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sa famille et le peu de valeur des auteurs et des acteurs de ce temps qui couraient la province, ne faisant point de ce genre de divertissement un attrait pour les cœurs honnêtes et chrétiens.

A part la volonté paternelle et le désir maternel, Corneille était donc dans toutes les conditions de famille et d'éducation requises pour faire un grand homme complet. N'étant point obligé par sa naissance d'aller chercher la gloire au milieu des camps ou de demander son pain quotidien au travail mercantile de la boutique, son antique bourgeoisie et sa noblesse récente le mettaient en état de se présenter à la cour sans forfanterie et sans bassesse; il n'eut point besoin de faire le capitan comme Scudéry ou de rougir de son père comme Voiture. Mais il put arriver chez le cardinal le front haut et la tête levée avec son nom, moitié bourgeois moitié romain, et faire porter les regards de tout ce qui s'appelait ami des lettres et des arts vers cette province d'où il venait, en ce temps, à pied ou tout au plus par le coche, et qui devait fournir tant de grands hommes à ce grand siècle qui eut Louis-le-Grand pour Auguste et pour Mécène. Déjà Malherbe et Bertaut avaient fait retentir les échos du son måle et harmonieux de la muse normande; en 1601 était né dans la méme province que Corneille ce Scudéry, tant estimé de ses contemporains, et qui devait être jaloux de la gloire de notre héros et en 1592, elle avait mis au jour

l'abbé de Bois-Robert qui fut son collègue chez le cardinal; en 1605, Sarrasin y naquit, Sarrasin, l'ami de Scarron, dont les œuvres littéraires sont dignes d'estime et qui eut la lâcheté ou plutôt la prudence de nommer Hardy avec éloges, sans oser louer Corneille, tant était grande la crainte qu'inspirait le cardinal tout-puissant.

Après la naissance de Corneille, le sol normand, si fertile en illustrations, se montra presque inépuisable. Ce furent, en 1607, Madeleine de Scudéry, le fameux auteur de la Clélie, et le géographe de la carte de Tendre; en 1612, Isaac de Benserade, l'intrépide fabricant de rondeaux; en 1613, le voluptueux Saint-Evremond, qui ne put s'empêcher de payer son tribut d'hommages à la gloire de notre héros, son compatriote. En 1610, c'avait été François de Mézeray, long-temps le seul historien français; en 1615, ce fut Tanneguy Lefèvre, le père de madame Dacier; en 1618, Guillaume de Brébeuf, si bon catholique et si bon poète; en 1624, Regnault de Segrais, le traducteur de Virgile et l'auteur d'Athys; en 1630, Huet, évêque d'Avranches, et jusqu'en 1632, le pauvre Pradon, ce dernier fléau du grand Germanicus à qui la postérité a fait trop cruellement peut-être expier les bravos achetés par la duchesse de Bouillon: Chaulieu y naquit en 1639, et s'il faut parler des peintres qu'elle produisit, Jouvenet y vint au monde en 1644, et Nicolas Poussin y était né en 1594, la même année que

Gérard de Saint-Amand, le poète crotté qui n'en a pas moins fait l'ode sur la solitude.

S'il fut au monde deux existences semblables, ce fut celle de notre héros et celle du grand homme que nous venons de nommer. Tous deux nés sur les bords de la Seine, Nicolas Poussin et Pierre Corneille, furent en France tous deux créateurs, l'un de la peinture, l'autre de l'art dramatique. La condition de leurs deux familles fut pareille, et tous deux à leur début dans la carrière furent obligés d'aller demander aux nations étrangères le secret de leur art et leurs premières inspirations. Tous deux furent en butte à la jalousie, et si le poète eut son Mairet et son d'Aubignac, le peintre eut son Vouet et son Fouquières. Dix ans environ séparèrent leur naissance; dix années environ séparèrent leur mort; tous deux vécurent pauvres, chastes et honorés; et s'il fallait un point de comparaison de plus, n'y a-t-il pas un Guaspre Poussin comme il y a un Thomas Corneille ?

Ce fut donc du milieu de cette province qui avait déjà conquis l'Angleterre avec Guillaumele-Bâtard, sillonné les mers avec Ango et inventé la vapeur, cette folie sublime, avec son pauvre insensé Salomon de Caus, que Pierre Corneille vint à Paris, débarrassé des entraves de la robe d'avocat, sa tunique de Nessus, et précédé du succès de sa Mélite qui l'y avait devancé.

On a tant parlé de l'état pitoyable dans lequel

AYLO

OXFO

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HISTOIRE DE P. CORNEILLE.

le grand Corneille trouva l'art théâtral en France, son enfance fut dans notre pays si longue et si difficile, qu'il nous a paru impossible de faire apprécier tout le mérite de Pierre Corneille, sans faire connaître ce que c'était que le théâtre en France avant lui, et quel il était quand il le tira de la fange où il demeurait accroupi.

CHAPITRE II.

LE THÉATRE FRANÇAIS AVANT P. CORNEILLE,

Le temps était depuis longues années passé où le peuple romain faisait ou défaisait les empereurs pour avoir des spectacles, et où son mot d'ordre était Panem et Circenses; de nouveaux peuples avaient été charriés sur l'ancien, et les habitudes de la guerre, l'ignorance et le mépris dans lequel vivaient ceux qui occupaient des emplois civils, ne laissaient point au théâtre la possibilité de se glisser dans les habitudes des peuples et des Fran

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