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CHAPITRE III.

MÉLITE.

Tout le monde sait par cœur l'histoire qui donna lieu à la comédie de Mélite. Fontenelle s'empresse de la rapporter, et Bayle dit que M. Corneille ne songeait à rien moins qu'à la poésie, quand lui arriva cette petite aventure galante, qu'il accommoda au théâtre, en ajoutant quelque chose à la vérité, et qu'il fut comme étonné de se voir auteur d'une comédie d'un genre nouveau et fort différent de ce comique bas, et de ce sérieux obscur, qui régnaient alors. Que la petite aventure galante, comme la nommait Bayle, ait été la cause occasionnelle de la

rupture de Corneille avec le barreau, c'est une chose probable; mais que Corneille n'ait eu qu'alors la révélation de son génie, c'est une assertion que nous ne saurions admettre. Pierre Corneille, peu Normand quant à l'amour de la chicane, devait sentir en lui depuis long-temps fermenter le désir de la gloire, et le démon des vers devait depuis long-temps être caché dans son âme. L'éternelle pudeur des poètes au début et le bâton d'Ovide, le retenaient dans le respect et la dépendance. Aussi, pour complaire à son père et conserver la tradition de famille, essaya-t-il de se poser sérieusement devant la table de marbre du parlement de Rouen; mais un premier échec et le dégoût de la pratique, durent lui faire chercher ardeminent le moyen de sortir de la voie dans laquelle il s'était engagé à contre-cœur. C'est alors qu'il dut souvent combattre contre ce respect filial et cette pudeur native qui jusque-là avaient comprimé son génie. Une occasion se présenta. Nourri chez les Jésuites de fortes études classiques, il la saisit aux cheveux et comme au demeurant c'était une âme forte et chrétienne, le comique bas et l'obscénité se trouvèrent naturellement sous sa plume remplacés par ces ingenui sales, dont parle le P. de La Rue, comme nous le verrons à l'article des poésies légères de Pierre Corneille.

En ce temps-là, Alexandre Hardy était encore presque en possession exclusive du théâtre. On

sait que ce Hardy, dont tout au plus le quart des pièces ont été imprimées, en a néanmoins laissé pour sa part cinq gros volumes in-octavo. C'était une espèce d'entrepreneur dramatique, fabricant de pièces à l'aune et à la toise. Les comédiens l'avaient attaché à leur service, et pour récompense de ses soins et de sa peine, il touchait une part dans les bénéfices. C'étaient de pauvres diables que les comédiens, en ce tempslà: ils n'amassaient point de rentes et se trouvaient fort heureux de vivre de leur métier. Ne pas mourir de faim était une de leurs vues les plus élevées. Aussi, Alexandre Hardy, qui avait déjà tiré la tragédie du milieu des rues et des tréteaux en plein vent, n'en était pas pour cela bien plus opulent, malgré les six tragédies qu'il fabriquait par chaque année, et les huit cents pièces dramatiques dont on l'accuse. Aussi, quand une bonne pièce paraissait, était-il ravi de la petite aubaine que devait lui procurer sa part. Lors donc que Mélite parut, et que la réputation de la pièce nouvelle eut fait établir une nouvelle troupe de comédiens, la curiosité, puis aussi l'intérêt que les honnêtes gens portaient au début d'un jeune homme de diction pure et de paroles chastes, rapportèrent beaucoup d'argent à la nouvelle troupe. Le vieux Hardy qui composait trop pour avoir le temps de lire, et qui d'ailleurs ne devait pas avoir le goût bien épuré et le discernement bien sûr, voyant qu'il touchait une part bien plus

forte que de coutume, fut satisfait de l'auteur, et il crut devoir l'encourager par ces mots : Mélite, bonne farce. Et il les répétait avec complaisance toutes les fois qu'on venait lui apporter sa part de recette.

Pourtant, s'il faut en croire Corneille luimême, Mélite n'obtint pas tout d'abord ce succès si grand; voici ce qu'il en dit dans la dédicace qu'il en fit à M. de Liancourt: « Quand je considère le peu de bruit qu'elle fit à son arrivée à Paris, venant d'un homme qui ne pouvait sentir que la rudesse de son pays, et tellement inconnu, qu'il était avantageux de taire son nom; quand je me souviens, dis-je, que ses trois premières représentations ensemble n'eurent pas tant d'affluence que la moindre de celles qui les suivirent dans le même hiver, je ne puis rapporter de si faibles commencemens, qu'au loisir qu'il fallait au monde pour apprendre que vous en faisiez état, etc. ›

En somme, la comédie de Mélite est une pièce assez froide et assez ennuyeuse. Habilement conduite, ménagée souvent avec art, elle dut plaire plutôt par la nouveauté du sujet que par l'intérêt que l'on y trouva. Quant au style, bien que parfois faible, il est souvent excellent. Les concetti y abondent : l'influence des guerres d'Espagne, mêlées de paix et de rapports fréquens entre les peuples guerroyans, ne font point encore sentir leur influence dans Mélite. S'il y a traduc

tion ou imitation de pensées, c'est une traduction ou une imitation italienne : nous verrons Corneille dans Clitandre, parler lui-même de son style et de ses emprunts au cavalier Marin Mais parmi les vers qui sont l'expression de la pensée de l'auteur, on en trouve quelques uns marqués au coin de l'observation ou de la satire, de ces vers proverbes comme ceux-ci :

L'argent dans le ménage a certaine splendeur
Qui donne un teint d'éclat à la même laideur,

qui ont fourni ce vers à Boileau :

L'or, même à la laideur, donne un teint de beauté.

disaitque l'im

Malgré le succès et l'exemple de ses prédécesseurs, Corneille eut de la peine à se décider à faire imprimer sa pièce Je sais bien, il dans son avertissement au lecteur, pression d'une pièce en affaiblit la réputation : la publier, c'est l'avilir..... Aussi, beaucoup de mes amis m'ont toujours conseillé de ne rien mettre sous la presse; ils ont raison comme je crois mais je ne sais par quel malheur, c'est un conseil que reçoivent de tout le monde ceux qui écrivent, et pas un d'eux ne s'en sert. Ronsard, Malherbe et Théophile (1) l'ont méprisé, et si je

:

(1) N'est-il pas étonnant de rencontrer dans ces lignes du grand Corneille, Théophile et Ronsard accouplés pour l'éloge, comme ils le sont dans Despréaux pour la satire? Seulement ici ils sont séparés par Malherbe, leur rival, que Corneille et Boileau s'accordaient à admirer.

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