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ne puis les imiter en leurs grâces, je les veux au moins imiter en leurs fautes, si s'en est une de faire imprimer... ›

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Je ne sais si l'obscénité et le mauvais goût firent un dernier effort pour rester en possession du théâtre, dont l'apparition de Mélite menaçait de les chasser. On vit encore, en 1628, apparaître une tragi-comédie de Tyr et Sidon, en deux journées, par Jean de Schelandre, et plusieurs autres pièces aussi mauvaises. Mais ce fut en cette même année que l'on imprima, à Béziers, le recueil des pièces jouées en cette ville le jour de l'Ascension; pièces mi-gasconnes, mi-françaises, où un Pierre Pepesuc joue le rôle de Marforio ou de Pasquin. L'imprimeur, comptant par là s'attirer la bienveillance de ses concitoyens, leur dédia ce recueil de treize pièces, toutes plus grossières les unes que les autres. Il est impossible de se faire une idée de l'ordure de certains proverbes, et de la plus que naïveté de certains points du dialogue. La licence des mœurs grecques et latines, les comédies d'Aristophane et certains endroits de Plaute, destinés sans doute à provoquer le rire de la populace grecque et de la canaille romaine, trouvent là un parallèle digne de la grossièreté de leurs devanciers. Heureusement pour les yeux des chastes curieux, elles sont écrites en patois, et la vraisemblance du moins n'y est point choquée comme dans certaines tragédies contemporaines ou antérieures. C'est le peuple qui parle

constamment et le plus souvent fait ses remontrances, humbles ou non, aux édiles de Beziers. Et pourtant, au milieu de toutes ces choses, il y a parfois des idées ingénieuses et des pensées fraîches comme celle-ci, qui fait la moralité d'une pièce intitulée Rencontre de Chambrières :

L'amour, lou vin et lou secret

Son tres causos tant delicados
Que non valon ren esventados.

‹ L'amour, le vin et le secret sont trois choses si délicates, qu'elles ne valent rien éventées. ›

On n'est pas d'accord sur l'année qui vit la première représentation de Mélite. Quelques auteurs la placent en 1628; d'autres la mettent en 1625. Bien que cette date comparée à celle de 1606, qui est celle de sa naissance, fassent notre héros bien jeune, quelques auteurs disent que Corneille fit Mélite n'ayant pas encore vingt ans, et quelques vers de la Métromanie (1) nous portent à adopter la seconde opinion. Et puis dans ce siècle-là, les auteurs devaient être précoces, témoins Mairet et Pierre du Ryer. Et d'ailleurs, Corneille était d'une famille où le talent devançait les années: Thomas Corneille, son frère, fit

(1)

Infortuné, je touche à mon cinquième lustre
Sans avoir publié rien qui me rende illustre,
On m'ignore, et je rampe encore à l'âge heureux
Où Corneille et Racine étaient déjà fameux.

Métromanie, acte III, scène vII.

sa première tragédie en rhétorique, et probablement elle n'était pas si mauvaise, puisque son régent, jésuite distingué, retira des mains de ses disciples une pièce qu'il avait composée pour la distribution des prix, et leur fit apprendre celle du jeune Thomas.

nul

Ce frère puîné du grand Corneille était né l'année de l'apparition de Mélite, le 20 août 1625. Comme son frère, il devait courir la carrière du théâtre et comme lui commencer par des comédies avant d'aborder la tragédie, son véritable genre. Tout le monde sait combien fut admirable la vie de ce cadet de Normandie qui ne fit jamais rien de raisonnable au jugement de Boileau, injuste cette fois; on se souviendra toujours de cette amitié inaltérable qui unit les deux Corneille. Si Thomas est si inférieur à Pierre, c'est que souvent il s'efface lui-même et que n'appelait son frère plus souvent et avec plus de bonheur, le grand Corneille. Celui-ci par reconnaissance disait qu'il était jaloux de certaines pièces de son cadet. Si cette jalousie n'est qu'une complaisance fraternelle, au moins pourrait-on la justifier en songeant que nul, mieux que Thomas Corneille, ne sut nouer l'intrigue d'une pièce, et l'on concevrait à la rigueur que le grand Corneille eût désiré avoir fait Timocrate, qui eut un si prodigieux succès, et Ariane qui partagea avec Bajazet la faveur du public. Si l'on voulait comparer Corneille le jeune à son aîné, on pour

rait dire que Thomas fut le reflet de Pierre. Il se contenta de briller modestement à côté de lui, et d'être un des auteurs les plus féconds de son temps. Comme son frère, il prenait un grand intérêt aux règles de son art, et, comme lui, il nous a laissé des discours sur les unités et la tragédie. On se souvient de cette vieille et touchante histoire dont Voisenon est le premier auteur, et qui fait de Thomas Corneille le dictionnaire de Rimes de son frère. Quand nous aurons occasion d'en parler, c'est toujours ainsi que nous le rencontrerons dans son modeste rôle de reflet, n'empiétant pas plus sur son aîné qu'il ne convient à un cadet de Normandie. C'est ainsi que l'avait compris Racine qui, en le recevant à la place de son frère à l'Académie, lui disait : « Vous avez toujours été uni avec lui d'une amitié qu'aucun intérêt non pas même aucune émulation pour la gloire n'a pu altérer. Aussi pensons-nous que Chapelain et Lamotte l'ont fort mal jugé, le premier en disant qu'il s'efforça de surpasser son frère, et le second en déclarant qu'il était son rival.

CHAPITRE IV.

CLITANDRE. 1632.

Un voyage que je fis à Paris pour voir le succès de Mélite, dit Corneille dans l'examen de cette pièce, m'apprit qu'elle n'était pas dans les vingt-quatre heures. C'était l'unique règle que l'on connût dans ce temps-là. J'entendis que ceux du métier la blàmaient de peu d'effet et de ce que le style en était trop familier. Pour la justifier contre cette censure par une espèce de bravade et montrer que ce genre de pièces avait les vraies beautés du théâtre, j'entrepris d'en faire une régulière, c'est-à-dire dans les vingtquatre heures, pleine d'incidens et d'un style

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