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eft toujours plongé dans la Piéce dont je parle. Quand même l'aventure feroit narrée par Suetone avec les circonftances dont Racine a trouvé bon de la revêtir, il n'auroit pas dû la choifir comme un fujet propre à la fcène tragique. La gloire du fuccès ne répare pas toujours la honte d'un combat où nous devions remporter l'avantage d'abord. Un ennemi bien inégal nous furmonte en quelque façon, s'il difpute trop long-tems la victoire contre nous. En effet dix mille Allemands qui n'auroient battu fix mille Turcs en rafe campagne qu'après un combat de douze heures, feroient honteux de leur propre victoire. Auffi, quoique Bérénice foit une Piéce très méthodique & parfaitement bien écrite, le Public ne la revoit pas avec le même goût qu'il lit Phédre, & qu'Andromaque. Racine avoit mal choifi fon fujet; & pour dire plus exactement la vérité, il avoit eu la foibleffe de s'engager à la traiter fur les inftances d'une grande Princeffe. Quand il fe chargea de cette: tâche, l'ami, dont les confeils lui furent tant de fois utiles, étoit abfent. Defpréaux a dit plufieurs fois qu'il eûç

bien empêché fon ami de fe confommer fur un fujet auffi peu propre à la Tragé die que Bérénice, s'il avoit été à portée de le diffuader de promettre qu'il le trai

teroit.

Infpirez toujours de la vénération pour les perfonnages deftinés à faire verfer des larmes. Ne faites jamais chauffer le cothurne à des hommes inférieurs à plufieurs de ceux avec qui nous vivons autrement vous ferez auffi blâmable que fi vous aviez fait ce que Quintilien appelle Donner le rôle d'Hercule à jouer à un enfant : Perfo nam Herculis & cothurnos aptare infantibus.

SECTION XVII. S'il eft à propos de mettre de l'amour dans les Tragédies.

MON fujet amene ici naturellement deux queftions: la premiere, s'il eft à propos de mettre de l'amour dans les Tragédies; & la feconde, fi nos Poëtes Tragiques ne donnent point trop de part à cette paffion dans les intrigues de leurs Piéces

F

Tous les hommes que nous trouvons dignes de notre eftime, nous intéreffent à leurs agitations comme à leurs malheurs; mais nous fommes fenfibles principalement aux inquiétudes comme aux afflictions de ceux qui nous reffemblent par leurs paffions. Tous les difcours qui nous ramenent à nousmêmes, & qui nous entretiennent de nos propres fentimens, ont pour nous un attrait particulier. Il eft donc naturel d'avoir de la prédilection pour les imitations qui dépeignent d'autres nous-mêmes, c'est-à dire, des perfonnages livrés à des paffions que nous reffentons actuellement, ou que nous avons reffenties autrefois.

L'homme fans paffion est une chimere; mais l'homme en proie à toutes les paffions, n'eft pas un être moins chimérique. Le même tempérament qui nous livre aux unes, nous garantit des autres. Ainfi il n'y a que certaines paffions qui ayent un rapport particulier avec nous, & dont la peinture ait des droits privilégiés fur notre attention.

Les hommes qui ne reffentent pas les mêmes paffions que nous, ne font pas autant nos femblables que ceux qui les

repréfentent; ces derniers tiennent à nous par des liens particuliers. Par exemple, Achille impatient de partir pour aller faire le fiége de Troye, attire bien l'attention de tout le monde ; mais il intéresse bien davantage à fa destinée un jeune homme avide de la gloire militaire, qu'un homme dont l'ambition eft de fe rendre le maître de foi-même, pour devenir digne de commander aux autres. Ce dernier s'intéressera bien davantage au caractere que Corneille donne à l'Empereur Augufte dans la Tragédie de Cinna, caractere qui ne touchera que foiblement le partifan d'Achille.

Les peintures d'une paffion que nous n'avons pas reffentie, ou d'une fituation dans laquelle nous ne nous fommes pas trouvés, ne sçauroient donc nous émouvoir auffi vivement que la peintu redes paffions & des fituations qui font actuellement les nôtres, ou qui l'ont été autrefois. En premier lieu, l'efprit n'eft guères piqué par la peinture d'une paffion dont il ne connoît pas les fympto mes; il craint d'être la dupe d'une imitation infidelle. Or l'efprit connoît mai les paffions que le coeur n'a pas fenties;

tout ce que les autres nous en racon tent, ne fçauroit nous donner une idée jufte & précise des agitations d'un intérieur qu'elles tyrannifent. En fecond lieu, il faut que notre cœur ait peu de pente pour les paffions que nous n'avons pas encore éprouvées à vingt-cinq ans. Le cœur a bien plutôt acquis toutes fes forces que l'efprit, & il me paroît prefque impoffible qu'un homme, de cet âge n'ait pas encore fenti les mouvemens de toutes les paffions auxquelles fon tempérament le condamne.

Comment ceux qui n'ont pas de difpofitions à fentir une paffion,comment un homme qui n'eft point agité par l'objet même, pourroit-il être vivement touché par fa peinture? Comment un homme dont l'efprit eft infenfible à la gloire militaire, & qui ne regarde ce qu'on appelle vulgairement un grand Conquérant, que comme un furieux à charge au genre humain, peut-il être vivement intéreffé par les mouvemens inquiets de l'impétueux Achille, quand il imagine qu'on confpire pour l'empêcher de s'aller immortalifer en prenant Troye?

L'homme, pour qui les attraits du

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