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question que nous avons vue souvent dans le cours de notre histoire et dont nous nous réservions de parler plus au long en ce moment.

Quelques-uns ont dit que le grand Corneille méprisait la passion de l'amour et qu'il ne s'en servait point dans ses ouvrages; que si, quelquefois, cette passion était en jeu, elle n'arrivait là que pour constater un sacrifice à la mode du temps et aux exigences des spectateurs, habitués à une intrigue amoureuse.

D'autres, parmi lesquels Voltaire, se sont au contraire attachés à prouver que Corneille voulait à toute force introduire l'amour dans toutes ses pièces, qu'il fût ou non intempestif. Ne raconte-t-il pas, à propos de son OEdipe, cette anecdote ridicule : il serait allé présenter sa pièce aux comédiens; on aurait lu la pièce, et la première remarque qu'on aurait faite, aurait été celle-ci d'une actrice en renom: « C'est moi qui joue l'amoureuse dans l'OEdipe de Corneille; si l'on ne me donne un rôle, la pièce ne sera pas jouée. Là-dessus, grande récrimination de Voltaire, grands éclats de rire aux dépens du grand Corneille, qui, à tout prendre, n'est pas la cause de l'ineptie de l'une de ses interprètes long-temps après sa mort.

Toute cette discussion serait tombée ou plutót n'aurait jamais eu lieu si l'on eût plus étudié Corneille, et si on eût eu soin de recueillir son avis et les explications qu'il donne expressément en

plusieurs endroits. J'ouvre le premier discours du poème dramatique et j'y lis : « Lorsqu'on met sur la scène une simple intrigue d'amour entre des rois et qu'ils ne courent aucun péril ni de leur vie ni de leur État, je ne crois pas que, bien que les personnes soient illustres, l'action le soit assez pour s'élever jusqu'à la tragédie. Sa dignité demande quelque grand intérêt d'État, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition ou la vengeance des malheurs plus grands que la perte d'une maîtresse. Il est à propos d'y mêler l'amour, parce qu'il a toujours beaucoup d'agrément et ne peut servir de fondement à ces intérêts et à ces autres passions dont je parle, mais il faut qu'il se contente du second rang dans le poème et leur laisser le premier.

Cette maxime semblera nouvelle d'abord : elle est toutefois de la pratique des anciens, chez qui nous ne voyons aucune tragédie où il n'y ait qu'un intérêt d'amour à démêler : au contraire, ils l'en bannissaient souvent; et ceux qui voudront considérer les miennes reconnaîtront qu'à leur exemple je ne lui ai jamais laissé prendre le pas devant, et que dans le Cid méme qui est, sans contredit, la pièce la plus remplie d'amour que j'aie faite, le devoir de la naissance et le soin de l'honneur l'emportent sur toutes les tendresses qu'il inspire aux amans que j'y fais parler.

Je lis ailleurs à la fin d'une lettre que Corneille écrit à Saint-Evremond pour le remercier des louanges qu'il lui avait données dans une dissertation sur l'Alexandre de Racine.

Que vous flattez agréablement mon sentiment quand vous confirmez ce que j'ai avancé touchant la part que l'amour doit avoir dans les belles tragédies et la fidélité avec laquelle nous devons conserver à ces vieux illustres ces caractères de leur temps, de leur nation et de leur humeur ! J'ai cru jusqu'ici que l'amour était une passion trop chargée de faiblesses pour être la dominante dans une pièce héroïque; j'aime qu'elle y serve d'ornement et non pas de corps, et que les grandes âmes ne la laissent agir qu'autant qu'elle est compatible avec de plus nobles impressions. Nos doucereux et nos enjoués sont de contraire avis; mais vous vous déclarez du mien. N'est-ce pas assez pour vous en être redevable au dernier point? etc. ›

Que peuvent signifier les discussions devant de pareilles explications, et comment ignorer après ces lignes l'avis de Corneille sur l'emploi de l'amour ?

Nous disions, à propos de la Sophonisbe de Mairet et de celle de Corneille, que celui-ci avait eu le bon sens et en même temps la maladresse, si l'on considère purement et simplement le succès, de ne point faire cette reine ce que l'avait faite Mairet, de ne point, en un mot, mettre ici

l'amour au-dessus des convenances, au-dessus de la mort d'un époux, au-dessus de la patrie, audessus même du courage et de l'héroïsme. Nous voyons par cette même lettre de Pierre Corneille à Saint-Evremond, que nous venons de citer, que celui-ci avait loué la Sophonisbe de Corneille de ce dont on la blâmait généralement. Voici le passage de la dissertation de Saint-Evremond qui dénote dans l'Epicurien plus de savoir et de bon sens qu'on ne semblerait en attendre de lui.

De là vient qu'on nous reproche justement de ne savoir estimer les choses que par le rapport qu'elles ont avec nous: dont Corneille a fait une injuste et fâcheuse expérience dans sa Sophonisbe, Mairet, qui avait dépeint la sienne infidèle au vieux Syphax et amoureuse du jeune et victorieux Massinisse, plut quasi généralement à tout le monde, pour avoir rencontré le goût des dames et le vrai esprit des gens de la cour. Mais Corneille, qui fait mieux parler les Grecs que les Grecs, les Romains que les Romains, les Carthaginois que les citoyens de Carthage parlaient eux-mêmes; Corneille qui, presque seul, a le bon goût de l'antiquité, a eu le malheur de ne plaire pas à notre siècle pour être entré dans le génie de ces nations, et avoir conservé à la fille d'Asdrubal son véritable caractère. Ainsi, à la honte de nos jugemens, celui qui a surpassé tous nos auteurs, et qui s'est peut-être ici surpassé lui

même à rendre à ces grands noms tout ce qui leur était dû, n'a pu nous obliger à lui rendre tout ce que nous lui devions, asservis par la coutume aux choses que nous voyons nous voyons en usage et peu disposés par la raison à estimer des qualités et des sentimens qui ne s'accommodent pas aux nôtres.

On ne pourra nier que l'avis de Corneille ne soit maintenant assez explicite, et nous n'aurons pas besoin de plus amples renseignemens pour prouver que non seulement Corneille ne sacrifiait point à l'amour, comme on a bien voulu le dire, mais qu'au contraire cette passion est sacrifiée chez lui aux autres, ce qui fit que le mauvais goût de ses contemporains eut parfois de la peine à l'applaudir.

Nous avons cité tout à l'heure un passage de l'un des discours sur le poème dramatique. Les trois discours de Corneille sont trois chefsd'œuvre de modération, de raison et de goût. Nous venons déjà d'y trouver son opinion sur l'amour, employé comme moyen dramatique. On peut y trouver des enseignemens sur plusieurs autres points de discussion dramatique.

Veut-on savoir entre autres ce que pensait Pierre Corneille de cette nécessité d'une récompense finale de la vertu et d'une punition du vice, nécessité qu'ont reconnue beaucoup de moralistes et qu'ont sanctionnée à grand renfort de spectacle et de morale modérée nos mélodramaturges modernes? Là, peut-être, nous aurons la

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