si chers, qu'entre tes créatures, Si l'ange a le premier, l'homme a le second lieu. Dans le psaume 128, nous avons les mêmes remarques à faire. Cette liberté que s'arrogeait Malherbe de paraphraser et d'arranger le texte à sa façon lui a fait faire une des plus belles strophes qui soient au monde et lui a fait tourner la difficulté de rendre une expression magnifique sans la vaincre. Voici le verset troisième du psaume : Suprà dorsum meum fabricaverunt peccatores: prolongaverunt iniquitatem meam. Malherbe a dit simplement : ... Et le coutre aiguisé s'imprime sur la terre N'espérait imprimer ses outrages sur moi. Corneille traduit : Les méchans ont forgé sur nos dos plus de crimes, Si j'en crois la traduction vulgaire, ceci est un contre-sens: mais j'aime mieux le contre-sens de Corneille que le sens vulgaire. Le Psalmiste dit plus loin aux versets sixième et septième : Fiant sicut fenum tectorum, quod priusquàm evellatur, exaruit. |