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voilà quelles étaient les pièces du temps. Pierre de Marcassus réunit les deux genres, sans doute en sa double qualité d'avocat au parlement de Paris et de professeur de rhétorique au collége de la Marche. Il fit une Eromène, pastorale en cinq actes, et les Pécheurs illustres, tragi-comédie en cinq actes, toutes deux en vers. La tragi-comédie est postérieure; mais si l'auteur se convertit aux bonnes mœurs, il ne se convertit point aux saines idées dramatiques; dans l'Eromène, pour vanter l'adresse d'une héroïne à la chasse, on dit:

D'un seul coup de son arc elle a mis au cercueil,
-Quoi donc ?

- Une hirondelle, un poisson, un chevreuil; Du superbe Lidon, les rives sans secondes,

Les ont vus tous les trois rouler avec leurs ondes, etc.

Toutes ces misères dramatiques trouvaient des admirateurs; les auteurs trouvaient des vers pour les louer, et discutaient gravement sur les trois unités. Les triomphes de Pradon eurent du moins pour excuse l'argent des curieux et la haine de Mme Deshoulières, et puis une épigramme de Racine ou de Boileau était là pour en faire justice. Mais devant de pareilles absurdités, la gent littéraire restait muette et béate comme le public. L'éternelle allégorie de Mars et Vénus commençait à faire fortune, et pourvu qu'un héros fût bien guerrier et bien amoureux, qu'il extravaguât en phrases alambiquées, et qu'il pût se demener dans

un imbroglio bien incompréhensible, les grands seigneurs et les gens de lettres applaudissaient. Quant au peuple, il faisait ce qu'il fait toujours: il raffolait des beaux costumes et des voix de tonnerre, et s'amusait dans les intervalles à faire des réflexions sur les seigneurs qui garnissaient le théâtre. Le peuple devait aimer fort Mondory et Montfleury qui moururent l'un des fureurs d'Hérode, l'autre des fureurs d'Oreste.

C'est cette tendance qui fit le merveilleux succès de la Sophonisbe de Mairet. On ne s'inquiétait pas si Massini se était ridicule, ou si le caractère de Sophonisbe était absurde. C'était un soldat amoureux. La galanterie française militaire a eu trois époques: la première sérieuse, la seconde douteuse, la troisième ridicule : la première fut sous François Ier, et portait des pourpoints de soie avec des toques de velours; la seconde est l'époque dont nous parlons : elle était habillée en hauts-de-chausses mal ajustés et se coiffait de larges abat-jour de feutre ; la troisième fut sous l'Empire, c'était l'époque de la botte brutale et du gilet manqué; elle a fini en habit saugrenu et en pantalon garance; mais tous ces temps, l'histoire d'Hercule chez Omphale et d'Achille à Scyros, étaient de nature à merveilleusement

réussir.

En présence de cette fâcheuse crise dramatique, Pierre Corneille, qui avait déjà donné Mélite, résolut de faire, lui, cette épigramme que tout

vù,

honnête littérateur devait à ses contemporains. Il voulut mettre sa satire en action et les passer, si faire se pouvait, en ridicule. Mais cette fois Corneille comptait trop sur la force de son esprit, comme il y compta trop dans l'Illusion comique, lorsqu'il voulut créer un Capitan qui passât ces sortes de héros en extravagance. Le Châteaufort du Pédant joué, de Cyrano-Bergerac, écrase de son luxe de forfanterie le Capitan de Corneille, comme les pièces contemporaines passent Clitandre en extravagance. Qu'est-ce en effet, auprès de ce nous avons vu, que de petits événements comme le combat où Rosidor se défait de trois assassins masqués? - Corneille n'a vraiment égalé ses contemporains en ridicule que dans la scène où Dorise, tirant son aiguille, en crève l'œil de Pymante qui, pour toute indignation, porte vivement la main à la partie blessée en s'écriant: Ah! cruelle! Dorise lui répond en façon d'écho Ah! perfide! et Pymante achève le vers par cette singulière exclamation: Ah! que vienstu de faire ! Mais Clitandre est plein de beaux vers le monologue de la prison et celui de Rosidor sur son lit, font déjà pressentir Corneille, et ressemblent plus aux beaux endroits de la Pyrame et Thisbé de Théophile, qu'aux extravagances de La Charnais.

La critique s'est long-temps exercée sur un vers de Racine.

Les La Harpe et les Le Batteux de tous les

temps ont rompu des lances pour ou contre cette ellipse :

Je t'aimais inconstant, qu'eussé-je fait fidèle?

Les collecteurs de licences poétiques l'ont mise au premier rang, et peu s'en est fallu souvent que les écoliers de rhétorique ne se prissent aux cheveux, pour la plus grande gloire de cette façon hardie de procéder avec la langue française.

Toute cette discussion et cette admiration pour une hardiesse passagère du timide Racine, viennent tout simplement de l'oubli profond dans lequel était et est encore, à l'heure qu'il est, tombé le grand Corneille. Les commentateurs, les rhéteurs et les professeurs le citent sur la foi de leurs devanciers et l'ignorent. Confiants à ces mémes devanciers et se fondant sur l'autorité du dix-huitième siècle, cette époque de bourgeois littéraires, excepté le seul Diderot peut-être, ils ne jettent pas même un coup d'œil sur les premières et sur les dernières pièces de cet auteur, et ils s'écrient en choeur : Cela est mauvais ; cela est pitoyable. Le Holà et le Hélas! de Despréaux sont pour eux des barrières qu'ils n'osent franchir, le tout dans la plus grande crainte du mépris de Voltaire.

Si cependant Corneille était connu comme il le mérite, le doute sur le fameux vers d'Andromaque serait résolu, car cette fois-ci les deux grandes

autorités classiques se sont rencontrées, Racine et Corneille qui, dans son Clitandre, avait dit à la scène première de l'acte quatrième :

Crois-tu donc, assassin, m'acquérir par ton crime,
Qu'innocent méprisé, coupable je t'estime?

et dans le Cid, à la scène quatrième de l'acte III ;

Qui m'aima généreux, me haïrait infâme.

Comme les épigrammes en cinq actes et en vers sont, au demeurant, plus longues et surtout plus ennuyeuses à faire que celles qui, selon l'expression de Despréaux, ont un tour plus borné et ne sont qu'un bon mot de deux rimes orné, Corneille s'en tint là et ne renouvela point cette débauche d'esprit qui lui fit faire Clitandre, ou, pour employer ses propres expressions, il renonça à ce libertinage, bien éloigné de l'exactitude que les sévères critiques demandent dans les ouvrages dramatiques. S'il renouvela cet essai une seule fois en sa vie, dans le Capitan de l'Illusion comique dont nous avons déjà parlé, le peu d'éloges que ses folies mitigées lui valurent, tandis que les folies les plus absurdes étaient comblées de louanges, durent le faire apercevoir de son infériorité dans ce genre de combat. Tant qu'il s'agit d'être grand, noble, pathétique, sévère, enjoué même, Corneille put effacer tous ses rivaux; mais quand il prétendit reculer les limites de l'absurde et du

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